John Singer Sargent. Mme Fiske Warren (Gretchen Osgood) et sa fille Rachel (1903)

 
 

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Patrick AULNAS

Peintre prolifique, extrêmement doué, John Singer Sargent était au début du 20e siècle le portraitiste de la haute société anglaise et américaine. Héritier de VélasquezVan Dyck et Gainsborough, son style classique et sa virtuosité technique ne lui interdisent pas de placer dans ses portraits, sous l’apparence du bon ton de l’époque, la vérité cachée des modèles représentés.

 

 

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren (Gretchen Osgood) et sa fille Rachel (1903)

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren (Gretchen Osgood) et sa fille Rachel (1903)

Huile sur toile, 152 × 103 cm, Museum of Fine Arts, Boston.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

 

Contexte historique

Gretchen Osgood (1868-1961) est une poétesse, actrice et chanteuse américaine. Elle est la fille aînée du docteur Hamilton Osgood et de Margaret Cushing Pearmain (1847-1941), elle-même poétesse. Pendant l’enfance des sa fille, son père étudie la chirurgie en Allemagne et travaille avec Louis Pasteur à Paris. Il introduit aux États-Unis le vaccin antirabique de Pasteur. Gretchen Osgood a une sœur, Mary (1875-1964), qui épousera l’écrivain nationaliste irlandais Erskine Childers (1870-1922) et sera connue comme écrivaine sous le nom de Molly Childers.

La jeunesse des deux sœurs se passe donc en voyages, au contact de personnalités prestigieuses. Sciences, art, littérature, langues vivantes sont leur quotidien. A Paris, Gretchen Osgood étudie le chant avec Gabriel Fauré (1845-1924) et le théâtre avec Benoît-Constant Coquelin (1841-1909). En 1891, elle épouse Fiske Warren (1862-1938), riche fabricant de papier et philanthrope originaire de Boston, comme les Osgood.

Le portait de Gretchen Osgood par John Singer Sargent a été peint à l’occasion d’un voyage aux États-Unis de l’artiste en 1903. C’est Isabella Stewart Gardner (1840-1924), célèbre collectionneuse, philanthrope et mécène, qui l’invite à venir peindre à Fenway Court, le palais de style vénitien qu’elle a construit dans le quartier Fenway de Boston pour abriter sa collection d’art. Elle met à la disposition de l’artiste la salle gothique du palais transformée provisoirement en atelier. Sargent y peint plusieurs portraits. Fenway Court est devenu Isabella Stewart Gardner Museum et la salle gothique peut aujourd’hui être visitée.

 

 

Isabella Stewart Gardner Museum. Salle gothique

Isabella Stewart Gardner Museum. Salle gothique

 

Les modèles posent sur des fauteuils italiens conservés dans la salle gothique et datant du 17e siècle. La Vierge à l’Enfant placée derrière eux se trouve toujours dans la salle.

 

Fauteuil de Gretchen Warren Osgood

Fauteuil de Gretchen Warren Osgood

 

 

Fauteuil de Rachel Warren

Fauteuil de Rachel Warren

 

 

Atelier de Lorenzo Ghiberti. Vierge à L’Enfant (1425-1455)Atelier de Lorenzo Ghiberti. Vierge à L’Enfant (1425-1455)

 

Des photos ont été prises pendant les séances de pose.

 

 

John Singer Sargent et ses modèles en 1903

John Singer Sargent et ses modèles en 1903

 

Analyse de l’œuvre

Ce portrait se situe dans la filiation des portraits classiques cherchant à mettre en évidence le statut social du modèle. Singer Sargent répond donc à une demande conformiste, qui était déjà celle de la noblesse du 16e siècle. Cette approche du portrait vivait ses derniers jours puisque la photographie se substituait progressivement à la peinture pour la fonction de représentation. Aussi, certains artistes avaient-ils déjà envisagé l’art du portrait comme la perception d’un élément dominant de personnalité, le milieu social ne jouant plus qu’un rôle marginal. Le célèbre portrait du Docteur Gachet par Vincent Van Gogh (1890) ou encore Faaturuma (mélancolique) par Paul Gauguin (1891) se rattachent à ce type de portraits.

Mais bien évidemment, la bourgeoisie de la Belle Époque, aussi cultivée fut-elle, comme c’était le cas des Osgood, restait en 1903 prisonnière d’un certain formalisme académique cherchant à valoriser l’appartenance à une classe sociale par les étoffes luxueuses et les meubles d’exception. C’est d’ailleurs Singer Sargent lui-même qui a insisté pour noyer ses modèles dans le satin rose, Gretchen Osgood ayant choisi initialement une robe de velours vert. L’arrière-plan confirme l’approche socio-culturelle de l’artiste. Les fauteuils du 17e siècle encadrent assez lourdement les deux figures et la Vierge à l’Enfant constitue à l’arrière-plan une évocation de la relation maternelle dans la religion chrétienne.

 

 

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

 

L’artiste ne pouvait évidemment plus se permettre au début du 20e siècle de peindre comme le faisait Ingres au milieu du siècle précédent (voir par exemple Princesse Albert de Broglie, 1853). Le style de Singer Sargent est donc résolument moderne, c’est-à-dire marqué par l’impressionnisme dont il avait subi l’influence dans sa jeunesse.

 

 

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

 

Ce plan rapproché permet d’appréhender les touches épaisses simulant le moiré de l’étoffe et l’empâtement blanc sur le bras du fauteuil destiné à évoquer un reflet. Il s’agit bien de la technique impressionniste visant à suggérer la perception de l’artiste et non d’une tentative de représentation minutieuse par la pure virtuosité du peintre. Le portait est bien reçu par la critique de l’époque qui le considère comme « non seulement charmant à regarder, mais… habile et intéressant » et qui relève « la note d’authenticité et de tendresse humaine » qui en émane.

La perception que nous avons aujourd’hui de ce portrait ne correspond pas à celle de l’époque. C’est une comédie de l’amour maternel pour les besoins d’un portrait qui nous apparaît immédiatement. Les regards mélancoliques vers les lointains constituent une convention artistique trop évidente. Les modèles semblent supporter la contrainte de la pose mais leur intériorité transparaît dans le regard figé. Pas une ébauche de sourire, comme il était assez courant dans les portraits du 18e siècle (par exemple Maurice Quentin de la Tour, Marie Fel, 1752-53), pas une lueur de joie dans les yeux, même dans ceux de Rachel qui n’a que douze ans. Le peintre perçoit une certaine mélancolie derrière les beaux atours de la haute bourgeoisie.

 

 

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

John Singer Sargent. Mme Fiske Warren et sa fille Rachel, détail (1903)

 

De toute évidence, il ne s’agit pas d’un moment de tendresse entre Rachel et sa mère, mais d’une séance de pose, difficilement supportée par les deux modèles. Regards vides et raideur conventionnelle ne permettent pas d’en douter. Le peintre a demandé à Rachel de placer sa tête sur l’épaule de sa mère et de glisser sa main sur son bras ; elle s’exécute dans l’indifférence. John Singer Sargent, grand virtuose de la peinture, semble nous signifier que richesse, culture et statut social élevé ne sont pas synonymes de bonheur.

 

Quelques exemples de portraits de famille à partir du 16e siècle

Le portrait de famille permet d’écarter la solennité du portrait officiel du chef de famille, parfois accompagné de son épouse, destiné à être transmis aux descendants. La présence des enfants fait affleurer l’émotion et parfois la fantaisie.

 

Holbein le Jeune. La famille de l'artiste (1528)

Holbein le Jeune. La famille de l'artiste (1528). Huile sur papier marouflé sur bois, 77 × 64 cm, Öffentliche Kunstsammlung, Bâle. Portrait de la femme de Holbein le Jeune, Elsbeth Binzenstock, et de leurs deux enfants aînés, Philipp (six ans) et Katharina (deux ans). Les figures ont été découpées dans le courant du 16e siècle puis collées sur un panneau de bois à fond sombre. Il est probable qu'à l'origine, il existait sur le papier qui a été enlevé un arrière-plan plus décoratif.

Sofonisba Anguissola. La partie d’échecs (1555)

Sofonisba Anguissola. Les sœurs Anguissola jouant aux échecs (1555). Huile sur toile, 72 × 97 cm, Muzeum Narodowe, Poznan. Le portrait devient ici scène de genre. Lucia, à gauche, est opposée à Minerva, à droite. Europa, au centre, sourit en regardant Minerva à laquelle sa sœur a pris deux pièces. Une servante observe la scène sur la droite. L'arrière-plan est constitué d'un feuillage et d'un paysage imaginaire donnant de la profondeur à la composition. Les mouvements de Minerva restent assez rigides mais les expressions sur les visages sont remarquables et les détails des vêtements d'une grande finesse.

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Van Dyck. Portrait de Famille (1621)

Antoine Van Dyck. Portrait de Famille (1621). Huile sur toile, 114 × 94 cm, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Van Dyck n’a que 22 ans et conserve le style de son maître Rubens. L’élégance des mains est mise en évidence pour souligner l’appartenance à l’aristocratie ou à la haute bourgeoisie. On a longtemps pensé qu'il s'agissait de la famille de Frans Snyders. Mais Snyders n'avait pas d'enfant.

Rubens. Hélène Fourment et son fils Frans (1633)

Pierre Paul Rubens. Hélène Fourment et son fils Frans (1633). Huile sur bois, 146 × 102 cm, Alte Pinakothek, Munich. Ce tableau très personnel révèle un Rubens intimiste capable de peindre la tendresse et la jeunesse avec un chromatisme d'une stupéfiante délicatesse. Malgré le titre, l'enfant n'est pas Frans mais Clara-Johanna comme le confirme un dessin préparatoire.

Hyacinthe Rigaud. La famille Léonard (1692)

Hyacinthe Rigaud. La famille Léonard (1692). Huile sur toile, 126 × 154 cm, musée du Louvre, Paris. Il s’agit de l’imprimeur du roi, Pierre-Frédéric Léonard, de son épouse Marie-Anne des Essarts et de leur fille. L’enfant n’est présent que pour témoigner de la réussite du mariage. Les riches bourgeois parisiens adoptent la tenue des aristocrates pour leur portrait officiel qui trônera sur le mur de leur salon.
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Elisabeth Vigée Le Brun. Mme Vigée Le Brun et sa fille Julie, 1789

Élisabeth Vigée Le Brun. Mme Vigée Le Brun et sa fille Julie (1789). Huile sur toile, 130 × 94 cm, musée du Louvre, Paris. Autoportrait de l’artiste avec sa fille Julie en costumes grecs. Le néoclassicisme battait son plein et l’Antiquité était à la mode. L’amour maternel est le véritable sujet du tableau, qui se démarque ainsi complétement du portrait conventionnel visant à être transmis aux descendants.

Jacques-Louis David. Portrait d’Émilie Sériziat et son fils (1795)

Jacques-Louis David. Portrait d’Émilie Sériziat et son fils (1795). Huile sur bois, 131 × 96 cm, musée du Louvre, Paris. Les époux Sériziat étaient des membres de la belle famille du peintre. David a également peint un portrait du mari Pierre Sériziat. « Emprisonné après le 9 Thermidor comme partisan de Robespierre, David, à sa libération, se réfugia dans la Brie, chez sa sœur et son beau-frère, Pierre Sériziat. Admirable leçon de réalisme, leurs portraits frappent par l'emploi raffiné des tons clairs. » (Notice musée du Louvre)
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Auguste Renoir. Madame Charpentier et ses enfants (1878)

Auguste Renoir. Madame Charpentier et ses enfants (1878). Huile sur toile, 154 × 190 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Madame Charpentier est la femme de Georges Charpentier, un éditeur important de l’époque. Elle pose aux côtés de son fils Paul (trois ans), assis à côté d’elle, et de sa fille Georgette. Les deux enfants ont été habillés de façon identique, en fille, comme il était habituel à l’époque pour les très jeunes garçons de la bourgeoisie. Renoir a tiré parti de la mode du décor japonais pour illuminer sa composition. Le noir de la robe et du chien donne un relief tout particulier à l’ensemble. Le tableau fut présenté au salon de 1879 et connut un grand succès. Le peintre était alors proche de la misère et l’approbation de l’intelligentsia parisienne le réconforta.

Joaquín Sorolla. Promenade au bord de la mer (1909)

Joaquín Sorolla. Promenade au bord de la mer (1909). Huile sur toile, 205 × 200 cm, musée Sorolla, Madrid. « L’eau et le sable de la plage, traitées en larges touches bleu, mauve et turquoise, deviennent une toile de fond abstraite pour les figures élégantes de sa femme et de sa fille Maria. La brise, suggérée par l’ondulation des vêtements, renforce l’impression de fugacité de la scène, à laquelle contribue également le cadrage éminemment photographique qui coupe la capeline de Clotilde et laisse un espace de sable vide dans la partie inférieure. » (Commentaire portail Spain is Culture)
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Henri Lebasque. Le goûter sur la terrasse à Sainte-Maxime (1914)

Henri Lebasque. Le goûter sur la terrasse à Sainte-Maxime (1914). Huile sur toile, 105,4 × 183,5 cm, collection particulière. Le peintre représente un univers familial ne comportant que des femmes et des enfants, afin de mettre l’accent sur l’intimité de la scène. La générosité de la nature apparaît dans les fruits dispersés sur la table, les grappes de raisins étant encore ornées de leurs feuilles. Henri Lebasque insère de cette façon une nature morte dans sa scène de genre. Il y place aussi un paysage méditerranéen. La terrasse surplombe un vaste panorama maritime. Le peintre laisse les visages tout à fait indistincts. Comme dans la peinture religieuse du 15e siècle, où tous les saints avaient le même visage, les trois femmes ne se distinguent nullement par des caractéristiques faciales. Lebasque ne s’intéresse pas à la psychologie individuelle mais aux rapports entre l’homme et son milieu naturel. Le ressenti subjectif de chacun n’est pas son propos. Mais tous se sentent en harmonie avec le lieu.

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