Le paysage au 15e siècle

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Patrick AULNAS

0. L'art du paysage, définition et panorama historique
1. L'art du paysage dans l'Antiquité
2. L'art du paysage au Moyen Âge
3. L'art du paysage au 15e siècle
4. L'art du paysage au 16e siècle
5. L'art du paysage au 17e siècle
6. L'art du paysage au 18e siècle
7. L'art du paysage au 19e siècle
8. L'art du paysage aux 20e & 21e siècles

 

3. L'art du paysage au 15e siècle

Le 15e siècle marque une étape importante dans la construction d'un art du paysage. Aucun peintre ne réalise encore un tableau ayant le paysage pour sujet principal mais nombreux sont ceux qui utilisent le paysage comme un élément essentiel de leurs compositions. Un art du paysage s'élabore ainsi de façon très apparente et les arrière-plans paysagers se rapprochent beaucoup des premiers paysages picturaux, revendiqués comme tels, qui naîtront au siècle suivant. Au 15e siècle, le paysage reste donc l'un des éléments d'une composition ayant un autre thème : épisodes historiques ou religieux, scènes de genre mais aussi portraits. Il s'agit là d'une nouveauté par rapport au Moyen Âge où le portrait était proscrit par l'Église car révélateur de la vanité du modèle. La Première Renaissance, en Flandre et en Italie, entraîne ainsi une certaine émancipation. Techniquement, la peinture à l'huile apporte un raffinement esthétique inconnu jusqu'alors et l'utilisation des lois de la perspective débouche sur un réalisme qui stupéfie les contemporains.

 

Le paysage, arrière-plan des scènes religieuses

Gérard de Saint-Jean. Saint Jean-Baptiste au désert (1480-95)

Gérard de Saint-Jean. Saint Jean-Baptiste au désert (1480-95)
Huile sur bois, 42 × 28 cm, Staatliche Museen, Berlin.

 

Cette thématique, qui existait déjà au Moyen Âge, s'affine beaucoup au 15e siècle. Le paysage d'arrière-plan de Giotto au début du 14e siècle restait très schématique. Dès le tout début du 15e siècle, les maîtres du Gothique international parsèment leurs compositions de détails réalistes tout en restant globalement dans l'idéalisation naïve qui fait encore aujourd'hui tout le charme de ces œuvres. Les flamands poussent la fidélité à la nature beaucoup plus loin. Chez Van Eyck, le réalisme du paysage devient une exigence majeure. L'artiste s'astreint à observer son environnement (feuillage des arbres, fleurs, bâtiments) pour restituer une image aussi vraie que possible. Les italiens poursuivent dans cette voie et proposent parfois des paysages d'une puissance étonnante comme le celui du célèbre Saint François en extase (1480-85) de Giovanni Bellini. Mais l'association de paysages poétiques à un thème religieux n'est pas exclue et le locus amoenus de l'Antiquité subsiste dans l'iconographie de l'époque comme le montre le magnifique Saint Jean-Baptiste au désert (1480-95) de Gérard de Saint-Jean.

Maître du Jardin de Paradis de Francfort. Le Jardin de Paradis (v. 1410)Maître du Jardin de Paradis de Francfort. Le Jardin de Paradis (v. 1410). Technique mixte sur bois, 26,3 × 33,4 cm, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, Francfort-sur-le-Main. Cet artiste non identifié, appelé aussi Maître du Haut-Rhin, travaillait en Rhénanie et plus particulièrement à Strasbourg. Le Jardin de Paradis comporte tous les éléments emblématiques du Gothique international : couleurs pures, élégance un peu maniérée des gestes, visages idéalisés (les adultes ont des visages d'enfants). L'atmosphère est évidemment très paisible. La Vierge est représentée lisant et l'Enfant Jésus jouant au premier plan. A droite, l'Archange saint Michel porte des ailes. Les personnages baignent dans un jardin luxuriant totalement idéalisé, mais les espèces végétales sont reconnaissables (muguet par exemple au premier plan). Cette association de détails réalistes fondus dans un ensemble cherchant l'idéal caractérise tout particulièrement ce style international.

Campin. La nativité (1420-25)Robert Campin, le Maître de Flémalle. La nativité (1420-25). Huile sur bois, 84,1 × 69,9 cm, Musée des Beaux-arts, Dijon. Il s'agit de la naissance de Jésus-Christ. Au premier plan, en blanc, la Vierge Marie, à sa droite Joseph en vénérable vieillard. L'enfant Jésus est nu sur le sol. A la droite du tableau, au premier plan, les accoucheuses Zelemi (de dos) et Salomé (de face). Derrière la Vierge, les trois bergers. Au-dessus, planant au niveau du toit de la grange, les anges. La représentation d'une grange délabrée permet d'insister sur la pauvreté et de donner un effet de perspective. Le paysage en arrière-plan, très soigné, atteste des qualités de paysagiste de Campin. Il s'agit du premier paysage composé avec une ambition réaliste : Campin parvient avec un brio sidérant, car il s'agit d'une innovation, à donner une profondeur inédite à sa composition en utilisant l'artifice du chemin sinueux et la perspective atmosphérique.

Jan Van Eyck. Le retable de L'Adoration de l'Agneau mystique, panneau central (1432)Jan Van Eyck. Le retable de L'Adoration de l'Agneau mystique, panneau central (1432). Huile sur bois, Cathédrale Saint-Bavon, Gand. Ce grand polyptique comprend 24 panneaux. Il a été commencé par Hubert Van Eyck et terminé par son frère Jan après la mort d'Hubert. Le panneau central inférieur représente la scène de l'Adoration de l'Agneau. Agneau de Dieu (en latin Agnus Dei) désigne chez les chrétiens Jésus Christ, victime sacrificielle qui expie les péchés du monde. Selon l'évangile de Jean « Jean voit Jésus venir vers lui et il dit : " Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" ». Pour les contemporains lettrés, ces éléments de la théologie chrétienne constituaient des évidences et l'interprétation ne posait pas problème. Van Eyck situe la scène dans un vaste paysage comportant des détails traités avec une extrême minutie. De nombreuses variétés d'arbres ont pu être reconnues. L'artiste s'appuyait donc sur une observation rigoureuse de la réalité. Le retable eut un immense succès et on venait de toute l'Europe pour le voir.

Jan Van Eyck. Le retable de L'Adoration de l'Agneau mystique, détail (1432)Jan Van Eyck. Le retable de L'Adoration de l'Agneau mystique, détail (1432). Ce détail permet d'apprécier l'extrême minutie du travail de Van Eyck. Les éléments d'architecture et les feuillages de l'arrière-plan ont été dessinés et peints avec beaucoup de soin et de rigueur.

Uccello. Saint Georges terrassant le dragon (v. 1456)Paolo Uccello. Saint Georges terrassant le dragon (v. 1456). Huile sur toile, 57 × 73 cm, National Gallery, Londres. Selon la légende chrétienne, Georges de Lydda (v. 275-303), devenu ensuite saint Georges pour les chrétiens, aurait vaincu un dragon retenant une princesse chrétienne prisonnière dans une grotte. L'épisode symbolise le combat du bien contre le mal. Ce tableau propose une construction très réfléchie alliant mouvement (deux diagonales : ailes du dragon et lance) et perspective (herbe au premier plan, puis personnages, puis grotte et enfin montagnes dans le lointain). De petite taille, cette huile sur toile est un chef d'œuvre d'Uccello. Le paysage reste cependant très schématique et encore très éloigné du réalisme de Van Eyck. L'influence du Gothique international sur Uccello est patente.

Fouquet. Heures d'Étienne Chevalier. Saint Jean à Patmos (1452-60)Jean Fouquet. Heures d'Étienne Chevalier. Saint Jean à Patmos (1452-60). Enluminures sur parchemin, 20,1 × 14,8 cm, musée Condé, Chantilly. Jean l'Évangéliste est un des douze apôtres du Christ dans la religion chrétienne. Selon la tradition il serait l'auteur d'un des quatre évangiles canoniques (évangile selon Saint-Jean). Pour échapper aux persécutions romaines, il s'exila à Patmos (île grecque). Selon la légende, lorsqu'il fut arrêté, il subit deux épreuves : immersion dans l'huile bouillante et absorption d'un poison provenant de serpents venimeux. Il sortit vainqueur des deux épreuves et mourut à Ephèse. Le paysage, totalement imaginé par le peintre, comporte néanmoins une représentation assez réaliste des arbres et une recherche de profondeur par l'utilisation de la perspective atmosphérique : l'eau et le ciel deviennent de plus en plus clairs vers l'horizon, produisant ainsi un effet de dissipation et d'éloignement pour l'observateur.

Van der Goes. Le péché originel (1467-68)Hugo Van der Goes. Le péché originel (1467-68). Huile sur bois, 33,8 × 23 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. Volet gauche du diptyque dit de Vienne (conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne). La végétation, en particulier le feuillage des arbres, est traitée avec minutie. Le peintre s'est efforcé de donner de la profondeur à son paysage en utilisant un effet de perspective atmosphérique dans les lointains.

Ghirlandaio. L'appel des premiers apôtres (1481)Domenico Ghirlandaio. L'appel des premiers apôtres (1481). Fresque, 349 × 570 cm, chapelle Sixtine, Rome. Cette fresque fait partie d'un vaste ensemble auquel ont collaboré plusieurs peintres dont Le Pérugin et Botticelli. Ghirlandaio était chargé du thème consacré à l'appel de saint Pierre et de saint André. Les deux apôtres, agenouillés au premier plan, répondent à l'appel du Christ qui les bénit. Le Christ apparaît encore deux autres fois, sur la berge, à l'arrière-plan. Selon la Bible, il appelle les deux apôtres, qui sont des pêcheurs, en leur disant : « Suivez-moi, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. ». Le groupe situé à droite est constitué de portraits de personnages appartenant à de grandes familles florentines. Ce chef-d'œuvre qui allie narration, émotion (visages du Christ et de Pierre et André), réalité contemporaine (portraits) et paysage grandiose dans un ensemble chromatique exceptionnel, est unique dans l'œuvre de Ghirlandaio. On peut considérer ce paysage comme une préfiguration du paysage-monde qui se développera dès le début du 16e siècle.

Bellini. Saint François en extase (1480-85).Giovanni Bellini. Saint François en extase (1480-85). Huile sur bois, 120 × 137 cm, Frick Collection, New York. Saint François d'Assise (1181/82-1226) est le fils d'un riche drapier de la ville d'Assise (Ombrie) et le fondateur de l'ordre des frères mineurs, ou ordre franciscain, qui prêche la pauvreté et le respect de la création. A la fin de sa vie, François aurait, selon la légende, reçu les stigmates (plaies du Christ crucifié). Le tableau montrant François en extase dans un vaste paysage est en harmonie avec les préceptes de l'ordre franciscain qui attache une grande importance à la nature. Si nous pouvons y voir tout autant un paysage qu'une image pieuse, pour les contemporains il s'agissait principalement de religion, d'autant que Saint François était très respecté en Italie.

Gérard de Saint-Jean. Saint Jean-Baptiste au désert (1480-95)Gérard de Saint-Jean. Saint Jean-Baptiste au désert (1480-95). Huile sur bois, 42 × 28 cm, Staatliche Museen, Berlin. L'Évangile selon Matthieu présente Jean-Baptiste ou Jean le Baptiste comme celui qui a baptisé le Christ. Dans l'iconographie chrétienne, il a souvent été représenté au désert, ce qui signifie dans la solitude de la nature. S'isoler ainsi des autres hommes devait susciter réflexion, voire repentance, et l'on voit donc saint Jean-Baptiste plutôt affligé et songeur dans une nature paradisiaque. Le contraste entre le locus amoenus et l'affliction du personnage produit un effet philosophico-poétique : les hommes deviennent bons lorsqu'ils sont plongés dans les splendeurs de la nature créée par Dieu. Le paysage est très profond et sa composition en trois plans successifs (scène religieuse, végétation, horizon) est déjà celle des paysages-monde du 16e siècle.

Gérard de Saint-Jean. Les reliques de saint Jean-Baptiste (1480-95)Gérard de Saint-Jean. Les reliques de saint Jean-Baptiste (1480-95). Huile sur bois, 172 × 139 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. Triptyque offert par le peintre au couvent des chevaliers de Saint-Jean de Haarlem, où il vivait. Un seul panneau nous est parvenu. Jean le Baptiste ou Saint Jean-Baptiste est le prophète qui, selon la tradition chrétienne, aurait annoncé la naissance du Christ puis l'aurait baptisé. De nombreuses communautés religieuses ont prétendu détenir les reliques de saint Jean-Baptiste, en faisant ainsi un thème artistique. Le tableau constitue un paysage narratif dont les scènes successives sont présentées verticalement. En haut, la mise au tombeau de Jean-Baptiste, puis une procession avec les reliques du saint. Enfin, en bas, figure la légende de l'incinération des os de saint Jean-Baptiste, histoire compliquée et particulièrement confuse. Les personnages en noir placé derrière le tombeau ouvert sont les chevaliers de Saint-Jean de Haarlem. Le personnage le plus à droite du groupe, qui semble rêver, serait un autoportrait du peintre.

 

Le paysage, symbole de pouvoir sur le territoire

Uccello. Chasse nocturne (v. 1460)

Paolo Uccello. Chasse nocturne (v. 1460)
Tempera sur bois, 65 × 165 cm, Ashmolean Museum, Oxford.

 

Ce thème, déjà présent au Moyen Âge, subsiste au 15e siècle. La peinture de paysage est l'occasion de montrer les propriétés de l'aristocratie : terres et châteaux. Des personnages y figurent symboliquement pour manifester les droits du seigneur sur son territoire : possession de serfs cultivant la terre, droit de chasse, etc. Les techniques les plus employées n'étaient pas la peinture de chevalet ou les fresques mais la tapisserie et l'enluminure de manuscrits qui présentaient l'avantage d'être aisément transportables.

Le livre d'heures est le type le plus courant d'ouvrage enluminé. Chaque livre d'heures est unique, mais tous contiennent une collection de textes, de prières et de psaumes avec des illustrations correspondantes et constituant un recueil de base pour la pratique de la religion catholique. Avec le temps, leur texte s'enrichit de données plus profanes telles qu'un calendrier avec les prières et les messes pour certains jours saints. Le livre d'heures est le premier livre acheté et bien souvent le seul. Le plus célèbre pour la qualité de ses enluminures est Les Très Riches Heures du duc de Berry. Il fut commandé par le duc Jean 1er de Berry aux frères Paul, Jean et Herman de Limbourg vers 1410-1411. Inachevé à la mort des trois frères en 1416, il sera complété par un peintre anonyme vers 1440 puis achevé par Jean Colombe en 1485-1486.

Très Riches Heures du duc de Berry, mois de mars (1410-1486)Frères Limbourg. Les Très Riches Heures du duc de Berry, mois de mars (1410-1486). Enluminures sur parchemin, 21 × 29 cm, musée Condé, Chantilly. Ce chef d'œuvre de l'enluminure est particulièrement emblématique de style Gothique international qui précède immédiatement la Première Renaissance. L'idéalisation de la nature et l'absence de perspective le caractérisent. Ce manuscrit comporte de nombreuses scènes de genre, chose rare à cette époque. Le mois de mars est illustré par des travaux agricoles. Au premier plan, un paysan laboure un champ tandis que d'autres taillent la vigne dans un enclos à gauche. À l'arrière-plan figure le château de Lusignan (Poitou), propriété du duc de Berry.

Très Riches Heures du duc de Berry, mois de juillet (1410-1486)Frères Limbourg. Les Très Riches Heures du duc de Berry, mois de juillet (1410-1486). Enluminures sur parchemin, 21 × 29 cm, musée Condé, Chantilly. Le mois de juillet est illustré par la moisson et la tonte des moutons. A l'arrière-plan, le palais comtal de Poitiers, propriété du duc de Berry. Les montagnes sont imaginaires.

 
Fouquet. Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60)

Jean Fouquet. Chroniques de France. Couronnement de Louis VI le Gros (1455-60). Enluminures sur parchemin, 46 × 35 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris. Miniature figurant dans les Grandes chroniques de France, manuscrit présentant des épisodes de l'histoire de France. Louis VI, dit le Gros (1081-1137), accède au trône de France le 3 août 1108. Le sacre a lieu dans la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans représentée schématiquement à gauche sur l'image. La maîtrise de la perspective apparaît nettement ici : perspective linéaire avec les murailles, perspective atmosphérique ou aérienne avec l'eau du fossé et le ciel qui s'éclaircissent de plus en plus vers l'horizon (dégradés de bleu-gris allant presque jusqu'au blanc).

 
Uccello. Chasse nocturne (v. 1460)

Paolo Uccello. Chasse nocturne (v. 1460). Tempera sur bois, 65 × 165 cm, Ashmolean Museum, Oxford. Une œuvre unique à cette époque par l'esprit et la composition. Uccello cherche à opposer l'agitation des chasseurs et des animaux au calme de la forêt. Il parvient à allier la luminosité des personnages en mouvement et l'obscurité de la forêt en utilisant des contrastes chromatiques particulièrement hardis : le rouge des vêtements sur le fond vert de la végétation. Le désordre apparent se concilie également avec la convergence du parcours des chasseurs vers le centre de la toile : ils vont s'enfoncer dans la profondeur de la forêt. La perspective est ainsi dans l'imagination de l'observateur.

 
Pasquier Grenier. Tapisserie des bûcherons (v. 1460)

Pasquier Grenier. Tapisserie des bûcherons (v. 1460). Fragment, tapisserie laine et soie, 315 × 495 cm, musée de Arts décoratifs, Paris. Le commanditaire de cette tapisserie est Nicolas Rolin (v. 1376-1462), chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Ses armoiries, trois clefs or, apparaissent sur son blason en haut de la tapisserie et sur le collier du chien. La symbolique héraldique manifeste le pouvoir du chancelier sur son domaine. La composition cherche à suggérer l'abondance, donc la richesse du Chancelier, en multipliant les activités sur fond de paysage : nombreux bûcherons coupant les hautes futaies et omniprésence du gibier.

 

Le paysage et le portrait

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail 2 (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)
Huile sur bois, 66 × 62 cm, Musée du Louvre, Paris.

 

Les portraits furent d'abord réalisés sur un fond sombre, puis, sans doute sous l'influence des scènes religieuses, le paysage apparut à l'arrière-plan. La Vierge du Chancelier Rolin de Van Eyck marque à cet égard un tournant. A la fois scène religieuse, avec une représentation de la Vierge, et portrait du Chancelier, ce tableau constitue une suggestion à placer un paysage derrière le portrait afin de donner à la composition plus de profondeur et un aspect moins austère. L'exemple sera suivi aussi bien en Flandre qu'en Italie.

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435). Huile sur bois, 66 × 62 cm, Musée du Louvre, Paris. Le commanditaire du tableau, Nicolas Rolin (v. 1376-1462), a été chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon pendant 40 ans. Il est ici dans son palais. La symétrie parfaite de l'œuvre place face à face le profane à gauche (le chancelier Rolin) et le sacré à droite (la Vierge). Les arches de gauche, le carrelage au sol et l'arrière-plan lumineux créent un effet de perspective et de profondeur. « Malgré de nombreuses tentatives, il s'avère impossible d'identifier précisément les villes des deux rives avec des cités des Flandres. Ce sont des images symboliques de la cité terrestre et de la Jérusalem céleste, placées classiquement à gauche et à droite et séparées par le fleuve de vie. » (Notice musée du Louvre)

Pour une analyse audiovisuelle détaillée, voir Musée du Louvre

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)Jan Van Eyck La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435). Selon les spécialistes du musée du Louvre, le personnage portant un turban pourrait être un autoportrait de Jan Van Eyck, dont on possède par ailleurs un autoportrait avec un turban rouge. Mais il ne s'agit là que d'une interprétation.

P. della F. Le triomphe de la chasteté, avers (1465-66)Piero della Francesca. Le triomphe de la chasteté, avers (1465-66). Tempera sur bois, 47 × 33 cm (chaque panneau), Galerie des Offices, Florence. Sur cette face du diptyque figurent les portraits du duc d'Urbino, Frédéric III de Montefeltro, et de sa femme Battista Sforza avec en arrière-plan un paysage permettant un effet de perspective. Le vaste et profond paysage d'arrière-plan ne restitue pas une réalité topographique mais symbolise le pouvoir du seigneur sur son duché d'Urbino.

P. della F. Portrait de Federico III da Montefeltro (1465-66)Piero della Francesca. Portrait de Federico III da Montefeltro (1465-66). Tempera sur bois, 47 × 33 cm, Galerie des Offices, Florence. Frédéric de Montefeltro (1422-1482) est un condottiere italien et un homme de culture qui fit construire une grande bibliothèque et réunit autour de lui les plus grands humanistes de l'époque.

P. della F. Portrait de Battista Sforza (1465-66)Piero della Francesca. Portrait de Battista Sforza (1465-66). Tempera sur bois, 47 × 33 cm, Galerie des Offices, Florence. Battista Sforza (1447-1472) est la seconde épouse de Federico da Montefeltro. Elle est la fille d'Alessandro Sforza (1409-1473), condottiere italien.

Memling. Willem Moreel et Barbara van Vlaenderberch (1482)Hans Memling. Willem Moreel et Barbara van Vlaenderberch (1482). Huile sur bois, 39 × 29,7 cm (chaque panneau), Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles. Willem Moreel (1427/28-1501) est bourgmestre de Bruges, banquier et mécène. Barbara van Vlaenderberch est son épouse. L'arrière-plan, encadré par des éléments architecturaux, permet de créer pour le paysage un tableau dans le tableau.

 

Le grand précurseur : Albrecht Dürer

Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)

Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)
Aquarelle sur papier, 29 × 42 cm, musée de l'Hermitage, Saint-Pétersbourg.

 

Le grand peintre allemand Albrecht Dürer réalise dès la fin du 15e siècle des peintures de paysages en se proposant de représenter avec exactitude le lieu observé. En cela, il est un grand innovateur car il faudra encore plusieurs siècles pour que des artistes se fixent un tel objectif. Mais les paysages de Dürer sont des aquarelles de petites dimensions et non des compositions complexes à l'huile. Comme pour ses remarquables dessins d'animaux ou de plantes, Dürer ne voyait dans ces travaux que des croquis préparatoires pouvant lui servir lors de la réalisation d'un tableau selon les normes de l'époque, c'est-à-dire ayant nécessairement un sujet religieux. Il l'affirme d'ailleurs dans un des traités de peinture qu'il rédige et qui se propose de donner des conseils aux jeunes peintres : « Car l'art de peindre a été employé au service de l'Église et il montre aussi les souffrances du Christ. Il sert aussi à conserver l'apparence des hommes après leur mort. » (*)

Au demeurant, peu importe aujourd'hui quelles étaient les intentions du peintre. Il a créé ainsi les premiers paysages revendiqués comme tels et élevé l'art de l'aquarelle à « une force d'expression insoupçonnée » (*)

Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)Albrecht Dürer. L'Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489). Aquarelle sur papier, 29 × 42 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Il s'agit probablement du premier paysage en couleur reproduisant un lieu réel. Les premiers paysagistes choisissaient en effet d'idéaliser considérablement le paysage pour en faire un lieu enchanteur. Rien de tel ici. Cette église est située à l'ouest de la ville. L'artiste a 18 ans quand il réalise ce paysage et 40 ans plus tard il sera enterré dans le cimetière jouxtant l'église. L'œuvre a une histoire mouvementée. Elle était à Brême et a été emportée en Russie par l'armée rouge en 1945. Elle se trouve à l'Hermitage. Des négociations se déroulent en vue de son rapatriement.

ÉTUDE DÉTAILLÉE

Albrecht Dürer. Le moulin à tréfiler (v. 1489-94)Albrecht Dürer. Le moulin à tréfiler (v. 1489-94). Aquarelle sur papier, 28,6 × 42,6 cm, Staatliche Museen, Berlin. La ville de Nuremberg était réputée pour son activité de production de fils métalliques. Les machines à tréfiler utilisaient l'énergie hydraulique. Sur cette vue topographique des environs de la ville, Dürer détaille remarquablement les constructions situées sur les bords de la Pegnitz et le paysage environnant. Un ou plusieurs moulins à eau abrités dans ces bâtiments actionnaient les machines à tréfiler.

Albrecht Dürer. Vue de Trente (1494)Albrecht Dürer. Vue de Trente (1494). Aquarelle sur parchemin, 23,8 × 35,6 cm, Kunsthalle, Brême. Peinte au cours du premier séjour de  Dürer en Italie en 1494-95, la ville de Trente (Trento en italien) est située sur les rives de l'Adige.

Albrecht Dürer. Vue du val d’Arco (1495)Albrecht Dürer. Vue du val d'Arco (1495). Aquarelle et encre brune sur papier, 22,3 × 22,3 cm. Musée du Louvre, Paris. Pendant son retour de Venise, Dürer s'est arrêté assez longtemps dans la place forte vénitienne d'Arco, non loin du lac Majeur. Ce paysage représente la colline sur laquelle est construite la place forte, dont on aperçoit nettement les murailles. L'artiste n'a pas traité l'arrière-plan montagneux qui se situe derrière la colline, mais a laissé le fond non travaillé du papier. L'une des caractéristiques de cette aquarelle est un visage de vieillard plus ou moins distinct, caché dans la roche de la falaise abrupte de gauche.

Albrecht Dürer. Étang dans les bois (v. 1496)Albrecht Dürer. Étang dans les bois (v. 1496). Aquarelle et sur papier, 26,2 × 37,4 cm, British Museum, Londres. Il s'agit probablement d'un paysage des environs de Nuremberg. L'artiste propose une puissante représentation de la nature vierge avec le ciel du crépuscule qui inonde encore de lumière l'étang et la végétation. L'agencement des couleurs constitue une réussite exceptionnelle.

 

Pour visionner d'autres œuvres sur GOOGLE ARTS & CULTURE, cliquer sur le nom du peintre : 

Robert Campin Jan van Eyck Paolo Uccello Jean Fouquet
Hugo Van der Goes  Domenico Ghirlandaio  Giovanni Bellini Gérard de Saint-Jean 
Frères Limbourg Piero della Francesca Hans Memling  Albrecht Dürer

 

 

 

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(*) Cité par Nils Büttner, L'art des paysages, Éditions Citadelles et Mazenod.

Commentaires

  • BOISSEAU
    Pour le mois du Juillet, il ne s'agit pas du palais comtal, toujours existant, longtemps palais de Justice mais bientôt transformé, paraît-il en centre culturel... mais du château de Poitiers, dont il ne subsiste qu'un tronçon de tour au bord du Clain.

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