Primitifs italiens

 
 

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Patrick AULNAS

13e et 14e siècles

La naissance du réalisme en peinture

Les évolutions historiques profondes sont lentes. La Renaissance artistique du 15e siècle en Italie n'a pas surgi brusquement du néant. Dans le domaine de la peinture, les 13e et 14e siècles marquent une évolution importante que l'on a qualifiée de pré-Renaissance. L'historien de l'art Jacob Burckhardt (1818-1897) considère même que les prémices de cette évolution remontent au 12e siècle en Toscane. L'expression primitifs italiens continue à être utilisée pour cette peinture novatrice comme celle de primitifs flamands pour les peintres de la fin du 14e siècle et du début su 15e au nord de l'Europe (*).
La thématique de cette pré-Renaissance reste presque exclusivement religieuse (Crucifixion, Adoration des Mages, Vierge à l'enfant, miracles, saints, etc.). La mythologie antique apparaîtra seulement avec la Renaissance qui s'intéressera à nouveau à la pensée et à l'art grecs et romains après un millénaire de Moyen Âge. Cependant, une transition technique marque la pré-Renaissance italienne : l'évolution vers la peinture sur panneau de bois. Les fresques murales demeurent importantes mais les artistes peuvent aussi choisir le panneau de bois qui présente l'avantage de la mobilité. L'art byzantin utilisait déjà couramment de tels panneaux pour représenter des icônes, c'est-à-dire des images saintes (icône vient du grec eikona : image) que les fidèles pouvaient ensuite vénérer.
Mais l'essentiel est ailleurs : les primitifs italiens s'inscrivent dans la lente évolution de l'art occidental vers le réalisme. La peinture romane ou la peinture byzantine n'avaient pas pour ambition de représenter le réel (un paysage, un portrait) mais simplement d'illustrer les textes religieux et en particulier la Bible ou les légendes chrétiennes. L'important était que la divinité du Christ ou de La Vierge (sans entrer dans les querelles dogmatiques à ce sujet...) apparaissent nettement sur l'image. Ils ne pouvaient être traités comme des humains ordinaires. Les peintres de la pré-Renaissance vont investir leurs compositions de plus de réalisme, et ceci à trois égards.

 

1. L'humanisation des personnages représentés

Le Christ Pantocrator (v. 1180)

Le Christ Pantocrator (v. 1180)
Mosaïque, cathédrale de Monreale, Sicile

            

Giotto. La Lamentation sur le Christ mort (1303-05)

Giotto. La Lamentation sur le Christ mort (1303-05)
Fresque, 200 × 185 cm, chapelle Scrovegni, Padoue

 

L'art du Moyen Âge se contentait d'illustrer une scène religieuse sans chercher à donner aux personnages une dimension humaine. Bien au contraire, il fallait dissocier le sacré du profane en éloignant le premier des caractéristiques communes de l'humanité. Ainsi, le Christ Pantocrator de l'art byzantin, ou Christ en gloire, se distingue des hommes par sa majesté et il les domine par sa puissance. Il n'est pas parmi les hommes mais au-dessus d'eux et fait d'ailleurs le geste de les bénir. Le Christ de Giotto est tout à l'opposé : il a la taille des hommes qui l'entourent et il a partagé leurs souffrances et leurs émotions en étant crucifié.

Lorsque la peinture occidentale passe ainsi de l'évocation distante du sacré à la représentation de la réalité humaine avec ses sentiments, ses imperfections, ses contraintes physiques, elle s'engage dans une direction totalement nouvelle. Il faudra plusieurs siècles pour tirer toutes les conséquences de ce premier pas. Les 15e et 16e siècles constitueront des étapes essentielles car la Renaissance ne se limitera pas à conquérir le Vrai ; elle cherchera également à le magnifier. Le Beau et le Vrai deviendront indissociables jusqu'à la fin du 19e siècle.
Pourquoi au 13e siècle la réalité humaine commence-t-elle à investir le sacré dans les représentations picturales ? La peinture de l'époque étant totalement religieuse, la réponse se trouve dans une évolution interne du catholicisme. Des ordres religieux nouveaux apparaissent, comme les Franciscains et les Dominicains, qui ont une autre approche des relations entre le clergé et les croyants. La conception élitiste du passé distinguait les bergers du troupeau. Le clergé, étant éduqué, se considérait comme détenteur du savoir ; la masse des chrétiens, inculte, devait se soumettre à la parole divine interprétée par les prêtres. Les nouveaux ordres religieux ont, au contraire, une vocation évangélisatrice. Il s'agit désormais d'aller à la rencontre des chrétiens pour leur expliquer la parole divine. Mais comment mieux expliquer à un peuple inculte qu'en suscitant l'émotion par l'image. La Vierge, le Christ, Dieu, les saints seront donc animés de sentiments humains et, sans perdre leur dimension sacrée, ressembleront par leur taille, leurs gestes, leurs mimiques, à des êtres humains. L'imposant Christ Pantocreator de la cathédrale de Montreale, lointain et dominateur, laisse place à un Christ fraternel qui vit, souffre et meurt au milieu des hommes.
Un autre exemple concernant la Vierge permettra d'illustrer le chemin parcouru entre le 11e siècle et le début du 14e. Sur une miniature extraite d'un manuscrit du 11e siècle, la Vierge reste très éloignée des hommes. Au contraire, chez Giotto, elle se marie avec Joseph comme pourrait le faire n'importe quelque couple du 13e siècle.

 

Les Évangiles d'or de Henri III (1043-46)

Les Évangiles d'or de Henri III (1043-46)
Manuscrit, 50 × 33,5 cm, Bibliothèque royale de San Lorenzo, El Escorial

Cette illustration est extraite d'un évangéliaire du 11e siècle appartenant à Henri III (1017-1056), empereur du Saint-Empire romain germanique. La Vierge Marie, très majestueuse, accepte l'évangéliaire de Henri III en bénissant simultanément son épouse, Agnès. La dissociation est complète entre les humains, pourtant souverains de haut rang, mais représentés humbles et de petite taille, et la Vierge, beaucoup plus grande et impérieuse.

Giotto. Scènes de la vie de la Vierge, détail, mariage (1304-06)

Giotto. Scènes de la vie de la Vierge, détail, mariage (1304-06)
Fresque, Chapelle Scrovegni, Padoue.

Le grand prêtre (au centre) rapproche délicatement la main de la Vierge de celle de Joseph, afin qu'il puisse lui placer la bague au doigt. Marie baisse les yeux en signe d'humilité. Il s'agit bien d'une cérémonie de mariage totalement humanisée. Seules les auréoles entourant les têtes de Marie et Joseph indiquent la sainteté des personnages.

 

2. L'apparition des paysages

Illustrer les légendes chrétiennes avec des personnages humanisés conduit inéluctablement à les placer dans le cadre où évoluent habituellement les humains. L'arrière-plan décoratif, souvent doré, de la peinture du Moyen Âge laisse peu à peu la place à une représentation encore schématique du paysage naturel ou architectural. Les scènes de la vie de Joachim peintes par Giotto dans la chapelle Scrovegni de Padoue illustrent bien cette évolution.

 
Giotto. Joachim parmi les bergers (1304-06)
 

Giotto. Joachim parmi les bergers (1304-06)
Fresque, Chapelle Scrovegni, Padoue

Récit biblique. Joachim est l'époux de sainte Anne et le père de la Vierge Marie. Longtemps, Joachim et Anne restent sans enfants. Au cours d'une fête religieuse à Jérusalem, le Grand Prêtre refuse les offrandes de Joachim, son infertilité étant un signe de malédiction. Joachim, honteux, n'ose pas rentrer chez lui et se retire dans le désert auprès de bergers. Giotto illustre cette légende en plaçant les personnages dans un paysage schématique comportant rochers, arbres, bergerie, moutons, chien et ciel bleu.

  

Un autre exemple, plus tardif, est fourni par l'épisode biblique de l'Adoration des Mages peint par Bartolo di Fredi. Le peintre a placé la scène dans un univers urbain qu'il connaît bien : la ville de Sienne. On aperçoit à l'arrière-plan les remparts et le Duomo bicolore aux marbres noirs et blancs.

 
Bartolo di Fredi. L'Adoration des Mages (1385-88)

 Bartolo di Fredi. L'Adoration des Mages (1385-88)
 Tempera sur bois, 195 × 163 cm, Pinacoteca Nazionale, Sienne

Selon le récit biblique, trois mages (astronomes) auraient suivi une étoile vers le lieu de naissance de Jésus-Christ. Arrivés près de Jésus, ils lui offrent l'or, l'encens et la myrrhe. Au premier plan, les mages se prosternent aux pieds de la Vierge tenant l'enfant Jésus. A l'arrière-plan apparaît la ville de Jérusalem, à l'apparence de Sienne, qui permet de donner un contenu narratif à la composition. Les rois mages arrivent de droite avec une suite nombreuse, entrent dans la ville puis ressortent par la gauche après avoir rendu leur hommage au Christ enfant.

 

 3. Les architectures complexes

Avant même de bien maîtriser les lois de la perspective, au 15e siècle, les peintres vont être conduits à représenter des éléments architecturaux. Si l'on souhaite en effet placer un personnage à l'intérieur d'une pièce, la question du volume à transcrire sur la surface plane du tableau se pose. Giotto a été confronté à ce problème en peignant les scènes de la vie de Joachim dans la chapelle Scrovegni de Padoue. L'épisode concerne sainte Anne, la mère de la Vierge, qu'il place à l'intérieur d'un petit édifice figurant une maison.

 

 
Giotto. Annonciation à Sainte-Anne (1304-06)

iotto. Annonciation à Sainte-Anne (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, Chapelle Scrovegni, Padoue

Un ange annonce à sainte Anne la naissance de Marie. Giotto en a fait une scène d'intérieur, s'imposant ainsi de traiter le volume de la pièce. Il y parvient de façon empirique (les lois de la perspective ne sont pas connues) avec un brio tout à fait saisissant pour l'époque. Les frontons extérieurs triangulaires et le péristyle sous lequel une servante est assise impriment à la composition un effet de profondeur. L'artiste accentue le réalisme de la scène en meublant l'intérieur d'objets familiers.

 

Simone Martini, à peu près à la même époque, réalise des fresques dans la chapelle Saint-Martin à Assise. Le cycle concernant les scènes de la vie de saint Martin comporte un épisode où Martin est fait chevalier. Une architecture complexe forme l'arrière-plan.

 
Simone Martini. Saint Martin fait chevalier (1320-25)

Simone Martini. Saint Martin fait chevalier (1320-25)
Fresque, 265 × 200 cm, chapelle Saint-Martin, Assise

Martin, militaire romain du 4e siècle né dans la province romaine de Pannonie, se couvre de gloire grâce à ses succès militaires. Mais il décide d'abandonner sa carrière pour se consacrer à Dieu. Il devient évêque de Tours et propage le christianisme dans les campagnes de la Gaule. La fresque transpose au Moyen Âge l'entrée dans la carrière militaire de Martin en représentant son adoubement. L'empereur romain porte une couronne de lauriers mais tous les personnages sont typiquement du début du 14e siècle. L'arrière-plan, très complexe à dessiner, constitue une approche empirique de la perspective linéaire. L'artiste résout le problème à sa façon mais avec une maestria exceptionnelle.

 

Panorama des principaux artistes

Cimabue (v. 1240-1302)

A partir de la fin du 13e siècle, en Italie, quelques peintres cherchent à innover au lieu de suivre les dominantes iconographiques ancrées depuis des siècles. Cimabue est chronologiquement le premier d’entre eux. Cimabue joue un rôle important en commençant à humaniser les personnages. Il leurs prête des sentiments humains totalement absents de l’art byzantin.

Cimabue. Crucifix (1268-71)

Cimabue. Crucifix (1268-71). Tempera sur bois, 336 × 267 cm, San Domenico, Arezzo. Cette grande composition est la première œuvre connue de l’artiste. L'attribution à Cimabue est en général admise aujourd'hui. Mais le tondo supérieur (image circulaire) est d'un autre peintre. A l'extrémité des bras du Christ apparaissent la Vierge et saint Jean. La peinture byzantine avait choisi un Christ majestueux et dominateur (Christ Pantocrator) qui voulait imposer le respect aux hommes. Cimabue lui préfère un Christ souffrant qui meurt sur la croix. Il s’agit désormais d’émouvoir les fidèles en provoquant l’empathie.

Cimabue. Crucifix, détail (1268-71)

Cimabue. Crucifix, détail (1268-71). Tempera sur bois, 45 × 28 cm, San Domenico, Arezzo. Ce détail, situé à l'extrémité gauche de la croix, représente la Vierge. Cimabue a conservé le fond or en usage au Moyen Âge. Curieusement, la schématisation géométrique du visage et des plis du vêtement nous rappellent aujourd'hui le cubisme : paradoxe apparent puisque ce courant du 20e siècle a des racines « primitivistes » (africaines, océaniennes) qui séduisent par leur spontanéité préraphaélite certains artistes du début du 20e siècle.

Cimabue. Vierge à l’Enfant avec saint François et quatre anges (1278-80)

Cimabue. Vierge à l’Enfant avec saint François et quatre anges (1278-80). Fresque, 320 × 340 cm, basilique inférieure Saint-François d’Assise. La fresque a été restaurée au 19e siècle. Les spécialistes s’accordent sur une datation antérieure aux fresques de la basilique supérieure. Cette Vierge en majesté perd une partie de l’hiératisme de celles de la peinture byzantine, mais les anges qui l’entourent ont tous le même visage. La personnalisation n’apparaîtra qu’au cours de la Renaissance (15e-16e siècles).

Cimabue. Vierge à l’Enfant avec saint François et quatre anges, détail (1278-80)

Cimabue. Vierge à l’Enfant avec saint François et quatre anges, détail (1278-80). Fresque, 73 × 60 cm, basilique inférieure Saint-François d’Assise. L’auréole de la sainteté, qui entoure la tête, est une prescription de la peinture byzantine. Le dessin du visage insiste sur le nez, les arcades sourcilières et les très grands yeux expressifs. Une douce mélancolie s’en dégage, qui représente l’un des premiers pas vers la féminisation du personnage.

Pour approfondir : une page entière est consacrée à Cimabue.

 

Duccio di Buoninsegna (v. 1255-1319)

Duccio fut élève de Cimabue. Très connu à Sienne et Florence, il est considéré à son époque comme un grand artiste et ne manque ni de commanditaires, ni d'élèves.

Duccio. Madone Rucellai (1285)Duccio. Madone Rucellai (1285). Tempera sur bois, 429 × 290 cm, Galerie des Offices, Florence. Cette Maestà doit son nom à la chapelle Rucellai de l'église Santa Novella de Florence où elle se trouvait de 1591 à 1937. Auparavant, elle avait été déplacée à plusieurs reprises. L'œuvre est directement inspirée de la Maestà de Cimabue se trouvant aujourd'hui au Louvre et peinte cinq ans plus tôt (six anges, mêmes positions des personnages).

Duccio. Maestà (1308-11)Duccio. Maestà (1308-11). Tempera sur bois. Ce retable monumental commandé pour la cathédrale de Sienne est aujourd'hui dispersé entre plusieurs musées. Il s'agit ici d'une reconstitution digitale de l'original. Le panneau central, où se trouve la Vierge, mesure 214 cm de haut sur 412 cm de large et est actuellement au Museo dell'Opera del Duomo de Sienne.

Duccio. Maestà, détail 1 (1308-11)Duccio. Maestà, détail 1 (1308-11). La Vierge, personnage central, regarde vers les fidèles qui la contemplent, de même que l'enfant Jésus qui reste encore très peu enfantin : il s'agit d'un adulte en miniature car l'époque voyait ainsi les enfants.

Duccio. Maestà, détail 2 (1308-11)Duccio. Maestà, détail 2 (1308-11). Tempera sur bois, 41,5 × 54 cm, Museo dell'Opera del Duomo, Sienne. Cette scène figure sur la partie supérieure du retable et évoque l'annonce de la mort de la Vierge. Un ange offre à la Vierge une palme symbolisant le paradis futur. L'intérêt pictural se situe dans le cadre architectural : le plafond à poutres apparentes et les arches produisent un effet de profondeur, première manière d'aborder la perspective linéaire. On retrouvera fréquemment ces modalités de construction au 15e siècle.

 Pour approfondir : une page entière est consacrée à Duccio di Buoninsegna

 

Giotto di Bondone (v. 1266-1337)

Giotto est un des plus grands artistes de l’art occidental. Il parvient avant même que les lois de la perspective ne soient énoncées par Filippo Brunelleschi au début du 15e siècle, à créer un espace pictural tridimensionnel. L'humanisation des personnages, caractéristique essentielle de la pré-Renaissance, prend chez Giotto une force expressive particulière. La douleur humaine contraste avec la légèreté céleste.

Giotto. La Lamentation sur le Christ mort (1303-05)

Giotto. La Lamentation sur le Christ mort (1303-05). Fresque, 200 × 185 cm, Chapelle Scrovegni, Padoue. Ou Déposition de la croix. Thème récurrent de la peinture occidentale appelé aussi Déploration du Christ. Le Christ est mort, allongé, et des personnages le pleurent. Les trois Marie (Marie-Madeleine, Marie Salomé et Marie Jacobé) entourent le Christ. Saint Jean (les bras écartés), saint Pierre (chauve) et saint Paul sont également représentés. Giotto met l'accent sur l'expressivité des personnages féminins et de saint Jean de façon à faire émerger chez l'observateur des émotions. La scène n'appartient pas seulement au règne du divin, elle touche l'émotivité humaine qui doit ressentir le drame qui se joue. Cet appel aux sentiments humains (pitié, amour, tendresse) constitue l'aspect le plus innovant de la peinture de Giotto. Le cadre se veut lui-même réaliste : rocher, arbre, ciel bleu.

Giotto. Annonciation à Sainte-Anne (1304-06)

Giotto. Annonciation à Sainte-Anne (1304-06). Fresque, 200 × 185 cm, Chapelle Scrovegni, Padoue. Un ange annonce à sainte Anne la naissance de Marie. Giotto en a fait une scène d'intérieur, s'imposant ainsi de traiter le volume de la pièce. Il y parvient de façon empirique (les lois de la perspective ne sont pas connues) avec un brio tout à fait saisissant pour l'époque. Les frontons extérieurs triangulaires et le péristyle sous lequel une servante est assise impriment à la composition un effet de profondeur. L'artiste accentue le réalisme de la scène en meublant l'intérieur d'objets familiers.

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06). Fresque, Chapelle Scrovegni, Padoue. Le grand prêtre (au centre) rapproche délicatement la main de la Vierge de celle de Joseph, afin qu'il puisse lui placer la bague au doigt. Marie baisse les yeux en signe d'humilité. Il s'agit bien d'une cérémonie de mariage totalement humanisée. Seules les auréoles entourant les têtes de Marie et Joseph indiquent la sainteté des personnages.

Giotto. Vierge d'Ognissanti, détail (v. 1310)

Giotto. Vierge d'Ognissanti, détail (v. 1310). La féminité du personnage est particulièrement mise en évidence par le peintre, ce qui contraste avec l'art byzantin qui recherchait une évocation assez conceptualisée. Le regard, les lèvres, la poitrine, les gestes ont été conçus pour indiquer que la Vierge est une femme véritable.

Analyse détaillée

Pour approfondir : une page entière est consacrée à Giotto

 

Pietro (v. 1280-1348) et Ambrogio (1290-1348) Lorenzetti

Les frères Lorenzetti contribuent à faire évoluer la peinture siennoise vers la Renaissance. Ils introduisent volontiers des détails de la vie quotidienne dans les scènes religieuses et s'intéressent au traitement pictural de l'espace. Ils sont probablement morts tous les deux au cours d'une épidémie de peste noire à Sienne en 1348.

Pietro Lorenzetti. La naissance de la Vierge (1342)Pietro Lorenzetti. La naissance de la Vierge (1342). Tempera sur bois, 188 × 183 cm, Museo dell'Opera del Duomo, Sienne. Ce triptyque ne comporte qu'une seule scène. Les deux panneaux de droite représentent sainte Anne ayant donné naissance à Marie. La chambre et le lit commencent sur le panneau central et se prolongent sur celui de droite. Le panneau de gauche montre une sorte d'antichambre où Joachim, le père, attend. De multiples détails concrets humanisent la scène.

Ambrogio Lorenzetti. Scènes de la vie de saint Nicolas (v. 1332)Ambrogio Lorenzetti. Scènes de la vie de saint Nicolas (v. 1332). Tempera sur bois, 46 × 49 cm, Galerie des Offices, Florence. Ce panneau provient d'un triptyque de l'église Saint-Procolo de Florence, aujourd'hui dispersé. Saint Nicolas rend la vie à un enfant mort, dans un cadre architectural du 14e siècle. Nicolas de Myre (v. 260-345) est un évêque de l'Empire romain d'Orient qui est crédité par l'Église de plusieurs miracles. Il devient par la suite très populaire et la Saint-Nicolas (6 décembre) est encore fêtée aujourd'hui dans de nombreux pays (Belgique et Pays-Bas par exemple).

 

Simone Martini (1284-1344)

Originaire de Sienne et élève de Duccio, Simone Martini a travaillé à Sienne, à Assise et à la cour pontificale d'Avignon avec son beau-frère Lippo Memmi. Il a réalisé des fresques et des compositions sur panneaux de bois.

Simone Martini. Triptyque de Sant'Agostino Novello, détail (1324)

Simone Martini. Triptyque de Sant'Agostino Novello, détail (1324). Tempera sur bois, 65 × 67 cm, Pinacoteca Nazionale, Sienne. Saint Agostino Novello (1240-1309) est un militaire devenu moine puis prieur général de l'ordre des Augustins. Des miracles lui furent attribués après sa mort. Le Triptyque de Sant'Agostino évoque ces miracles en quatre scènes. Sur celle-ci, saint Agostino sauve un enfant tombé du balcon en surgissant in extremis. En faisant abstraction de l'aspect religieux (essentiel à l'époque), on pourrait y voir une scène de genre dans l'environnement urbain du 14e siècle. L'innovation picturale provient de ce côté volontairement narratif et proche de la population : il s'agit pour l'Église de se faire comprendre du peuple.
 
Simone Martini. La Vierge de l'Annonciation (1333)Simone Martini. La Vierge de l'Annonciation (1333). Tempera sur bois, 23,5 × 14,5 cm, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers. Ce panneau faisait partie du Polyptyque de la Passion ou Polyptyque Orsini, nom de son commanditaire. Il est aujourd'hui dispersé entre de nombreux musées. Martini utilise le trône et en particulier son socle pour tenter un effet de perspective, au demeurant très crédible. Bien que l'arrière-plan soit traditionnel, le peintre a particulièrement soigné le vêtement de la Vierge et son visage.
 
Simone Martini. La Vierge de l'Annonciation, détail (1333)Simone Martini. La Vierge de l'Annonciation, détail (1333). L'humanisation du visage de la Vierge est particulièrement frappant. Celle-ci est saisie d'étonnement et sans doute un peu effrayée car l'archange Gabriel apparaît et lui annonce la naissance prochaine du Christ.
 
Simone Martini. Le Portement de Croix (v. 1335)Simone Martini. Le Portement de Croix (v. 1335). Tempera sur bois, 30 × 20 cm, musée du Louvre, Paris. Autre élément du Polyptyque Orsini. Le Christ a été condamné à mort par Ponce Pilate et flagellé par ses soldats. Il doit mourir sur la croix au sommet du mont Golgotha, proche de Jérusalem. Simone Martini représente le Christ sur le chemin du Golgotha, entouré d'une foule, avec en arrière-plan, les remparts de Jérusalem.

ÉTUDE DÉTAILLÉE

Pour approfondir : une page entière est consacrée à Simone Martini

 

Lippo Memmi (1291-1356)

Originaire de Sienne, disciple et beau-frère de Simone Martini, Lippo Memmi fut actif à Sienne, Orvieto et Avignon où il suivit Simone Martini à la cour papale.

Lippo Memmi. Vierge de Miséricorde (v. 1350)

Lippo Memmi. Vierge de Miséricorde (v. 1350). Fresque, Chapelle du caporal, Duomo, Orvieto. La Vierge de Miséricorde est une Vierge plutôt hiératique, protectrice des humains représentés plus petits. Elle écarte son manteau pour les accueillir. An niveau céleste, des anges l'entourent. Il s'agit ici d'une des premières compositions sur ce thème qui illustre une légende cistercienne (voir Les yeux d'Argus pour un historique). La fresque a été retouchée au 19e siècle mais on ignore quelles sont exactement les parties originales.
 
Lippo Memmi. Sainte-Marie-Madeleine, détail (v. 1320-25)Lippo Memmi. Sainte-Marie-Madeleine, détail (v. 1320-25). Tempera sur bois, Musée du Petit Palais, Avignon. Cette figure faisait partie d'un polyptique, aujourd'hui démembré, réalisé pour la congrégation religieuse des Vallombrosains, ou Vallombrosiens, dont le monastère principal est à l'abbaye de Vallombrosa dans la province de Florence. Marie-Madeleine est un personnage du Nouveau Testament, disciple de Jésus-Christ. La réussite chromatique de ce portrait est remarquable : fond or traditionnel, mais nuances de vert et d'orange. De nombreux détails apparaissent sur l'auréole encadrant la tête.
 
Lippo Memmi. Christ bénissant (1320-25)Lippo Memmi. Christ bénissant (1320-25). Tempera sur bois, musée de la Chartreuse, Douai. Ce tableau provient du même polyptique que le précédent. Le christ reste ici majestueux et dominateur conformément à la tradition du Moyen Âge, mais l'artiste a humanisé le visage et soigné les détails iconographiques du fond doré.

 

Bartolo di Fredi (1330-1410)

Élève d'Ambrogio Lorenzotti, Bartolo di Fredi était très réputé à Sienne, sa ville natale. Son atelier a produit de nombreuses fresques et retables.

Bartolo di Fredi. L'Annonciation à Joachim (v. 1383)

Bartolo di Fredi. L'Annonciation à Joachim (v. 1383). Tempera et or sur bois, 25 × 37 cm, Pinacoteca, Vatican. Joachim, époux de sainte Anne, la mère de la Vierge, s'est isolé dans le désert car il est humilié de ne pouvoir avoir d'enfant. L'ange Gabriel vient lui annoncer qu'Anne va bientôt porter un enfant. L'artiste a placé la scène dans un cadre réaliste : paysage montagneux, bergers, troupeau, cornemuse. Ce panneau faisait partie d'un polyptyque consacré à la vie de la Vierge.
 
Bartolo di Fredi. L'Adoration des bergers (v. 1383)Bartolo di Fredi. L'Adoration des bergers (v. 1383). Tempera et or sur bois, 50 × 35 cm, Pinacoteca, Vatican. Episode biblique concernant la naissance de Jésus-Christ à Bethléem. Les bergers proches de Bethléem sont informés par des anges de la venue du Sauveur. Ils se rendent à la crèche pour se prosterner devant l'Enfant Jésus. Ce panneau faisait partie du même polyptyque que le précédent. Remarquer que la Vierge est représentée plus grande que les autres personnages (perspective symbolique utilisée au Moyen Âge).

 

Agnolo Gaddi (1350-1396)

Gaddi travailla surtout à Florence, en particulier dans l'église Santa Crocce où il illustra la Légende dorée de Jacques de Voragine (v. 1228-1298), dominicain et archevêque de Gênes. Il s'agit d'un texte en latin racontant la vie d'environ 150 saints et des évènements de la vie du Christ et de la Vierge.

Agnolo Gaddi. Le rêve de l'empereur Héraclius (1385-87)

Agnolo Gaddi. Le rêve de l'empereur Héraclius (1385-87). Fresque, Chapelle Chancel, Santa Croce, Florence. Héraclius (v. 575-641) est un empereur de l'Empire romain d'Orient qui affronta les Perses emmenés par l'empereur Khosro II ou Chosroès II (590-628). Gaddi illustre ici un épisode décrit par Voragine où Héraclius, étendu sur son lit, reçoit un message d'un ange lui annonçant la victoire.
 
Agnolo Gaddi. La Cène (v. 1395)Agnolo Gaddi. La Cène (v. 1395). Tempera sur bois, 61 × 42 cm, Lindenau-Museum, Altenburg. La Cène est le nom donné par les chrétiens au dernier repas pris par Jésus-Christ avec les douze apôtres, la veille de sa crucifixion. L'attribution à Gaddi a été faite sur la base de considérations stylistiques. Gaddi cherche à donner une personnalité aux personnages en opposant Judas Iscariote (seul) et les autres apôtres. La perspective n'est pas du tout maîtrisée, mais l'artiste s'y essaye avec la table et l'alignement des apôtres. Il faudra attendre peu de temps, puisque dès le début du 15e siècle, Campin ou Masaccio possèderons parfaitement la technique.

 

Lorenzo Monaco (v. 1370-1424)

Né à Sienne, mais appartenant à l'école florentine, Lorenzo Monaco, moine et peintre, fut le maître de Fra Angelico. Influencé par Agnolo Gaddi et surtout par Giotto, son style évoluera vers le Gothique flamboyant : mouvements sinueux des figures, couleurs brillantes (or et lapis-lazuli). Il fut aussi un remarquable miniaturiste.

 
Lorenzo Monaco. Saint-Pierre (v. 1405)Lorenzo Monaco. Saint-Pierre (v. 1405). Tempera sur bois, 53 × 41 cm, collection particulière. Ce panneau provient sans doute d'un polyptyque aujourd'hui disparu. Saint Pierre, assis sur un banc, tient la clé du paradis.
 
Lorenzo Monaco. L’Adoration des mages (1420-22)Lorenzo Monaco. L'Adoration des Mages (v. 1422). Tempera sur bois, 115 × 177 cm, Galerie des Offices, Florence. Le style Gothique flamboyant apparaît nettement (or, couleurs vives et élongation des personnages). Les prophètes et l'Annonciation dans la partie supérieure ont été ajoutés à la fin du 15e siècle par Cosimo Rosselli (1439-1507), peintre florentin ayant participé à la décoration de la chapelle Sixtine.
 
Lorenzo Monaco. Antiphonaire (1396-1400)Lorenzo Monaco. Antiphonaire (Cod. Cor. 1, folio 3) (1396-1400). Tempera et or sur parchemin, 46,3 x 48 cm, Musée du Louvre, Paris. Un antiphonaire est un livre liturgique comportant des partitions. Ce folio est extrait des Livres de chœur de Santa Maria degli Angeli. Une représentation des Trois Marie et du tombeau vide du Christ décorent une initiale A. L'attribution à Lorenzo Monaco de cette enluminure est attestée : « L. B. Kanter (comm; écrite du 19 mai 1993) a confirmé la provenance de ce livre de chœur de Florence, qu'il précise avoir été écrit en 1396 pour le couvent de Santa Maria degli Angeli et décoré par Lorenzo Monaco entre 1396 et 1404. » (Notice musée du Louvre)
 
Lorenzo Monaco. Antiphonaire (1406)Lorenzo Monaco. Antiphonaire (Cod. Cor. 7, 124v folio) (1406). Tempera et or sur parchemin, 31,5 x 26,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Egalement extrait des Livres de chœur de Santa Maria degli Angeli, ce folio représente le Christ et un ange sonnant une trompette. En contrebas, quatre morts ressuscités émergent du sol. L'ensemble de la page est décoré avec une extrême finesse.

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(*) C'est au début du 20e siècle que l'adjectif primitif est transformé en substantif par certains historiens de l'art. Il s'agissait de désigner des périodes de transition artistique en sous-entendant que l'on se dirigeait vers un mieux. On passait de l'enfance à la maturité. Cette analyse résultait d'une perception positiviste de l'évolution artistique : un progrès était possible. Le même mot a été utilisé à la même époque pour qualifier le courant artistique s'inspirant de l'art océanien ou africain : le primitivisme.

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