Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle (1804)

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Patrick AULNAS

Belle-sœur de Jean-Honoré Fragonard, Marguerite Gérard (1761-1837) se spécialise dans le portrait et la scène de genre. Les scènes de l’intimité familiale, qui avaient fait le succès des grands artistes néerlandais depuis le 17e siècle, constituent une partie importante de son œuvre.

 

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle (1804)

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle (1804)
Huile sur toile, 64 × 51 cm, musée du Louvre,

Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE

 

Contexte historique

Marguerite Gérard s’inspire du style des artistes néerlandais de scènes de genre (VermeerGérard DouJan Steen, Gabriel MetsuPieter de Hooch) qui représentaient avec réalisme la vie quotidienne de la bourgeoisie fortunée en l’idéalisant esthétiquement. Sa peinture à la finition lissée, est proche de celle d’Ingres mais très éloignée de celle de son beau-frère Jean-Honoré Fragonard, caractérisée par une touche libre cherchant à suggérer.

La mauvaise nouvelle a connu une histoire mouvementée. Exposé à Paris, au Salon de peinture et de sculpture de 1804, avec son pendant Une dame devant sa toilette lisant une lettre, le tableau est cédé à de nombreuses reprises au cours des 19e et 20e siècles sous des titres variables : Femme s'évanouissant, L'Amie empressée, Une Dame devant sa toilette. En 1942, l’œuvre est vendue pour 150 000 francs à Adolf Wüster pour le Kaiser-Wilhelm Museum de Krefeld par le marchand d’art Martin Fabiani (1899-1989). Rapatrié en 1948 et conservé sur décision de la commission spécialisée, le tableau est attribué en 1950 au musée du Louvre par l'Office des Biens et Intérêts Privés et reste en attente de « restitution à ses légitimes propriétaires », selon les informations du musée.

 

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, avec cadre (1804)

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, avec cadre (1804)

 

Analyse de l’œuvre

Une femme reçoit une lettre et réagit plus ou moins vivement. Le spectateur est libre de composer un récit car il ignore tout du contenu de la lettre et de son expéditeur. Ici, la belle dame se pâme et reçoit des sels de son amie.

On lira à propos de ce tableau les hypothèses épistolaires pleines d’esprit de YORAM LEKER.

Le thème avait déjà été exploité par la peinture de genre hollandaise au 17e siècle. Mais les peintres étaient tous des hommes imaginant un instant plus ou moins fantasmé de la vie d’une femme. L’artiste étant ici une femme, le tableau comporte des caractéristiques spécifiques. On trouvera ci-après quelques œuvres masculines sur le même thème se caractérisant toutes par une dominante : la vie secrète d’une femme dans le cadre domestique. Les artistes masculins s’interrogent sur le mystère que constitue pour eux l’univers intérieur féminin. Pour l’évoquer, ils utilisent l’instrument de communication le plus courant pour les personnes cultivées de l’époque : la lettre. Dans le silence et souvent dans la solitude de sa maison, une femme est très absorbée par le contenu d’une lettre. Nous n’en saurons pas plus car c’est le secret qui importe. Les artistes-hommes s’adressent à des spectateurs-hommes en utilisant un thème banal de la complicité masculine : elles ont des secrets que nous ne perceront jamais.

Chez Marguerite Gérard, la destinataire du courrier n’est pas seule. Une amie lui vient en aide. Le contenu de la lettre produit un léger malaise qui ne conduit pas à l’évanouissement. Bien campée sur son fauteuil, la femme en bleu semble jouer la comédie. Nous sommes au théâtre, pas dans la réalité sociale du début du 19e siècle. Marguerite Gérard traite le sujet avec ironie en reconstituant une scène de comédie, alors que Vermeer et ses contemporains le traitaient avec le plus grand sérieux. Le chien, introduit même une nuance humoristique. Qu’arrive-il encore à ma maîtresse ? La mallette ouverte sur la table et contenant des lettres, sans doute très secrètes, est un autre clin d’œil théâtral à l’observateur du tableau.

 

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détail

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détail

 

 

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détail Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détail

 

 

Marguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détailMarguerite Gérard. La mauvaise nouvelle, détail

 

La mauvaise nouvelle ne comporte pas de questionnement sur le caractère impénétrable de l’âme féminine pour les hommes mais au contraire une sorte de caricature de la manière dont ces derniers se l’imaginent. Marguerite Gérard se moque de la représentation masculine de la féminité : « Voici comment vous nous voyez, n’est-ce pas un peu simpliste ? »

Le cadre domestique a été exécuté avec minutie : mobilier, mur avec tableau, nappe et tapis. Marguerite Gérard utilise avec talent les vêtements, dont les plis, les ombres et le moiré du tissu blanc et bleu clair sont représentés avec le plus grand soin. Les deux figures à la carnation blanche constituent ainsi l’élément lumineux de la composition, l’arrière-plan décoratif restant partiellement dans l’ombre.

 

Autres compositions sur le même thème

La peinture intimiste a souvent utilisé la relation épistolaire pour évoquer les secrets de l’âme féminine. En voici un petit aperçu pour les 17e et 18e siècles.

 

Vermeer. La Liseuse à la fenêtre (1657-59)

Johannes Vermeer. La liseuse à la fenêtre (1657-59). Huile sur toile, 83 × 64,5 cm, Gemäldegalerie, Dresde. Premier opus du thème de la lettre chez Vermeer. Il y en aura plusieurs autres. Nous sommes vraiment ici dans l'intimisme vermeerien : calme, solitude, personnage absorbé par son univers intérieur. L'observateur du tableau a toute liberté pour interpréter la scène, mais chacun pense d'abord à une lettre d'amour. Le rideau au premier plan est un artifice de composition, courant à l'époque, recherchant l'effet théâtral : le spectateur surprend ce qu'il n'était pas censé voir.

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Vermeer. La Femme en bleu lisant une lettre (1662-65)

Johannes Vermeer. La Femme en bleu lisant une lettre (1662-65). Huile sur toile, 46,6 × 39,1 cm, Rijksmuseum, Amsterdam. La fenêtre à gauche, source de l'éclairage, n'est pas visible ici. Le cadrage est plus rapproché. On retrouve une carte affichée au mur, à l'arrière-plan, comme dans plusieurs autres tableaux du peintre. L'utilisation du bleu dominant est atypique chez Vermeer. Le dépouillement de cette composition et sa puissance émotionnelle la place parmi les chefs-d'œuvre.

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Gabriel Metsu. Femme lisant une lettre (1662-65)

Gabriel Metsu. Femme lisant une lettre (1662-65). Huile sur bois, 53 × 40 cm, National Gallery of Ireland, Dublin. « Une femme est absorbée par la lecture d'une lettre qu'elle vient de recevoir de son prétendant. Elle tient la feuille en biais, non seulement parce qu'elle a peut-être besoin de plus de lumière pour la lire, mais aussi parce qu'elle veut en cacher le contenu à sa femme de chambre. Pourtant, la servante sait déjà de quoi il s'agit. Elle en avertit sa maîtresse en tirant de côté un rideau protégeant une peinture d'un navire naviguant sur des eaux agitées, référence à la comparaison alors courante selon laquelle l'amour est semblable à une mer agitée.
Metsu avait initialement prévu que la veste bordée de fourrure de la dame soit rouge, mais il l'a peinte en jaune par la suite. La peinture rouge peut encore être vue à l'œil nu. Il a fait cette modification en sachant que les vestes jaunes étaient l'une des caractéristiques de la peinture de Vermeer. Metsu a peint le velours jaune avec des aplats qu’on ne retrouve pas dans les autres parties du tableau mais qui rappellent le travail de Vermeer au milieu des années 1660. La femme de chambre tient à la main une autre lettre adressée à « M. / Metsu / tot Amst [erdam] / Port. » Cette lettre constitue une manière humoristique pour Metsu de signer son œuvre. » (Commentaire National Gallery of Ireland)
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De Hooch. Femme lisant une lettre (1664)

Pieter de Hooch. Femme lisant une lettre (1664). Huile sur toile, 55 ×55 cm. Szépmûvészeti Múzeum, Budapest. De Hooch place la scène en début d'après-midi avec une lumière qui irradie magnifiquement sur la liseuse.

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Chardin. Femme occupée à cacheter une lettre (1735)

Jean-Siméon Chardin. Femme occupée à cacheter une lettre (1734). Huile sur toile, 146 × 147 cm, Bildergalerie, Postdam. En 1734, le Mercure de France décrivait ainsi ce grand tableau de Chardin : « Le plus grand [tableau] représente une jeune personne qui attend avec impatience qu'on lui donne de la lumière pour cacheter une lettre, les figures sont grandes comme nature. »

Jean-Étienne Liotard. La liseuse (1746)

Jean-Étienne Liotard. La liseuse (1746). Pastel sur vélin, 54,5 × 43 cm, Rijksmuseum, Amsterdam. « Voici l’original de l’une des compositions les plus célèbres de Liotard, dont il a fait plusieurs versions. Il l’a intitulée La Liseuse et l’a évidemment conçue comme une scène de genre, bien que le modèle ait été identifié comme sa nièce portant un costume lyonnais. Liotard emmena le tableau à Versailles en 1748 pour faire découvrir ses compétences de pastelliste à la cour de France. » (Commentaire Rijksmuseum)
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Fragonard. La Lettre d'Amour, 1770

Jean-Honoré Fragonard. La Lettre d’amour (1770). Huile sur toile, 83,2 × 67 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. « Chez Fragonard, si on le compare à Boucher, la finition est toute relative. Ici, sur un fond brun, Fragonard nuance la composition avec des bruns plus sombres, dessine et modèle avec la pointe de la brosse en utilisant des traits d'épaisseur variable. Les couleurs et le blanc sont confinés à des espaces très lumineux au centre de la toile : visage poudré de la jeune femme, robe et chapeau, surface du papier et siège, de même que les fleurs et le chien. Cette toile, célèbre du début des années 1770, doit être considérée comme une scène de genre et non comme un portrait. » (Notice MET)

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