Jean-Baptiste-Camille Corot. Matin près de Beauvais (v. 1860)

 
 

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Patrick AULNAS

Lorsqu’il peint Matin près de Beauvais, Corot (1796-1875) a déjà quitté le néoclassicisme de ses débuts et le réalisme de sa maturité. Depuis sa jeunesse, il a parcouru les évolutions picturales du 19e siècle pour aboutir à un style poétique très personnel qui rencontre un grand succès.

 

 

Jean-Baptiste-Camille Corot. Matin près de Beauvais (v. 1860)

Jean-Baptiste-Camille Corot. Matin près de Beauvais (v. 1860)

Huile sur toile, 39,5 × 41,6 cm, Museum of Fine Arts, Boston.

Image HD sur Museum of Fine Arts, Boston

 

Contexte historique

Corot reste un paysagiste classique composant ses paysages en atelier à partir d’études prises sur le vif. C’est ce que préconisait au début du 19e siècle le théoricien français du néoclassicisme Pierre-Henri de Valenciennes. En 1860, il s’agit toujours pour Corot de créer un paysage idéal. Mais le romantisme a fait son œuvre dans le courant du siècle et ce sont donc des émotions intérieures que le peintre cherche à traduire dans un paysage poétisé. Alors que Claude Lorrain ou Nicolas Poussin créaient au 17e siècle une beauté intemporelle, objectivement déterminable par une composition mûrement réfléchie et une exécution de haut niveau technique, Corot revendique une totale subjectivité. Il veut traduire en peinture son ressenti face à la nature, les émotions qu’elle a laissées dans sa mémoire. Ce sont donc des souvenirs, intitulé qu’il adopte pour plusieurs de ses toiles de la décennie 1860.

De ce point de vue, Corot a quitté l’ambition réaliste des peintres de Barbizon, groupe auquel il a appartenu. Il ne partage pas non plus l’orientation impressionniste qui se dévoilera peu après et qui consiste à analyser aussi finement que possible la perception du réel par le peintre. Corot ne restitue pas le réel mais s’évade dans le rêve et poétise la nature. A cet égard, il est intéressant de constater que si l’objectif poursuivi est différent, le style utilisé est parfois proche. On peut voir dans les paysages de Corot une sorte de pré-impressionnisme, mais la dimension onirique apparaît aussitôt essentielle, ce qui ne correspond pas à l’esprit impressionniste.

 

Analyse de l’œuvre

Matin près de Beauvais peut être considéré comme une étape vers le paysage poétique qui trouvera sa version définitive avec Souvenir de Mortefontaine (1864).

 

 

Jean-Baptiste Corot. Souvenir de Mortefontaine (1864)

J-B. Corot. Souvenir de Mortefontaine (1864)

Huile sur toile, 65 × 89 cm, musée du Louvre, Paris.

Analyse détaillée

 

Tous les éléments sont présents : le milieu aquatique, les arbres étiques, les petits personnages. Dans ses grandes lignes, la composition elle-même est déjà définie. La partie terrestre n’occupe qu’un tiers à un quart de la hauteur afin de laisser au ciel nuageux, partiellement masqué par les arbres, l’essentiel de la surface. Ce ciel immense est un héritage de la peinture de paysage du 17e siècle, qu’il s’agisse du classicisme français (par exemple Claude Lorrain,  Paysage avec Enée à Délos, 1672) ou du siècle d’or néerlandais (Meindert Hobbema, L'Allée de Middelharnis, 1689). Dans la seconde moitié du 19e siècle, Eugène Boudin était réputé pour ses ciels et Corot lui-même l’avait qualifié de « roi des ciels » (Eugène Boudin, Sur la plage, coucher de soleil, 1865).

Ce n’est donc pas par la composition que Corot se singularise, mais par l’ambiance de ses paysages. Alors que les impressionnistes analysaient le paysage en peignant sur le motif, Corot transpose sur la toile son rêve de paysage. Pour peindre un rêve, il est indispensable de laisser un certain flou, ce qui explique l’atmosphère légèrement brumeuse qui commence à apparaître dans Matin près de Beauvais et devient dominante dans Souvenir de Mortefontaine. Le rêve de Corot n’est évidemment pas un cauchemar mais une évocation nostalgique de la quiétude de la nature. De ce point de vue, le concept de base du paysage néoclassique demeure essentiel : saisir l’image de la nature revient à chercher le locus amoenus des poètes de l’Antiquité, le lieu idyllique où l’homme trouve une parfaite sérénité en harmonie avec l’univers. Il en résulte une utilisation douce des couleurs et un chromatisme qui tendra à se restreindre en passant de Beauvais à Mortefontaine. Corot adhère là encore à la prescription classique d’un usage non agressif de la couleur. Il l’écrit d’ailleurs lui-même : « Pour moi la couleur est secondaire, car j’aime avant tout l’ensemble, l’harmonie des tons, tandis que la couleur crée un choc que je n’aime pas. »

 

 

J-B. Corot. Matin près de Beauvais, détail

J-B. Corot. Matin près de Beauvais, détail

 

Matin près de Beauvais qui, selon le Museum of Fine Arts de Boston, s’est aussi intitulé par le passé Prairie boisée au bord d’un ruisseau et  Le ruisseau dans le bois, comporte donc une gamme restreinte de couleurs : nuances de vert, de gris et de marron essentiellement. Le feuillage vaporeux résulte de touches légères et les deux figures sont tout juste suggérées. Les valeurs ne contrastent jamais brutalement, le ciel étant légèrement plus clair que le feuillage mais absolument pas éclatant comme dans de nombreux paysages impressionnistes.

 

 

J-B. Corot. Matin près de Beauvais, détail

J-B. Corot. Matin près de Beauvais, détail

 

En vérité, Corot est parvenu à la fin de sa vie à créer un véritable paysage onirique qui dépasse le néoclassicisme sans en trahir l’esprit puisqu’il vise à l’idéalisation. Cet idéal onirique se veut l’expression des émotions mémorisées par l’artiste au contact de la nature.

 

Les types de paysages au 19e siècle

Pour disposer d’une perspective globale sur la peinture de paysage, on pourra se reporter à notre série l’art du paysage.

Pour le 19e siècle, voici quelques exemples illustrant les types de paysage en peinture : néoclassique, romantique, réaliste, impressionniste, postimpressioniste, symboliste.

 

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806)

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806)
Huile sur toile, 87,6 × 128,3 cm, Indianapolis Museum of Art.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

 

Néoclassicisme. Le néoclassicisme a pris naissance dans la seconde moitié du 18e siècle mais il subsiste au début su 19e.
Le parc à Mortefontaine reste classique par l'équilibre de la composition et le chromatisme très retenu, mais il est déjà romantique par l'ambiance. Bidauld maîtrise admirablement les effets de lumière sur l'herbe, à travers les arbres et sur la surface de l'eau.

Analyse détaillée

Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818)

Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818)
Huile sur toile, 95 × 75 cm, Kunsthalle, Hambourg.


Romantisme. Le paysage romantique se situe par l'esprit à l'opposé du paysage classique. A la raison classique, il oppose la passion. A l'équilibre de la composition, il substitue l'exubérance. Il ne s'agit plus de représenter la nature de façon objective, en l'idéalisant, mais d'exprimer ses émotions, ses troubles.
De nombreuses interprétations ont été données de ce tableau de Friedrich, emblématique du romantisme. On peut y voir de multiples symboles et se perdre dans une savante exégèse. Mais, de toute évidence, il s'agit pour nous aujourd'hui du héros romantique face aux splendeurs de la nature. Pour le reste l'interprétation est libre. Solitude face à l'immensité ? Emerveillement face à la beauté ? Petitesse de l'homme face à la grandeur et à la puissance ? Quête de spiritualité ?

John Constable. La cathédrale de Salisbury (1826)

John Constable. La cathédrale de Salisbury vue du jardin de l'évêque (1826)
Huile sur toile, 88,9 × 112,4 cm, The Frick Collection, New York.

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Réalisme. Constable est un peintre réaliste par conviction, qui condamne de façon doctrinale, dans ses conférences, le paysage arcadien des italiens et des français du 17e siècle. Pour lui, l'art se trouve « sous n'importe quelle haie et dans n'importe quelle prairie » et il s'agit pour le peintre de restituer sur la toile la nature avec un souci constant de vérité.
La cathédrale de Salisbury était familière à Constable car il entretenait des liens d'amitié avec l'évêque John Fisher. Ce type de paysage était apprécié en Angleterre au début du 19e siècle car il représentait la nature et un monument médiéval, faisant ainsi apparaître le travail séculaire des hommes dans leur milieu naturel.

 

John Constable. La cathédrale de Salisbury, détail (1826)

John Constable. La cathédrale de Salisbury, détail (1826)

 

On retrouve dans ce paysage urbain tout l'art du clair-obscur de l'artiste et son goût pour un naturalisme sans concession.

 

Alfred Sisley. Vue de Villeneuve-la-Garenne sur la Seine (1872)

Alfred Sisley. Vue de Villeneuve-la-Garenne sur la Seine (1872)
Huile sur toile, 59 × 81 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.


Impressionnisme. Les peintres du courant impressionniste cherchent à saisir l'instant présent, c'est-à-dire une réalité fugace qui aura déjà changé une heure plus tard. La lumière joue un rôle essentiel. Il s'agit de suggérer une impression ou une émotion captée par l'œil humain. Les touches de peinture sont visibles, l'utilisation du flou est systématique, le dessin est tout à fait secondaire ou même inexistant.
Alfred Sisley (1839-1899) a peint exclusivement des paysages, contrairement à la plupart des impressionnistes qui composaient de nombreuses scènes de genre. Vue de Villeneuve-la-Garenne, réalisé deux ans avant la première exposition impressionniste (1874), est une étude de la lumière qui inonde l'arrière-plan tandis qu'au premier plan la rive reste dans l'ombre. L'observateur a ainsi l'impression presque physique de se trouver à l'ombre des arbres et d'observer la lumière sur la Seine et les maisons de Villeneuve.

Vincent van Gogh. La nuit étoilée (juin 1889)Vincent Van Gogh. La nuit étoilée (1889)
Huile sur toile, 73 × 92 cm, Museum of Modern Art, New York.

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Postimpressionnisme. Le terme postimpressionnisme a été utilisé à partir du début du 20e siècle pour qualifier des évolutions diverses de l'impressionnisme. Il ne désigne pas un courant artistique homogène. Des peintres ayant connu une phase impressionniste entre 1860 et 1880 vont chercher à évoluer en utilisant un style de plus en plus personnel ou une technique particulière. Mais si le style évolue, l'essence de la révolution impressionniste n'est pas remise en cause : transposer sur la toile en toute liberté des émotions visuelles.
Après une brève période impressionniste, Van Gogh peint des tableaux tourmentés aux couleurs éclatantes qui s'éloignent beaucoup du style impressionniste fait de petites touches. Ce ciel aux vagues océaniques révèle le trouble intérieur du peintre, qui le conduira à la folie. En cherchant à exprimer ses tourments par une utilisation très libre des formes et des couleurs, il se rapproche déjà de l'expressionnisme qui se développera en Allemagne au début du 20e siècle.

 

Paul Sérusier. Eve Bretonne, mélancolie (1890)

Paul Sérusier. Eve Bretonne, mélancolie (1890)
Huile sur toile, 72,6 × 58,3 cm, musée d'Orsay, Paris.

Symbolisme, nabisme. Le symbolisme naît à la fin des années 1880 autour de thèmes jugés pleins de « mystères » : la mort, la sensualité, la religion, une certaine fascination pour le folklore et les cérémonies traditionnelles. Les nabis sont des symbolistes issus de l’école de Pont-Aven, groupe d’artistes fréquentant assidûment cette localité bretonne à la fin du 19e siècle. Pour les symbolistes, la couleur doit être davantage expressive que descriptive.
Cette Ève bretonne est une évocation résultant de l'orientation spiritualiste des nabis. Une Ève pensive est assise sur un rocher dans la lande bretonne. Un tel paysage se place dans la lignée de ceux des classiques français qui illustraient leurs compositions par un épisode religieux ou mythologique. Mais le paysage n'a rien de réaliste : il renvoie symboliquement au paradis perdu.

 

Commentaires

  • Godefroy Dang Nguyen
    C'est juste, je n'y avais pas pensé. Ce qui est piquant c' est que Corot est devenu riche avec ce genre de tableau, alors que dans le même temps les impressionnistes "ramaient". "De gustibus non est disputandum..."
  • Godefroy Dang Nguyen
    Bonjour,

    je n'étais pas fana de la "dernière manière" de Corot, mais vous m'avez convaincu. Bravo pour cet exposé, qui donne envie d'aller plus loin.

    Reste une question que je me pose. Pourquoi a-t-il changé de façon de peindre? Influence de Barbizon?

    Bien à vous
    • rivagedeboheme
      • rivagedebohemeLe 05/05/2021
      Le passage d’un art de la représentation à un art de la perception était dans l’air du temps depuis déjà assez longtemps (Turner, très en avance, Jongkind, Boudin). L’impressionnisme émerge dans la décennie 1860. Corot a saisi intuitivement le devenir historique de la peinture et l’a adapté à sa sensibilité. Me semble-t-il…

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