Giotto. Vierge d'Ognissanti (v. 1310)

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Patrick AULNAS

Lorsque Giotto peint La Vierge d’Ognissanti (Maestà di Ognissanti), il est un artiste reconnu. Il a déjà réalisé, dans la dernière décennie du 13e siècle, les fresques de l’église supérieure de la basilique Saint-François d’Assise. Le passage de la fresque à la tempera sur bois lui permet d’affirmer plus finement son style novateur, qui apparaît clairement par comparaison aux œuvres antérieures du même type.

 

Giotto. Vierge d'Ognissanti (v. 1310)

Giotto. Vierge d’Ognissanti (v. 1310)
Tempera sur bois, 325 × 204 cm, Galerie des Offices, Florence.
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Galerie des Offices, visite virtuelle avec Google Arts & Culture

Cette salle de la Galerie des Offices est consacrée au 13e siècle Italien. La Vierge d’Ognissanti de Giotto est entourée de la Madone Rucellai de Duccio di Buoninsegna (1285, à gauche) et de la Maestà di Santa Trinita ou Vierge en majesté de Cimabue (v. 1280, à droite)

 

Historique de l’œuvre

Ce grand tableau servait de retable pour le maître-autel de la Chiesa di Ognissanti de Florence (littéralement, Église de tous les saints), dont la construction avait commencé en 1251. Cet édifice était donc tout récent lorsque Giotto réalisa sa Maestà. Bien d'autres œuvres d’art d’une exceptionnelle qualité servirent de décor à cette église, car les familles riches de Florence mettaient un point d’honneur à les financer.

 

Chiesa di Ognissanti, extérieur            Chiesa di Ognissanti, intérieur

Chiesa di Ognissanti, extérieur

Chiesa di Ognissanti, intérieur

 

Il faut en particulier signaler le grand crucifix peint par Giotto, qui vint compléter la Vierge d’Ognissanti. Il y est encore exposé.

 

Giotto. Crucifix d’Ognissanti (v. 1315)

Giotto. Crucifix d’Ognissanti (v. 1315)

Tempera sur bois, 468 × 375 cm, Église Ognissanti, Florence

 

En 1919, le Maestà de Giotto a été transférée à la Galerie des Offices. De 1990 à 1991, le retable a fait l’objet d’une difficile restauration consistant à traiter les fissures du support en bois et à éliminer les craquelures de la peinture.

 

Contexte historique : évolution de la figure de la Vierge

La Vierge d’Ognissanti constitue une évolution notable de la représentation de la Vierge en peinture. Cette évolution se place sur une trajectoire allant de la Vierge en majesté (Maestà) provenant de l’art byzantin à la Vierge de l’humilité (Madone) qui commence à apparaître dans la seconde moitié du 14e siècle.

Les évolutions picturales étant permanentes, il est impossible de situer un point de départ et un point d’arrivée. Mais les œuvres suivantes fournissent des repères visuels.

 

La Vierge et l'Enfant ou Théotokos (9e siècle)

La Vierge et l'Enfant ou Théotokos (9e siècle)
Mosaïque, Basilique Sainte-Sophie, Istanbul

La Vierge est assise sur un siège très stylisé, conformément à la doxa byzantine
de l'époque qui excluait le réalisme.
Le fond or permet également d'éviter toute tentation de ce point de vue.
La figure hiératique de la Vierge respire la majesté mais exclut toute émotion.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole (1423-24)
Tempera et or sur bois, 212 × 237 cm, San Domenico, Fiesole.
Analyse détaillée

Six siècles plus tard, Fra Angelico propose une Vierge encore assise sur un trône majestueux,
mais le personnage s’est humanisé et joue avec le Christ enfant.
Le visage de la Vierge est incliné vers son fils et son regard ne se perd plus dans les lointains.
La Vierge est devenue une figure maternelle. Le paysage apparaît à l’arrière-plan.

 

Raphaël. Madone à la prairie (1506)

Raphaël. La Madone à la prairie (1505-1506)
Huile sur bois de peuplier, 113 × 88,5 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche.

Analyse détaillée

Environ un siècle plus tard, la figure de la Vierge est celle d’une mère assise dans une prairie avec des enfants.
Le cadre architectural a disparu. L’auréole entourant la tête est réduite à un cercle à peine visible.
L’habillement reste somptueux pour l’époque mais toute solennité a été abandonnée.

 

La Maestà de Giotto se place entre la Théotokos byzantine (Théotokos : Mère de Dieu) et la Vierge à l’enfant de Fra Angelico. Mais quelles sont les innovations qui la caractérisent ?

 

Analyse de l’œuvre

Pour répondre à la question précédente, il suffit de comparer les trois grands retables placés côte à côte à la Galerie des Offices.

 

Cimabue. La Vierge en majesté ou Maestà (1285-86)

Cimabue. Maestà di Santa Trinita (1280-1290)
Tempera sur bois, 385 × 223 cm, Galerie des Offices, Florence.

 

Duccio. Madone Rucellai (1285)

Duccio di Buoninsegna. Madonna Rucellai (1285)
Tempera sur bois, 450 × 290 cm, Galerie des Offices, Florence.

 

Giotto. Vierge d'Ognissanti (v. 1310)

Giotto. Maestà di Ognissanti (v. 1310)
Tempera sur bois, 325 × 204 cm, Galerie des Offices, Florence.

Similitudes

Il s’agit de trois Maestà ou Vierges en majesté. La Vierge, entourée d’anges et de saints, est placée sur un trône symbolisant sa majesté : elle est la reine des cieux. Ce trône est devenu beaucoup plus imposant que celui de la Théotokos byzantine, qui était réduit à un simple siège. Les artistes de la pré-Renaissance italienne  cherchent visiblement le réalisme perspectif, mais ils n’en connaissent pas les règles mathématiques. La représentation du trône reste donc assez schématique. Ils s’efforcent malgré tout d’apporter, chacun à sa façon, des éléments décoratifs originaux.

L’hiératisme de la Vierge byzantine subsiste par la position centrale d’un personnage solennel, beaucoup plus grand que les anges qui l’entourent. Dans les trois compositions, le fond or de l’art byzantin est également conservé.

Différences

La figure de la Vierge, très similaire chez Cimabue et Duccio, a radicalement changé chez Giotto. Les deux premiers artistes maintiennent la tradition d’une Vierge totalement enveloppée dans un une vaste pèlerine et conservant sur la tête la coiffure ronde byzantine. Giotto féminise le personnage en ouvrant la pèlerine. Dès lors, le peintre s’impose de caractériser la Vierge comme une femme en faisant apparaître la poitrine sous le vêtement. Personne n’avait osé auparavant.

 

Giotto. Vierge d'Ognissanti, détail (v. 1310)

Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail

Giotto utilise les effets de clair-obscur pour traiter les volumes et donc accéder, sur la surface plane du tableau, à la tridimensionnalité. Sur le visage et la poitrine de la Vierge, ces contrastes ombre-lumière sont particulièrement apparents et efficaces. Sur la tête, apparaît un voile frontal, réalisé avec beaucoup de soin. Le regard sévère subsiste, mais le dessin des lèvres a été accentué, toujours pour humaniser le personnage.

La seconde évolution concerne les anges et prophètes placés latéralement. Chez Cimabue et Duccio, ils sont alignés de bas en haut. Giotto cherche au contraire un effet de perspective en plaçant ses personnages sur une sorte d’escalier (inapparent) entourant le trône. Il ne connaît pas les lois de la perspective, mais les figures placées en haut apparaissent bien comme plus lointaines. Giotto donne également une physionomie particulière à chacun de ses personnages, alors qu’ils étaient tous identiques chez Cimabue et Duccio.

 

Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail
Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail        Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail        Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail

 

Enfin, troisième évolution, Giotto parvient, de façon purement intuitive, à simuler une perspective centrale pour la construction du trône. Elle apparaît nettement sur le baldaquin entourant la Vierge, mais également sur le socle du trône.

 

Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail     Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail
Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail Giotto. Vierge d’Ognissanti, détail

 

Une telle étude comparative permet de comprendre les modalités de l’évolution historique de la peinture. Les trois compositions sont largement similaires. Mais, chez Giotto, de petits détails bouleversent en profondeur l’approche artistique. Le peintre veut humaniser la figure de la Vierge en fonction de son ressenti. Il applique donc toute la technicité acquise pour aboutir à une innovation historique. Très peu d’artistes sont capables de faire évoluer ainsi leur art. La plupart d’entre eux se contentent de se situer dans l’art de leur temps avec leur subjectivité, mais sans originalité. Seuls quelques grands artistes comme Giotto vont au-delà.

 

Autres exemples de Vierges en majesté ou Maestà

La Vierge en majesté subsiste au moins jusqu’au 16e siècle dans l’iconographie. Mais au 15e siècle, une variante apparaît avec le thème de la Conversation sacrée. La Vierge et l'Enfant Jésus sont entourés de saints qui semblent bavarder entre eux. Les personnages représentés ne sont pas nécessairement contemporains l'un de l'autre.

Les Évangiles d'or d'Henri III, Vierge en majesté (1043-46)

Les Évangiles d'or d'Henri III, Vierge en majesté (1043-46). Enluminures sur parchemin, 50 × 33,5 cm, Bibliothèque royale de San Lorenzo, El Escorial. Cette illustration est extraite d'un évangéliaire du 11e siècle appartenant à Henri III (1017-1056), empereur du Saint-Empire romain germanique. La Vierge Marie, très majestueuse, accepte l'évangéliaire d'Henri III en bénissant simultanément son épouse, Agnès. La dissociation est complète entre les humains, pourtant souverains de haut rang, mais représentés humbles et de petite taille, et la Vierge, beaucoup plus grande et impérieuse.

Cimabue. La Vierge et l'Enfant en majesté entourés d'anges (v. 1280)

Cimabue. La Vierge et l'Enfant en majesté entourés d'anges (v. 1280). Tempera sur bois, 427 × 280 cm, musée du Louvre, Paris. « Par sa monumentalité, la somptuosité du fond, le retable du Louvre donne du thème de la Maestà, c'est-à-dire la Vierge avec l'Enfant sur un trône soutenu par des anges, glorifiée comme reine des cieux, une illustration particulièrement saisissante. Sur le cadre original, vingt-six médaillons peints représentent en haut le Christ et quatre anges, puis des saints et des prophètes. [...] La composition de la Maestà est symétrique et dense, encore massive. La Vierge est imposante par son hiératisme, et le geste de bénédiction du jeune Jésus peu enfantin. Pourtant, c'est avec une douceur et une souplesse nouvelles que Cimabue modèle les visages, désormais empreints d'humanité véritable. » (Notice musée du Louvre)

Veneziano. Retable Magnoli. La Vierge à l'enfant et les saints (v. 1445)

Domenico Veneziano. Retable Magnoli. La Vierge à l'Enfant et les saints (v. 1445). Tempera sur bois, 209 × 216 cm, Galerie des Offices, Florence. Ce retable provient de l'église Santa Lucia dei Magnoli de Florence mais il est actuellement conservé à la Galerie des Offices. Il s'agit d'une Conversation sacrée. De gauche à droite : saint François d'Assise, saint Jean-Baptiste, saint Zénobe de Florence et sainte Lucie de Syracuse. Lumière douce et naturelle, tons pastel, perspective maîtrisée font de ce retable une grande réussite de la première Renaissance.

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Le Pérugin. Retable de Fano (1497)

Le Pérugin. Retable de Fano (1497). Cette huile sur bois de 262 × 215 cm sert de retable dans l'église Santa Maria Nuova de Fano (Marches). Il s'agit d'une Conversation sacrée. A gauche de la Vierge : saint Jean-Baptiste, saint Louis et saint François d'Assise. A droite, saint Pierre, saint Paul et Marie Madeleine.

Raphaël. Retable Colonna (1503-05)

Raphaël. Retable Colonna (1503-05). Huile sur bois, 242 × 169,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Cette Conversation sacrée regroupe la Vierge avec l’Enfant Jésus et le petit saint Jean. Deux saintes et deux saints auréolés entourent la Vierge. Au-dessus de la Conversation sacrée, sur un panneau cintré, Dieu le Père entouré d’anges donne sa bénédiction.

 

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