Le paysage dans l’Antiquité
Patrick AULNAS
1. L'art du paysage dans l’Antiquité
Dans l'Antiquité, le paysage est utilisé comme décor mural dans les tombeaux, les villas ou les palais. L'époque romaine offre les meilleurs exemples, car il reste assez peu de choses de l'Égypte et de la Grèce. La religion romaine voyait l'univers comme parfait et harmonieux et il s'agissait pour l'homme de s'insérer au mieux dans cette perfection. La représentation de la nature dans les demeures des patriciens allait donc de soi, mais elle avait une vocation ornementale et non sémantique comme la peinture actuelle. Encore faut-il nuancer le propos. Lorsqu'on observe une fresque prenant la forme d'un petit tableau, comme celle de la villa d'Agrippa, nous ne sommes pas loin d'un véritable paysage, très idéalisé, mais comportant des choix de composition axés sur le message à transmettre. L'artiste a donné à sa composition un équilibre d'ensemble permettant de mettre en valeur l'harmonie, la quiétude de la vie à la campagne. Mais, bien entendu, le paysage n'est pas le sujet du tableau qui illustre des scènes de genre idylliques autour d'un sanctuaire campagnard.
Si les hommes de l'Antiquité étaient de grands amateurs de portraits, aussi bien en Égypte qu'en Grèce ou à Rome, le paysage en tant que tel n'est pas, à cette époque, un sujet pictural mais un élément d'ornementation.
Égypte
Les Égyptiens peuvent utiliser des éléments de paysage comme décoration murale dans les tombeaux ou palais. Une telle ornementation ne concerne qu'une toute petite partie de la population : les gouvernants et ceux qui gravitent autour d'eux, comme les fonctionnaires de niveau élevé. Les scribes figuraient parmi ces fonctionnaires car savoir écrire était rare et réservé à une petite élite. Ce sont des artisans qui réalisent ces décors et ils ne doivent surtout pas rechercher l'originalité. Leur travail consiste à reproduire un modèle canonique. Des vestiges de peintures très anciennes à motif paysager, remontant à plus de 3 000 ans, ont été découverts.
Mastaba de Merefnebef (Photos Merefnebef)
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La tombe de Nébamon
Nébamon était scribe du Trésor sous les règnes de Thoutmosis IV (v. -1400-1390) et Amenhotep III (v. -1390-1352). Il ne subsiste des peintures de sa tombe, située à Cheikh Abd el-Gournah, que des fragments conservés au British Museum. Le peintre inconnu avait un talent exceptionnel pour créer une composition complexe selon les codes de représentation en vigueur.
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Grèce
Jusqu'à une époque récente, on croyait la peinture murale grecque à peu près disparue et seules les sources littéraires permettaient de se la représenter. Mais à la fin du 20e siècle, un certain nombre de monuments funéraires comportant des peintures assez bien conservées ont été découverts. Voici un exemple de décor végétal.
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Rome
L'Antiquité romaine cultive pendant des siècles une tradition ornementale utilisant des motifs paysagers. Les murs des villas des patriciens romains devaient être décorés de scènes mythologiques ou paysagères.
Les conseils de Vitruve
Dans ses Dix Livres d'architecture, l'architecte romain Vitruve (v. 90-20 avant JC) indique les bonnes pratiques ornementales qui avaient la faveur des anciens et qui avaient tendance à disparaître à son époque, à son grand regret. La bonne pratique consistait à choisir « des reproductions directes de la nature pour la décoration peinte des autres pièces d'habitation, c'est-à-dire des pièces de printemps, d'automne et d'hiver, ainsi que pour les portiques et les colonnades ». Dans les couloirs, les décors de paysage étaient parfaitement adaptés, « en raison de leur étirement en longueur, à orner les murs et il s'agissait souvent de représentation de certains lieux réels. On peint ainsi des ports, des caps, des rivages des fleuves, des sources, des mers, des temples, des forêts, des montagnes, des troupeaux et des bergers. »
Le locus amoenus
Dans la tradition littéraire gréco-latine, depuis Homère, la nature est considérée comme le lieu du séjour idyllique des dieux. Cette idéalisation de la nature faisait partie de la formation de l'aristocratie romaine. Virgile (70 av. JC – 19 ap. JC), dans ses Géorgiques, magnifie la vie rurale du passé, celle des débuts de la République romaine, considérée comme une sorte de paradis perdu. Dans l'art occidental − littérature, poésie et peinture en particulier − le locus amoenus (lieu amène ou idyllique) restera jusqu'au 19e siècle un thème fréquent. On peut se le représenter comme une image du paradis terrestre comportant source, ruisseau, magnifique végétation (arbres, plantes fleuries) et agrémenté de signes de la vie animale comme le chant des oiseaux.
La maison de Livia
La fresque de la maison de Livia à Rome constitue le plus bel exemple de cette nature idéalisée. Dans une pièce de 5,90 × 11,70 mètres, située sous la villa, une fresque couvre tout le pourtour. Elle représente un jardin idyllique comportant de multiples variétés végétales ainsi que des oiseaux. Il s'agit sans doute d'une pièce qui conservait sa fraîcheur et où l'on pouvait se réfugier par les fortes chaleurs de l'été. Les riches romains qui habitaient la villa retrouvaient ainsi en ville une image de la nature qu'ils pouvaient admirer dans leurs grands domaines fonciers.
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La villa d'Agrippa
La tyrannie de la mode n'est pas absente de Rome et la décoration murale évolue. Ainsi, quelques décennies plus tard, le décor de la maison de Livia n'était plus au goût du jour. Les artistes et leurs commanditaires recherchent alors plus de simplicité. De grands panneaux décoratifs aux couleurs vives ornent les murs et sont agrémentés de petits tableautins. La villa d'Agrippa à Boscotrecase, près de Naples, offre un magnifique exemple de cette évolution.
Villa d'Agrippa à Boscotrecase (v. 11 av JC). Fresque, Musée archéologique national, Naples. Cette villa appartenait à Agrippa Postumus qui avait épousé la fille de l'empereur Auguste. Ce nouveau style décoratif, appelé parfois troisième style (il y en a quatre : voir peinture romaine), est axé sur la simplification et l'utilisation de grandes plages de couleurs : noir, rouge, blanc cassé. |
Villa d'Agrippa à Boscotrecase, détail (v. 11 av JC). Fresque, Musée archéologique national, Naples. Des décors paysagers ou mythologiques parsèment les panneaux monocolores. C'est ce qu'il reste du deuxième style. Cette scène évoque le caractère idyllique de la vie à la campagne. Autour d'un sanctuaire, humains, animaux et végétaux cohabitent dans la plus parfaite sérénité. Les patriciens romains vivaient une partie de l'année dans leurs grands domaines fonciers. |
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