Sofonisba Anguissola. La partie d’échecs (1555)

 
 
 

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Patrick AULNAS

Sofonisba Anguissola est une des très rares femmes ayant accompli une véritable carrière artistique au 16e siècle. L’époque était farouchement hostile à la notion même de femme artiste, que l’Église regardait comme un dévoiement.

 

Sofonisba Anguissola. La partie d’échecs (1555)

Sofonisba Anguissola. La partie d’échecs (1555)
Huile sur toile, 72 × 97 cm, Muzeum Narodowe, Poznan.

Contexte de l’œuvre

La famille Anguissola appartient à la petite noblesse de Crémone, ville de Lombardie en Italie du nord. Amilcare, le père de Sofonisba, est un homme cultivé et ouvert d'esprit, un humaniste du 16e siècle qui s'intéresse à l'Antiquité. Aussi donne-t-il à ses filles une éducation orientée vers la culture et comportant lecture, dessin et musique. La famille comporte six filles et un garçon, Sofonisba étant l’aînée. Dès l’âge de quinze ans, vers 1546, Sofonisba et sa jeune sœur Elena étudient la peinture auprès d’un peintre de Crémone, Bernardino Campi. Plus tard, elle complète sa formation à Rome puis commence à être remarquée par des commanditaires. Elle deviendra la portraitiste de la cour d’Espagne entre 1559 et 1578.

La partie d’échecs est donc une œuvre de jeunesse créée avant la gloire acquise auprès du roi d’Espagne Philippe II (1527-1598) et de sa jeune épouse, Elisabeth de Valois (1545-1568), dont Sofonisba fut la dame d’honneur et l’amie, les deux femmes ayant approximativement le même âge.

 

Analyse de La partie d’échecs de Sofonisba Anguissola (1555)

L’œuvre de Siofonisba Anguissola comporte essentiellement des portraits car les scènes historiques, mythologiques ou religieuses n’étaient pas accessibles aux femmes à cette époque. Elles nécessitaient un apprentissage dans des ateliers composés d’hommes, qu’une femme ne pouvait fréquenter. Mais la jeune artiste cherche ici à concilier portrait de groupe à caractère familial et scène de genre avec un sens aigu de l’observation et un niveau technique auquel peu d’artistes parvenaient.  C’est sans doute la raison de la célébrité de ce tableau.

Cette partie d’échecs oppose deux sœurs Anguissola. Lucia, à gauche, joue contre Minerva, à droite. Europa, au centre, sourit en regardant Minerva à laquelle sa sœur a pris deux pièces. Sur la droite, une servante, Cornelia Appiani, observe la scène. L'arrière-plan est constitué d'un feuillage de chêne et d'un paysage imaginaire donnant de la profondeur à la composition.

L’artiste a centré sa composition sur le jeu des regards. Europa, la cadette, regarde en souriant Minerva, à droite, qui semble en posture difficile. Malgré sa victoire, Lucia, à gauche, reste sereine et regarde Sofonisba, hors cadre, occupée à peindre la scène. La servante sourit discrètement en observant le jeu d’échecs. Si elle n’en comprend pas les règles, elle apprécie la joute entre les deux sœurs.

Le thème choisi, le jeu d’échecs entre deux jeunes filles, ne manque pas d’originalité. Si les femmes de la noblesse n’étaient pas exclues de ce jeu, il était malgré tout plutôt réservé aux hommes. Son caractère stratégique en faisait un simulacre de conflit guerrier et les aptitudes intellectuelles nécessaires étaient considérées comme l’apanage de la gent masculine. Le choix de Sofonisba Anguissola résulte donc d’un milieu familial très ouvert dans lequel la culture et l’intelligence étaient valorisées, même pour les filles. Une telle approche éducative ne peut exister au 16e siècle que chez des humanistes sensibles aux apports de la Renaissance.

Le tableau met d’ailleurs en évidence le statut privilégié des sœurs Anguissola. Dans une société divisée en ordres, la petite noblesse se situe à un niveau très supérieur à tous ceux qui doivent travailler pour vivre. Les riches vêtements de brocart, c’est-à-dire tissés de fils d’or et d’argent, que portent les trois sœurs contrastent avec la tenue simple de la servante. La coiffure des sœurs Anguissola correspond à la mode aristocratique de l’époque, que l’on retrouve dans de nombreux tableaux. Elles portent chacune un diadème composé de perles et de pierres précieuses.

 

Sofonisba  Anguissola. La partie d'échecs, détail (1555)

Sofonisba  Anguissola. La partie d'échecs, détail (1555)

Lorsqu’elle peint La partie d’échecs, Sofonisba Anguissola a environ vingt-trois ans et, malgré un don évident pour la peinture, elle doit encore faire beaucoup de progrès. Certaines maladresses subsistent. Les mouvements des bras de Minerva restent assez rigides, en particulier le bras levé qui n’est pas placé dans une position morphologiquement correcte. Pour représenter l’échiquier, l’artiste a choisi une vue en plongée. L’observateur se situe un peu au-dessus de la scène. Mais Sofonisba n’a pas parfaitement maîtrisé la position de la table qui semble penchée vers l’observateur. Ces quelques imperfections n’altèrent en rien l’essentiel qui réside dans les expressions des visages. Le sourire d’Europa et le regard qu’elle dirige vers Minerva sont d’une justesse tout à fait remarquables. Les détails des vêtements et des coiffures, d’une grande finesse, relèvent du savoir-faire d’une grande artiste du 16e siècle.

 

Sofonisba  Anguissola. La partie d'échecs, détail (1555)

Sofonisba  Anguissola. La partie d'échecs, détail (1555)

 

Une grande artiste reconnue par tous au 16e siècle

Le talent de Sofonisba Anguissola fut admiré par tous de son vivant, comme le rapporte Giorgio Vasari (*) :

« Cette année, j’ai vu chez son père un tableau où elle a peint ses trois sœurs jouant aux échecs devant une vieille gouvernante. Ces figures paraissent vraiment vivantes […] A Plaisance, l’archidiacre de la cathédrale possède, de la main de Sofonisba, deux portraits auxquels il ne manque que la parole. »

Toujours selon Vasari, le pape Pie IV, ayant reçu un portrait de la reine d’Espagne exécuté par Sofonisba, lui écrit en 1561 :

« Nous avons reçu le portrait de la sérénissime reine d'Espagne, notre très chère fille, que vous nous avez envoyé. Il nous a été très agréable, tant parce qu'il a été fait de votre main avec une rare habileté, que parce qu'il représente une personne que nous aimons paternellement à cause de sa religion et des autres qualités de son âme. Nous vous en remercions, en vous certifiant que nous le tiendrons parmi les choses les plus précieuses, comme une preuve de votre talent qui, tout merveilleux qu'il est, forme, selon nous, le moindre de vos mérites. »

 

Autres compositions sur le thème des jeux de société

Les jeux de société et la tricherie constituent des thèmes fréquents en peinture. Mais les femmes sont beaucoup moins présentes que les hommes.

Lucas van Leyden. Le jeu d’échecs (v. 1508)

Lucas van Leyden. Le jeu d’échecs (v. 1508). Huile sur bois, 27 × 35 cm, Gemäldegalerie, Berlin.

Caravage. Les Tricheurs (1594-95).

Caravage. Les Tricheurs (1594-95). Huile sur toile, 92 × 129 cm, Kimbell Art Museum, Fort Worth.

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Georges de La Tour. Le Tricheur à l'as de carreau (vers 1635)

Georges de La Tour. Le tricheur à l’as de carreau (v. 1635). Huile sur toile, 106 × 146 cm, musée du Louvre, Paris.

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Thomas Eakins. Les joueurs d’échecs (1876)

Thomas Eakins. Les joueurs d’échecs (1876). Huile sur bois, 29,8 × 42,6 cm, Metropolitan Museum of Art.

Paul Cézanne. Les joueurs de cartes (1890-95)

Paul Cézanne. Les joueurs de cartes (1890-95). Huile sur toile, 47,5 × 57 cm, musée d’Orsay, Paris.

 

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(*) Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (première édition 1550, remaniée en 1568, traduction Leclanché, 1841)

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