Marie-Madeleine repentante. 10 chefs-d’œuvre

 
 

Cliquer sur les images ci-dessus
PARTENAIRE AMAZON ► En tant que partenaire d'Amazon, le site est rémunéré pour les achats éligibles.

 

 

Patrick AULNAS

Les récits figurant dans des textes aussi anciens que la Bible reposent sur des légendes issues de la tradition orale. De multiples interprétations en ont été données au cours des siècles. Mais rien n’est jamais fixé lorsque des croyances sont en jeu. Le personnage de Marie de Magdala, dite Marie-Madeleine, est particulièrement concerné par ce flou des interprétations successives. Elle est citée à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament en tant que disciple de Jésus-Christ. Ainsi l’Évangile selon Luc indique :

« Les douze étaient avec lui et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons… » (Luc 8, 2)

Marie de Magdala est donc une sainte pour l’Église chrétienne puisqu’elle a suivi le Christ jusqu’à sa mort et sa résurrection. Elle assiste en effet à la crucifixion et elle est le premier témoin de la résurrection. Ne reconnaissant pas le Christ ressuscité, elle s’approche de lui. Mais il lui demande de ne pas le toucher (en latin Noli me tangere)

« Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jean 20,17)

Au fil de siècles, ces textes bibliques seront compris de diverses façons et des confusions apparaîtront. Ainsi, un sermon du pape Grégoire prononcé en 591 assimile Marie-Madeleine à Marie de Béthanie, également présente dans le récit biblique, mais qui est une « pécheresse ». Sermon de Grégoire :

« Elle, celle que Luc appelle la femme pécheresse, celle que Joseph appelle Marie de Béthanie, nous croyons que c’est Marie, de qui sept démons furent chassés selon Marc. »

Cette probable confusion entre deux figures féminines a joué un rôle majeur dans la représentation artistique de Marie-Madeleine. La réputation de pécheresse lui est restée, d’où la pénitence et la repentance associées au personnage. Le péché est explicitement associé à la sexualité dans de nombreuses représentations de Marie-Madeleine. Elle apparaît alors plus ou moins dévêtue. Il peut aussi être question du ravissement ou de l’extase de Madeleine, lui permettant, selon la légende, d’entendre les chœurs célestes. Le thème exploite toute l’ambiguïté érotique d’une Marie-Madeleine qui s’abandonne, particulièrement suggestive. Mais les artistes vont parfois jusqu’au portrait. L’expressivité du visage de Marie-Madeleine (culpabilité, tristesse, inquiétude, repentance) devient alors le sujet du tableau.

 

*****

 

Van der Weyden. Marie-Madeleine lisant (1435-38)Rogier van der Weyden

Marie-Madeleine lisant (1435-38)
Huile sur bois, 62 × 55 cm, National Gallery, Londres.

 

Fragment d’un retable dont on possède deux autres fragments. La pénitence est représentée ici par un personnage assis à même le sol et absorbé dans la lecture d’un texte pieux. Il s’agit certainement d’une bible sous forme de manuscrit. Comme il est courant dans la peinture de l’époque, Madeleine porte des vêtements du 15e siècle et la scène se situe dans une riche demeure. Les artistes étaient des artisans n’ayant aucune culture historique et ils imaginaient l’éternité de Marie-Madeleine comme une transposition de la réalité d’ici-bas. Un petit récipient blanc apparaît à côté de la sainte. Par suite de la confusion entre Marie de Magdala et Marie de Béthanie, il contient le parfum utilisé pour oindre les pieds du Christ, dans la maison de Lazare à Béthanie, selon le récit de l’apôtre Jean :

« Or, Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle versa le parfum sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum. » (Jean 12,03)

Image HD sur NATIONAL GALLERY

 

*****

 

Piero di Cosimo. Sainte Marie-Madeleine (1490-95)

Piero di Cosimo

Sainte Marie-Madeleine (1490-95)
Tempera sur bois, 72 × 53 cm, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Palazzo Barberini, Rome.

 

« Sainte Marie-Madeleine est identifiée par son apparence et son auréole, ses longs cheveux et la jarre d'onguent. La jarre fait référence à la visite de Madeleine et d’autres femmes pieuses au sépulcre le matin de Pâques. Arrivées à l’endroit où le corps de Jésus devait être embaumé avec des huiles parfumées, elles trouvèrent le sépulcre vide et furent les premières à témoigner de la Résurrection.
La longue chevelure avec laquelle Madeleine est généralement représentée provient en réalité d’une interprétation erronée de l’Évangile, résultant d’une confusion entre Madeleine et la prostituée anonyme qui, se repentant de ses péchés, verse des larmes sur les pieds de Jésus et les essuie avec ses propres cheveux.
Le tableau de Piero di Cosimo comprend cependant des détails, caractéristiques de l’époque de l’artiste, qui vont au-delà de la représentation traditionnelle de la sainte. Le style de sa robe, le livre ouvert et la pose du personnage, ainsi que l’architecture qui l’encadre, s’inspirent directement du portrait-type du 15e siècle. Il n’est pas exclu que le tableau ait été commandé par ou pour une dame nommée Maddalena, qui souhaitait être représentée comme la sainte dont elle portait le nom.
La peinture se distingue par son exécution extrêmement raffinée, particulièrement frappante dans la surface picturale et la définition des détails. Piero di Cosimo révèle ainsi sa profonde compréhension et sa maîtrise des valeurs formelles de la peinture flamande. » (Commentaire Galleria Nazionale d'Arte Antica)

Image HD sur WIKIMEDIA

*****

 

Le Pérugin. Marie-Madeleine (v. 1500)Le Pérugin

Sainte Marie-Madeleine (v. 1500)
Huile sur bois, 47 × 35 cm, Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence.

 

Le Pérugin choisit le portrait pour traiter le sujet. Il s’inspire du visage de son épouse Chiara Fancelli (1470-1541), que l’on retrouve dans plusieurs œuvres du peintre. La pénitence n’est ici que très allusive avec les mains sagement posées sur une table. Une discrète auréole encadre le visage. Le soin apporté aux détails (broderie sur le décolleté, pelisse garnissant la veste) résulte de l’influence flamande. Les sujets religieux étant considérés comme les plus nobles, le thème de Marie-Madeleine permet à l’artiste de rattacher à la religion ce simple et beau portrait.

 

*****

 

Titien. Marie-Madeleine repentante (1561-65)Titien

Marie-Madeleine repentante (1561-65)
Huile sur toile, 119 × 97, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

 

Titien a réalisé de nombreux portraits de Marie-Madeleine, celui-ci étant sans doute le dernier, resté en la possession de l’artiste et découvert après sa mort. Conjuguant la repentance, avec les yeux larmoyants, et la sensualité, avec une Marie-Madeleine à moitié dénudée, Titien va plus loin que ses prédécesseurs en mettant l’accent sur la pécheresse surprise dans son intimité, âme troublée implorant le pardon, les yeux tournés vers le ciel. La magnifique chevelure, que Piero di Cosimo avait déjà mise en évidence, est ici en désordre. Le crâne fait son apparition pour rappeler le caractère éphémère de la vie humaine.

IMAGE HD sur WIKIMEDIA

 

*****

 

Caravage. Marie-Madeleine en extase (1606)Caravage

Marie-Madeleine en extase (1606)
Huile sur toile, 106 × 91 cm, collection particulière.

 

Pour la première fois, un artiste traite le thème de l’extase de Marie-Madeleine. Selon un récit du 13e siècle figurant dans La Légende dorée de Jacques de Voragine, Marie-Madeleine aurait vécu dans une grotte où chaque jour elle pouvait entendre les chœurs célestes. L’extase mystique de la sainte écoutant les chants célestes est associée à la figure d’une jeune femme partiellement dénudée, suggérant le plaisir sexuel. Érotisme et mysticisme se conjuguent visuellement pour la première fois. Les contemporains n’étaient absolument pas capables d’analyser le tableau de cette façon, mais son succès immédiat suggère qu’il les troublait. Jusqu’alors l’extase mystique concernait en peinture des anachorètes masculins hirsutes et vêtus de bure. L’évolution est radicale.

 

*****

 

Georges de La Tour. Madeleine en pénitence (1625-50)Georges de La Tour

Madeleine pénitente (v. 1640)
Huile sur toile, 133,4 × 102,2 cm, Metropolitan Museum of Art, New York.

 

« Avec ses contrastes extrêmes de lumière et d’ombre, sa géométrie épurée et son ambiance méditative, ce tableau illustre la peinture de La Tour dans ce qu'elle a de plus accompli et de plus caractéristique. Ces qualités visuelles constituent un puissant contre-courant par rapport à la pompe et à l'ostentation typiques de la peinture baroque. Originaire du duché de Lorraine, dans l'est de la France actuelle, La Tour doit beaucoup à la peinture de Caravage, mais tend vers des formes beaucoup plus simplifiées. L'atmosphère paisible de ce tableau correspond parfaitement au sujet : Marie-Madeleine qui a renoncé aux plaisirs de la chair pour une vie de pénitence et de contemplation. Elle est représentée avec un miroir, symbole de la vanité, un crâne, emblème de la mort et un cierge qui fait probablement référence à son illumination spirituelle. » (Commentaire MET)

IMAGE HD sur MET et GOOGLE ARTS & CULTURE

 

*****

 

Elisabetta Sirani. Madeleine pénitente (1663)Elisabetta Sirani

Madeleine pénitente (1663)
Huile sur toile, 113,5 × 94 cm, musée des Beaux-arts et d’Archéologie, Besançon.

 

Elisabetta Sirani reprend le thème de la grotte où, selon la légende, aurait fait retraite Marie-Madeleine repentante. Le crucifix rappelle le lien très fort qu’elle entretient avec Jésus-Christ. Avec un visage extatique, elle tient à la main un fouet, symbole de contrition et de punition. La nudité et les cheveux défaits soulignent son abandon. En peinture, le crâne était utilisé dans les vanités, natures mortes allégoriques renvoyant à la mort et à la vacuité des passions humaines.

IMAGE HD sur WIKIMEDIA

*****

 

Hyacinthe Rigaud. Sainte Madeleine pénitente (v. 1710)Hyacinthe Rigaud

Hyacinthe Rigaud. Sainte Madeleine pénitente (v. 1710)
Huile sur toile, 72 × 56, collection particulière.

 

Quelques décennies plus tard, Hyacinthe Rigaud, grand portraitiste, applique la technique du portrait à une évocation beaucoup plus sage de Marie-Madeleine. Une aristocrate du 18e siècle déguisée en sainte, les mains posées sur un crâne symbolisant la vanité de notre séjour terrestre, se repend de ses péchés. Le personnage au regard très doux tourné vers les cieux ne reflète plus du tout l’extase caravagesque. Les élans irrépressibles du baroque ne sont plus de mise car le siècle qui s’ouvre est celui des Lumières. Rigaud choisit la sobriété avec un fond gris uniforme et un élégant drapé aux reflets moirés de la même couleur.

 

*****

 

Eugène Delacroix. La Madeleine dans le désert (1845)

Eugène Delacroix

La Madeleine dans le désert (1845)
Huile sur toile, 55,5 × 45 cm, Musée National Eugène Delacroix, Paris

 

« La Madeleine dans le désert est une œuvre déroutante. Par le cadrage très resserré, l’imprécision du décor à l’arrière-plan, l’expression insondable du visage de la sainte et sa posture étrange dans l’espace, Delacroix a volontairement brouillé la lisibilité du tableau. Madeleine est-elle mourante, comme pourraient l’indiquer son visage stoïque, ses yeux clos, ou sombre-t-elle dans une extase religieuse, comme semble le suggérer la lumière qui émane de son visage ? Si le titre n’indiquait pas qu’il s’agit de Madeleine, on ne pourrait même pas le deviner. A peine un peu de ciel bleu dans la partie supérieure de la toile et l’évocation d’une grotte suggèrent-ils qu’elle est bien au désert, venue, comme le dit la légende, finir ses jours dans une grotte du massif de la Sainte-Baume, en Provence. » (Commentaire Musée National Eugène Delacroix)

IMAGE HD sur MUSEE NATIONAL EUGENE DELACROIX

 

*****

 

Lawrence Alma-Tadema. Marie-Madeleine (1854)

Lawrence Alma-Tadema

Marie-Madeleine (1854)
Huile sur papier monté sur panneau, 31 × 35 cm, Rijksmuseum, Amsterdam.

Alma-Tadema n’a fait que des incursions assez rares dans les scènes religieuses. Cette interprétation de la figure de Marie-Madeleine sous forme de portrait constitue une brillante étude de l’image de la culpabilité et du repentir par le jeune artiste de dix-huit ans, qui connaîtra par la suite un succès commercial éblouissant tout au long de sa carrière. Le Rijksmuseum n’indique malheureusement pas le nom du modèle.

IMAGE HD sur RIJKSMUSEUM

 

Commentaires

  • Tom Watson
    • 1. Tom Watson Le 01/01/2024
    Et la sublime Maris Madeleine de Bellini ?

Ajouter un commentaire