Le paysage au 18e siècle

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Patrick AULNAS

0. L'art du paysage, définition et panorama historique
1. L'art du paysage dans l'Antiquité
2. L'art du paysage au Moyen Âge
3. L'art du paysage au 15e siècle
4. L'art du paysage au 16e siècle
5. L'art du paysage au 17e siècle
6. L'art du paysage au 18e siècle
7. L'art du paysage au 19e siècle
8. L'art du paysage aux 20e & 21e siècles

 

6. L'art du paysage au 18e siècle

La peinture de paysage ne connaît pas au 18e siècle les évolutions majeures que l'on a connues aux 16e et 17e siècles. Les deux grands types de paysages subsistent et sont adaptés par les artistes en fonction des modes. Ainsi, Watteau ou Gainsborough s'inspirent-ils du paysage hollandais ou flamand, plus réaliste, alors que Pierre-Henri de Valenciennes ou Francesco Zuccarelli se situent dans le prolongement du paysage arcadien. Les italiens, en mettant l'accent sur le paysage urbain (les vedute), sont probablement encore les principaux innovateurs en matière de composition. Quant aux français, ils se libèrent des contraintes académiques du règne de Louis XIV.

 

France : les sentiments supplantent la raison

  Boucher. Un Été pastoral,1749

François Boucher. Un Eté pastoral (1749)
Huile sur toile, 259,5 × 198,5 cm, Wallace Collection, Londres.

 

Après la mort de Louis XIV en 1715, les normes très strictes imposées par l'Académie de peinture et de sculpture sont remises en cause. Un engouement pour la peinture hollandaise et flamande se fait jour et le « grand goût » paraît démodé. Il ne s'agit pas seulement d'une inflexion de la mode, mais d'une évolution de la sensibilité qui a été analysée par les penseurs de l'époque. Ainsi, en 1719, l'abbé Du Bos (1670-1742) publie les Réflexions critiques sur la poésie et la peinture qui renouvellent la conception de l'art. Celui-ci n'est plus, comme au temps du classicisme français, une manière de domestiquer la nature par la raison en puisant en elle la quintessence de la beauté, mais une façon d'exprimer des sentiments et d'émouvoir. Les sentiments, voire même la sensualité, ont une légitimité plus forte que la raison. Une telle profession de foi ne pouvait manquer de susciter l'opposition des tenants de la tradition classique, mais elle allait dans le sens de l'histoire.

 

Les fêtes galantes

Les fêtes galantes furent la première manifestation de cette nouvelle tendance. Il s'agit de scènes de rencontre entre des personnes appartenant à l'élite de la société et évoluant dans un cadre naturel : parc, jardin, île idyllique. La nature n'y est pas domestiquée comme dans les tableaux de Lorrain ou Poussin, mais beaucoup plus proche de celle des peintres hollandais. Par contre l'atmosphère générale du tableau est celle de la peinture vénitienne du siècle précédent qui cherchait à suggérer le locus amoenus antique. Les fêtes galantes, dont Antoine Watteau fut l'initiateur, constituent ainsi une remarquable synthèse de la peinture nordique, par le réalisme de la nature représentée, et de la peinture italienne, par la recherche du lieu idyllique propre aux rencontres amoureuses.

La peinture de Watteau permet aussi de faire émerger un art du paysage qui n'impose pas la présence de scènes mythologiques ou religieuses, aussi accessoires soient-elles. Pour respecter les standards académiques, la peinture française de paysage était jusqu'alors astreinte à cette obligation et même si les plus grands cherchaient parfois à s'en affranchir, ils maintenaient dans leurs compositions des personnages habillés à l'antique : voir par exemple Nicolas Poussin, Paysage avec homme buvant (1637-38). Cette liberté nouvelle avait été clairement énoncée par Roger de Piles (1635-1709) dans son Cours de peinture par principes de 1708. Selon de Piles, il suffisait que les figures représentent « quelque petit sujet » qui visait essentiellement à « éveiller l'attention du spectateur ou à donner au moins un nom au tableau, de sorte que les intéressés puissent le distinguer d'autres œuvres. » (*)

Watteau. La Proposition embarrassante, 1715-16

Antoine Watteau. La Proposition embarrassante (1715-16). Huile sur toile, 65 × 85 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Le paysage joue un grand rôle dans les fêtes galantes. Watteau rompt cependant avec le paysage classique français, représenté par Claude Lorrain et Nicolas Poussin en particulier. Stylistiquement, il s'inspire plutôt du paysage nordique (flamand, hollandais) dans lequel il place des personnages de l'aristocratie française, richement vêtus et oisifs. Les nordiques, réalistes, choisissent des personnages occupés à des tâches quotidiennes. Watteau illustre ainsi la quintessence de la légèreté française, mais aussi toute la poésie qu'elle induit.

 
Watteau. La Gamme d'amour, 1717

Antoine Watteau. La gamme d'amour (1717). Huile sur toile, 51,3 × 59,4 cm, National Gallery, Londres. Au début du 18e siècle, la guitare remplace le luth. Cet instrument à la mode apparaît dans un certain nombre de toiles de Watteau. Le tableau correspond au moment précédant immédiatement la représentation musicale : la chanteuse donne le ton initial et l'accompagnateur trouve l'accord correspondant. La composition en diagonale sur fond de paysage idyllique se caractérise par les couleurs pastel et le soin apporté à la restitution des tissus moirés.

 
Watteau. Pèlerinage à l’Île de Cythère, 1717

Antoine Watteau. Pèlerinage à l'Île de Cythère (1717). Huile sur toile, 129 × 194 cm, musée du Louvre, Paris. Cythère est une île grecque de la mer Égée, mais dans la mythologie grecque elle est l'île dont les eaux ont vu naître Aphrodite, la déesse de l'Amour. Cette île a donc abondamment inspiré les artistes : poètes, musiciens et peintres. Le tableau de Watteau représente le moment du retour d'un pèlerinage à Cythère de jeunes gens élégants. Le couple situé au centre exprime le regret de l'instant du départ ; on perçoit la mélancolie sur le visage de la femme. La statue d'Aphrodite est représentée à droite avec ses attributs : des guirlandes de roses et le carquois de flèches utilisées par son fils Éros. Le couple assis à côté de la statue d'Aphrodite semble ignorer le départ. Les pèlerins qui descendent vers la mer sont également par couples absorbés dans un dialogue amoureux. Pour les contemporains, le tableau signifie Pèlerinage à l'île de l'Amour et il évoque à la fois les félicités et la fugacité du sentiment amoureux.

Boucher. Un Été pastoral,1749

François Boucher. Un Eté pastoral (1749). Huile sur toile, 259,5 × 198,5 cm, Wallace Collection, Londres. Ces scènes pastorales, prolongement des fêtes galantes de Watteau, connurent un grand succès. Une jeune femme appartenant à l'aristocratie ou à la haute bourgeoisie, mais les pieds nus, écoute un pâtre jouer de la cornemuse. Celui-ci regarde la jeune personne avec tendresse tandis que la bergère semble s'en défier. Les mimiques des personnages pouvaient susciter mille commentaires. Le paysage entièrement boisé comporte un étang et un édifice circulaire à l'arrière-plan et les animaux domestiques ne sont pas oubliés. Scène paisible et tendre : il s'agit du locus amoenus revisité.

 
Fragonard. Les Hasards heureux de l'Escarpolette, 1767

Jean-Honoré Fragonard. Les hasards heureux de l'escarpolette (1767). Huile sur toile, 81 × 64 cm, Wallace Collection, Londres. La composition de cette œuvre est magistrale avec, au centre, les roses et les blancs du personnage féminin sur fond de paysage luxuriant et vaporeux. Les deux diagonales représentent le mouvement : amant caché au pied de la statue, maîtresse sur la balançoire et cordes de la balançoire, d'une part, mari trompé, cordes d'impulsion et soulier de la femme qui s'envole, d'autre part. Ce tableau avait été commandé à Fragonard peu après son admission à l'Académie. Un courtisan souhaitait être représenté avec sa maîtresse comme un amant secret caché dans un buisson. A l'origine, un évêque devait pousser la balançoire de la jeune femme. Mais Fragonard recula devant cet aspect anticlérical qui pouvait lui être préjudiciable et remplaça fort heureusement l'ecclésiastique par le mari. La scène gagne ainsi une connotation plus galante, voire érotique, selon certains. Elle est surtout malicieuse, comme une scène de théâtre où les amants se jouent du mari trompé.

 

Retour à la nature et néoclassicisme

Vers le milieu du 18e siècle, un regard nouveau sur la nature apparaît en littérature à la suite de la publication en 1750 du Discours sur les sciences et les arts de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : la société du 18e siècle, régie par de multiples règles sociales, ne vaut pas l'état de nature où l'homme pouvait être libre et heureux. Cette idéalisation d'une nature primitive et purement imaginaire trouve un grand écho dans le public cultivé de l'époque. Une nouvelle approche de la nature se fait jour : le jardin à l'anglaise remplace le jardin à la française, la dimension esthétique et émotive de la nature vierge ne doit plus échapper à l'amateur d'art.

Mais simultanément apparaît un regain d'intérêt pour l'Antiquité à la suite des découvertes archéologiques importantes faites à Pompéi, Herculanum et Paestum vers le milieu du 18e siècle. Le retour à l'Antique était une tendance présente dès le début du siècle en Allemagne et en Angleterre, mais la France avait fait preuve d'originalité en choisissant le rococo. Elle sera rattrapée par le goût de l'Antiquité à partir de 1760 environ. Ce néoclassicisme touche d'abord l'architecture puis se propage à la peinture. Le goût des ruines antiques sera particulièrement célébré par Hubert Robert.

L'art du paysage comporte ainsi de multiples aspects dans la seconde moitié du 18e siècle, mais le paysage néoclassique domine de plus en plus, avec des artistes comme Joseph Vernet (1714-1789), Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819), Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758-1846).

Joseph Vernet. Vue du golfe de Naples (1748)Joseph Vernet. Vue du golfe de Naples (1748). Huile sur toile, 100 × 198 cm, Musée du Louvre-Lens, Lens. Joseph Vernet était un admirateur de Poussin mais parvint à imposer un style personnel dans lequel le ciel tient une place importante. Il peuple ses paysages de petits personnages permettant de donner de l'animation au lieu. Il s'agit de paysages panoramiques inspirés de certains tableaux de Claude Lorrain où l'on aurait remplacé les architectures antiques par celles du 18e siècle.

Joseph Vernet. La ville et le port de Toulon (1756)Joseph Vernet. La ville et le port de Toulon (1756). Huile sur toile, 165 × 263 cm, Musée du Louvre, Paris. Vernet reçut de Louis XV une commande de 24 tableaux des ports de France, mais ne parvint à en réaliser que 15. « Ce tableau de la série des Ports de France est la deuxième vue de Toulon peinte par Vernet, conformément aux instructions officielles réclamant deux tableaux pour chaque port. Ce fut pour l'artiste un tour de force que de concilier l'aspect documentaire requis avec sa vision personnelle et de se renouveler à chaque fois. » (Notice musée du Louvre)

Pierre-Henri de Valenciennes. L'ancienne ville d'Agrigente, Paysage composé (1787)Pierre-Henri de Valenciennes. L'ancienne ville d'Agrigente, Paysage composé (1787). Huile sur toile, 110 × 164 cm, musée du Louvre, Paris. Pierre-Henri de Valenciennes est l'un des grands spécialistes du paysage historique dans la lignée des grands peintres du 17e siècle français. En 1816, sous son influence, un prix du Paysage Historique sera créé à l'École royale des Beaux-Arts. Il propose ici un paysage recomposé à la manière de Claude Lorrain, comportant une vue imaginaire de l'antique cité d'Agrigente en Sicile, fondée au 6e siècle avant J.-C. La présence de quelques ruines et de figures habillées à l'Antique, dans la tradition de la peinture classique française, est conforme au goût dominant de la fin du 18e siècle.

Pierre-Henri de Valenciennes. Cicéron découvrant le Tombeau d'Archimède (1787)Pierre-Henri de Valenciennes. Cicéron découvrant le Tombeau d'Archimède (1787). Huile sur toile, 119 × 162 cm, musée des Augustins, Toulouse. Pierre-Henri de Valenciennes composait ses paysages en atelier mais il prenait des esquisses à l'huile sur le vif. Il s'agit donc ici d'un paysage imaginaire mais réalisé en agençant des éléments proches de la réalité observée. L'anecdote antique permet de  souligner le caractère néoclassique.

Pierre-Henri de Valenciennes. Bâtiments de ferme à la Villa Farnèse: les deux peupliers (1780)Pierre-Henri de Valenciennes. Bâtiments de ferme à la Villa Farnèse: les deux peupliers (1780). Huile sur papier, 25 × 38 cm, musée du Louvre, Paris. Dans un traité publié en 1799 et intitulé  Éléments de perspective pratique à l'usage des artistes, Pierre-Henri de Valenciennes propose, à côté des catégories traditionnelles du « paysage héroïque » et du « paysage pastoral », le concept de  « paysage-portrait ». Cette expression désigne la reproduction fidèle du paysage que l'artiste a sous les yeux et suppose donc une peinture sur le motif. Valenciennes est ainsi un précurseur des peintres de l'école de Barbizon que suivront plus tard les impressionnistes. Cette composition se rattache à cette catégorie et se veut donc la reproduction topographique de bâtiments de ferme italiens. Mais la présence des deux peupliers structure la composition et ils peuvent avoir été placés à dessein au premier plan.

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Vue de l'île de Sora (1793)Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Vue de l'île de Sora (1793). Huile sur toile, 113 × 144 cm, musée du Louvre, Paris. « Exposé sous ce titre au Salon de 1793, ce tableau représente en fait le village d'Isola del Liri et le château de Buoncompagni, près de Sora. Il a été peint à la suite d'un prix d'encouragement décerné par la Nation en 1792 pour pallier l'absence des clients habituels des artistes, exilés ou ruinés sous la Révolution. » (Notice musée du Louvre) Les paysages néoclassiques de Bibauld connurent un grand succès et il fut le premier artiste à entrer à l'Académie des Beaux-arts en 1823 dans la spécialité de peintre de paysages.

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806)Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806). Huile sur toile, 87,6 × 128,3 cm, Indianapolis Museum of Art. Ce paysage reste classique par l'équilibre de la composition et le chromatisme très retenu, mais il est déjà romantique par l'ambiance. Bidauld maîtrise admirablement les effets de lumière sur l'herbe, à travers les arbres et sur la surface de l'eau.

Analyse détaillée

Hubert Robert. Ruines antiques utilisées comme bains publics (1798)Hubert Robert. Ruines antiques utilisées comme bains publics (1798). Huile sur toile, 133 × 194 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Hubert Robert fut surnommé Robert des ruines car une grande partie de son œuvre concerne les ruines antiques réelles (le pont du Gard, la Maison carrée de Nîmes, etc.) ou imaginaires. Cette scène totalement imaginaire permet au peintre de situer des bains publics dans des ruines antiques. La composition est un modèle d'une remarquable efficacité de lumière arcadienne qui associe un premier plan subtilement ombragé et un arrière-plan en pleine lumière.

Hubert Robert. La Passerelle (1775)Hubert Robert. La Passerelle (1775). Huile sur toile, 59 × 47 cm, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid. L'influence de Jean-Jacques Rousseau conduit Robert vers des paysages élégiaques. Cette composition reflète bien la philosophie rousseauiste de l'homme vivant en harmonie avec la nature. Les constructions humaines s'insèrent harmonieusement dans une nature accueillante que l'on peut admirer ou dessiner comme le fait le personnage assis au premier plan. Mais le rêve de Rousseau, transposé sur la toile par Robert, conserve toute sa force poétique.

Hubert Robert. Tombeau de J.J. Rousseau dans le parc d'Ermenonville (1802)Hubert Robert. Tombeau de J.J. Rousseau dans le parc d'Ermenonville (1802). Huile sur toile, 53,3 × 54,8 cm, collection particulière. Le marquis de Girardin, qui avait accueilli Rousseau (1712-1778) à Ermenonville, demanda à Hubert Robert de collaborer à l'aménagement de son parc. Le peintre a réalisé plusieurs vues du parc avec, sur l'île des Cygnes, le tombeau de Jean-Jacques entouré de peupliers. En 1794, la dépouille de l'écrivain fut transférée au Panthéon, mais l'île des Cygnes demeura dans l'imaginaire le refuge idéal des âmes sensibles.

 

 

Italie : Capricci et vedute

Canaletto. Le Grand Canal et l'Eglise de la Salute, 1730

Canaletto.Le Grand Canal et l'Église de la Salute (1730)
Huile sur toile, 49,5 × 72,5 cm, Museum of Fine Arts, Houston.

 

Le goût des voyages se développe au 18e siècle dans la classe aisée. Alors que le voyage était auparavant une contrainte que l'on n'acceptait que pour des raisons religieuses (pèlerinage), politique (diplomatie, guerre), ou utilitaires (commerce), il devient un art de vivre, une source d'enrichissement culturel et personnel par la découverte d'autres cultures et la rencontre d'autres types d'individus.

Il devint ainsi coutumier d'envoyer les jeunes aristocrates européens, mais surtout britanniques, faire un Grand Tour d'Europe après leurs études. Il s'agissait de les confronter à des sociétés différentes tout en restant dans leur milieu social. On encourageait les jeunes gens à s'intéresser aux institutions politiques, à l'architecture, à la peinture de leur pays de séjour. Ils pouvaient aussi nouer des contacts avec d'autres aristocrates promis aux hautes fonctions politiques, militaires ou diplomatiques. Les voyageurs devaient, lors de leur séjour à Rome, faire réaliser leur portrait par une gloire locale. Un aristocrate anglais ne devenait un « compleat gentleman » qu'après avoir effectué son Grand Tour. Les pays de séjour étaient principalement la France, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne et les Pays-Bas.

Cette pratique éducative aura une influence sur les artistes locaux. Beaucoup d'œuvres picturales italiennes du 18e siècle correspondent au goût britannique et certaines ont émigré vers l'Angleterre. Il est en effet fréquent de voir la haute aristocratie britannique installée en Italie (diplomates, consuls, etc.) jouer le rôle de mécène pour les grands artistes italiens. Joseph Smith (1674-1770), qui fut consul britannique à Venise de 1744 à 1760 et collectionneur lui-même, se fit le promoteur auprès de la haute société anglaise de grands artistes italiens comme Francesco Zuccarelli ou Canaletto. En 1762, il vend sa collection au roi George III. Elle est encore aujourd'hui dans la Royal Collection, essentiellement au château de Windsor.

Trois grands types de paysages peuvent être recensés dans la production italienne de l'époque : les vedute, les capricci et les paysages arcadiens. La veduta (vedute au pluriel) est une représentation réaliste, aussi exacte que possible, du paysage urbain. L'objectif de fidélité se traduit par une méthode de travail à l'extérieur reposant sur l'observation et la prise de multiples croquis préparatoires. Le tableau est ensuite réalisé en atelier. L'artiste se réserve cependant une certaine liberté et il ne faut pas rechercher dans les vedute une parfaite exactitude topographique. Il s'agit de magnifier un paysage urbain. Pour les jeunes aristocrates du Grand Tour, les vedute sont des souvenirs qu'ils rapportent dans leur pays, équivalent de nos photographies ou vidéos.

Les capricci (capriccio au singulier) sont des compositions mettant en scène des personnages ou des épisodes de la tradition chrétienne sur fond de ruines antiques. Il s'agit de paysages imaginaires assemblant des éléments plus ou moins inspirés du réel. Le retour à l'Antique caractérisant le 18e siècle, ce sont surtout des ruines de l'Antiquité romaine qui servent de cadre à des scènes bibliques ou mythologiques.

Enfin le paysage arcadien ou idyllique reste prisé depuis le 16e siècle et il bénéficie désormais d'une longue tradition à la fois italienne et française puisque de grands artistes comme Nicolas Poussin et Claude Lorrain ont passé l'essentiel de leur vie à Rome.

Canaletto. Le Grand Canal et l'Eglise de la Salute, 1730

Canaletto. Le Grand Canal et l'Église de la Salute (1730). Huile sur toile, 49,5 × 72,5 cm, Museum of Fine Arts, Houston. Canaletto (1697-1768) est le plus connu des vedutistes italien et son succès auprès des anglais fut considérable au 18e siècle. « Canaletto était un artiste extraordinairement brillant qui améliorait délicatement le thème traité en omettant certains détails soigneusement choisis afin de se concentrer sur l'essentiel. Ses belles couleurs combinent subtilement toutes les nuances que l'on peut associer à Venise, qu'il s'agisse de la ville réelle, de sa mémoire ou de son idéalisation. Exécutées en atelier à partir d'études, ses peintures sont, par conséquent, plus que des restitutions topographiques. Ce sont de pures recréations intellectuelles. » (Notice musée des Beaux-Arts de Houston) 

 
Canaletto. The Thames and the City of London from Richmond House, 1747

Canaletto. La Tamise et la City de Londres vues de Richmond House (1747). Huile sur toile, 105 × 117,5 cm, collection particulière. Canaletto vécut à Londres de 1746 à 1750 et y réalisa de nombreuses vedute. Le cours majestueux de la rivière, avec en arrière-plan la cathédrale Saint-Paul, se combine à la lumière matinale et au ciel serein. Canaletto traite ce paysage londonien avec la limpidité qu'il avait déjà utilisée à Venise. Au premier plan apparaissent les terrasses de Richmond House et, à gauche, celles de Montagu House.

 
Pannini. Ruines avec Saint-Paul prêchant, 1735

Giovanni Paolo Pannini. Ruines avec Saint-Paul prêchant (1735). Huile sur toile, 63 × 48 cm, Musée du Prado, Madrid. Giovanni Paolo Pannini (1691-1765) est un des grands spécialistes des capricci et des vedute.  Le peintre se propose ici de nous faire revivre un épisode biblique en le situant dans les ruines l'Antiquité romaine subsistant encore au 18e siècle. Mais il ne faut pas chercher une exactitude archéologique dans la représentation de ces ruines.

 Pannini. La Place et l'Eglise de Santa-Maria Maggiore, 1744Giovanni Paolo Pannini. Place et Église de Santa Maria Maggiore (1744). Huile sur toile, 254 × 265 cm, Palazzo Quirinale, Rome. La basilique Santa Maria Maggiore est la plus ancienne église romane de Rome consacrée à la Vierge. Elle appartient au Vatican. L'art d'illuminer le paysage urbain en jouant sur le contraste entre les ombres et le ciel bleu inspirera de nombreux artistes.

 
Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe (1740-50)

Francesco Zuccarelli. L'enlèvement d'Europe (1740-50). Huile sur toile, 142 × 208 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise. Francesco Zuccarelli (1702-1788) fut le protégé de Joseph Smith, le consul britannique à Venise. Celui-ci jouait un rôle d'intermédiaire commercial et permettait au peintre de vendre très cher ses tableaux en Angleterre. Zuccarelli est un spécialiste du paysage arcadien qu'il maîtrise à merveille. Il adapte au goût du 18e siècle le paysage classique de Claude Lorrain avec le souci constant du détail et l'art de la couleur propre aux vénitiens. L'enlèvement d'Europe, épisode de la mythologie grecque, a toujours été considéré comme l'un des chefs-d'œuvre du peintre. Europe est la fille du roi de Tyr, ville de Phénicie (actuel Liban). Zeus, métamorphosé en taureau, la rencontre sur une plage de Sidon. Europe s'approche de lui et est alors emmenée sur l'île de Crète. Sous un platane, elle s'accouple à Zeus (redevenu humain pour la circonstance !). Des enfants naissent et les péripéties divines se poursuivent.

 
Francesco Zuccarelli. Paysage avec femmes à la rivière (1760)

Francesco Zuccarelli. Paysage avec femmes à la rivière (1760). Huile sur toile, 118 × 137 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise. Le thème du locus amoenus permet ici à Zuccarelli d'élaborer une composition parfaitement équilibrée. Ce paysage idéal où les personnages vivent en parfaite harmonie avec la nature arcadienne constitue un thème éternel et qui ne vieillit pas au fil des siècles, pour peu que l'artiste adapte son tableau aux exigences fugaces de son époque.

 

Angleterre : les influences étrangères

Richard Wilson. Le val de Narni (v. 1760)

Richard Wilson. Le val de Narni (v. 1760)
Huile sur toile, 66 × 48 cm, collection particulière.

 

Avant de trouver une voie réaliste propre, au 19e siècle, avec John Constable (1776-1837), l'art du paysage dans l'Angleterre du 18e siècle subit les influences hollandaise, française et italienne. Selon les artistes, on pourra percevoir la manière de Jacob van Ruisdael ou de Claude Lorrain. Les peintres anglais oscillent entre la reproduction de la réalité observée et une idéalisation selon les critères du paysage classique français.

Le grand portraitiste Thomas Gainsborough fut aussi un paysagiste. Justice lui sera rendue à cet égard, non de son vivant, mais par ses successeurs qui voyaient en lui le grand précurseur de la peinture paysagère britannique. John Constable dira ainsi : « Je crois voir Gainsborough dans chaque haie et dans chaque arbre creux ».

L'attractivité italienne se manifesta sur des artistes comme Richard Wilson (1714-1782) et Joseph Wright (1734-1797) qui voyagèrent en Italie. Les esquisses prises sur place leur permirent de réaliser des paysages de composition classique, lumineux et équilibrés, mais déjà imprégnés d'une atmosphère préromantique.

Thomas Gainsborough. Cornard Wood (1748)Thomas Gainsborough. Cornard Wood (1748). Huile sur toile, 121,9 × 154,9 cm, National Gallery, Londres. Gainsborough est né à Sudbury dans le Suffolk. Il fut d'abord paysagiste avant de devenir le grand portraitiste de l'aristocratie. A 21 ans, il peint ce paysage inspiré d'une forêt proche de Sudbury. Avec un style inspiré de Jacob van Ruisdael, l'artiste compose un paysage idyllique où les hommes et les animaux vivent en bonne intelligence avec la nature. La puissance des vieux chênes constitue un élément essentiel du tableau.

Thomas Gainsborough. Le chemin du marché (1767-68)Thomas Gainsborough. Le chemin du marché (1767-68). Huile sur toile, 170 × 121  cm, Toledo Museum of Art, Ohio. Gainsborough continua à peindre des paysages de campagne en faisant évoluer son style. L'œuvre de Rubens l'influence et ses paysages deviennent plus lumineux et plus animés. Ce retour du marché se veut plus réaliste que les paysages de jeunesse et laisse apparaître une ambiance joyeuse entre les personnages. Le tableau avait été commandé par le comte de Shelburne qui devint par la suite Premier ministre. Il devait orner la salle à manger de sa résidence de campagne près de Bath.

Richard Wilson. Rome vue de la Villa Madame (1753)Richard Wilson. Rome vue de la Villa Madame (1753). Huile sur toile, 95,4 × 132,7 cm, Yale Center for British Art, New Haven, Connecticut. Richard Wilson fut orienté vers le paysage par le peintre français Joseph Vernet. Comme lui, il réalisait des esquisses à l'huile prises sur le motif puis les utilisait pour composer un paysage selon les critères du paysage héroïque du 17e siècle. On retrouve donc chez lui le soin apporté à la lumière par Claude Lorrain et la rigueur de la composition classique. Cette vue de Rome est prise depuis la villa Madame (villa Madama) située au pied du Monte Mario dans la campagne romaine. Cette villa est aujourd'hui utilisée par le gouvernement italien pour accueillir les chefs d'État étrangers.

Richard Wilson. Le val de Narni (v. 1760)Richard Wilson. Le val de Narni (v. 1760). Huile sur toile, 66 × 48 cm, collection particulière. Narni est une petite ville italienne située en Ombrie. Wilson utilise le paysage local pour construire une composition emprunte de romantisme tout en respectant les contraintes du paysage classique. Il introduit ainsi dans le classicisme une dimension poétique nouvelle et sera considéré comme un précurseur par les peintres romantiques du 19e siècle.

Joseph Wright. Vue du lac de Nemi au soleil couchant (v. 1790)Joseph Wright. Vue du lac de Nemi au soleil couchant (v. 1790). Huile sur toile, 105 × 128 cm, musée du Louvre, Paris. « C'est le "Miroir de Vénus", l'antique surnom du lac de Nemi près de Rome, qui est représenté ici. Le sujet plut tant à l'artiste et à certains de ses contemporains que l'on n'en dénombre pas moins d'une dizaine de versions, dont celles de Francis Towne et Francis Pars. Wright exécuta ce tableau vers 1790, près de quinze ans après son voyage en Italie, évoquant les atmosphères méditerranéennes mêlant à merveille luminosité et chaleur. » (Notice musée du Louvre). Joseph Wright ou Joseph Wright of Derby (son lieu de naissance), conquit la célébrité comme portraitiste. Après son voyage en Italie de 1773 à 1775, il peignit de nombreux paysages inspirés de la péninsule.

Joseph Wright. Vue du Vésuve depuis Posilippo (1775-97)Joseph Wright. Vue du Vésuve depuis Posilippo (1775-97). Huile sur toile, Collection particulière. Lors de son voyage en Italie, Wright fut témoin d'une éruption du Vésuve. A son retour en Angleterre il réalisa une trentaine de toiles sur ce sujet. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'il ait assisté à une éruption du type de celle qui est représentée. Mais il avait comme modèle les tableaux de Pierre-Jacques Voltaire (1729-1790), qui, lui, avait réellement assisté à une éruption.

 

Pour visionner d'autres œuvres sur GOOGLE ARTS & CULTURE, cliquer sur le nom du peintre :

 

Antoine Watteau François Boucher Jean-Honoré Fragonard Joseph Vernet
Pierre-Henri de Valenciennes Jean-Joseph-Xavier Bidauld Hubert Robert Canaletto
Giovanni Paolo Pannini Francesco Zuccarelli Thomas Gainsborough Richard Wilson
Joseph Wright      

 

 

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(*) Nils Büttner, L'art des paysages, Éditions Citadelles et Mazenod.

 

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