Giotto. Le mariage de la Vierge (1304-06)

 
 

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Patrick AULNAS

 

Giotto di Bondone (v. 1267-1337) est le peintre le plus important de la pré-Renaissance italienne. La peinture de cette époque étant presque exclusivement religieuse, les grands artistes avaient entrepris un travail d’humanisation des personnages de la Bible, rompant définitivement avec l’hiératisme de la peinture byzantine. La Renaissance poursuivra dans cette voie à partir du 15e siècle.

Le mariage de la Vierge est un exemple particulièrement caractéristique de cette évolution. Les figures de Joseph et de Marie ne se différencient nullement de celles des aristocrates ou des riches bourgeois du 14e siècle.

 

 

Giotto. Le mariage de la Vierge (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, chapelle des Scrovegni, Padoue.

 

 

Les fresques de la chapelle des Scrovegni (ou église de l'Arena)

Ces fresques constituent un chef-d’œuvre majeur de la peinture occidentale. L’intérieur de la chapelle est entièrement peint de plusieurs cycles de fresques : vie de Joachim, vie de la Vierge, vie du Christ, sept vertus, sept vices.

 

 

Vue de la Cappella degli Scrovegni

Chapelle des Scrovegni à Padoue

 

 

 

Cappella degli Scrovegni, intérieurChapelle des Scrovegni, intérieur

 

 

Au total, trente-six scènes sont insérées dans un cadre décoratif peint imitant la mosaïque et le marbre. Le commanditaire, Enrico Scrovegni, est un banquier de Padoue mort en 1336, également à l’origine de la construction de la chapelle qui porte désormais son nom.

Concernant l’ensemble des fresques de la chapelle Scrovegni, le meilleur exposé, avec de nombreuses illustrations, est celui de Godefroy Dang Nguyen : Un chef-d’œuvre universel.

Les Scènes de la vie de la Vierge comportent dix tableaux, depuis La naissance de la Vierge jusqu’à La Visitation, Marie étant alors enceinte du Christ. Ces scènes sont alignées sur la partie supérieure du mur. Sur la photographie suivante, on aperçoit, tout en haut, trois scènes : La prière pour la floraison des verges, Le mariage de la Vierge, Le cortège nuptial.

 

 

Giotto. Scènes de la vie de la Vierge, vue d’ensemble (1304-06)

Giotto. Scènes de la vie de la Vierge, vue d’ensemble (1304-06)

 

 

Le mariage de la Vierge dans la mythologie chrétienne

La mythologie chrétienne comporte de nombreux épisodes concernant Marie, mère de Jésus-Christ, lui-même considéré comme fils de Dieu. Le mariage de la Vierge est un de ces épisodes. Il fallait concilier la maternité de Marie et le concept de péché originel selon lequel les relations sexuelles entre humains représentent le mal. Les hommes qui ont conçu les textes religieux monothéistes comme la Bible, le Coran ou la Torah étaient des êtres simples, que notre rationalité scientifique n’effleurait pas. Ils ont donc créé des dogmes qui relèvent évidemment de la croyance. Le premier est le dogme de l’Immaculée Conception selon lequel Marie a été conçue « sans tache » c’est-à-dire exempte du péché originel. Le second est le dogme de l’Incarnation du Christ selon lequel le fils de Dieu émane du Verbe divin, sans que des relations sexuelles aient été nécessaires entre Marie et Joseph. La conception de Jésus-Christ est donc exempte du péché originel. Elle est « virginale ». Logique naïve et imparable puisqu’elle repose sur des dogmes.

Il est important de comprendre que les êtres humains étaient profondément croyants au 14e siècle lorsque Giotto peignait les fresques de la Chapelle des Scrovegni. Leur spiritualité passait par le récit biblique considéré comme la parole divine, rapportée par des prophètes ou des apôtres. Peindre une scène religieuse représentait donc un acte de foi tout autant qu’une création artistique. La beauté des tableaux ou fresques, toujours ressentie aujourd’hui, provient de la force de la croyance religieuse, explication globale de l’univers connu et de la genèse de l’humanité.

Le texte biblique ne fait que de brèves allusions à l’épisode du mariage de la Vierge avec Joseph. L’Évangile selon saint Luc évoque « une jeune fille vierge accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. » (Luc 1-27) Il faut se référer à des textes ultérieurs pour disposer d’un descriptif plus précis du mariage de Marie et de Joseph. Ainsi le Protoévangile de Jacques (2e siècle) et la Légende dorée de Jacques de Voragine (13e siècle) construisent un récit du mariage de la Vierge devant le temple de Jérusalem. Plusieurs prétendants veulent épouser Marie et chacun d’entre eux porte une baguette. Mais seule celle de Joseph est fleurie car il a été choisi par Dieu. C’est ce récit qui a fait l’objet de très nombreuses interprétations iconographiques, dont celle de Giotto.

 

Analyse du Mariage de la Vierge

 

Giotto. Le mariage de la Vierge (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, chapelle des Scrovegni, Padoue.

 

 

La scène du mariage de la Vierge est censée se dérouler dans le temple de Jérusalem mais elle est traitée comme un mariage entre deux personnes appartenant à l’aristocratie ou à la riche bourgeoisie de l’époque. Les figures sont totalement humanisées et seuls les nimbes encadrant les têtes de Joseph et de Marie indiquent leur sainteté. Le grand prêtre présente la main de Marie à Joseph afin qu’il lui passe l’anneau au doigt.

 

 

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

 

 

Joseph tient dans sa main gauche une baguette fleurie (ou verge) surmontée d’une colombe. Cet accessoire nécessite une explication. Selon la légende chrétienne, le prêtre aurait auparavant reçu un message d’un ange lui ordonnant de convoquer tous les veufs à Jérusalem. Sera choisi comme époux de Marie celui à qui le Seigneur Dieu montrera un signe. L’ange prescrit également que chaque veuf se munisse d’une baguette. Les veufs, dont le charpentier Joseph, se réunissent donc chez le prêtre. La baguette de Joseph est la seule à fleurir et une colombe sort de cette baguette pour se percher sur la tête de Joseph. Joseph est donc désigné par le Seigneur comme époux de Marie.

Ces épisodes antérieurs sont représentés dans la chapelle des Scrovegni par deux scènes dans lesquelles Giotto réplique exactement l’arrière-plan du mariage de la Vierge, en particulier le temple très schématique.

 

 

Giotto. La remise des verges (1304-06)

Giotto. La remise des verges (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, chapelle des Scrovegni, Padoue.

 

 

 

Giotto. La prière pour la floraison des verges (1304-06)

Giotto. La prière pour la floraison des verges (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm, chapelle des Scrovegni, Padoue.

 

 

Dans la scène du mariage de Marie, les prétendants refusés se tiennent à gauche et l’un d’eux casse sa baguette avec son genou. L’homme immédiatement à gauche de Joseph et faisant un signe de la main est un témoin du mariage. Joseph est représenté comme un vieillard alors que les autres prétendants sont plus jeunes. Là encore Giotto respecte la légende. Joseph épouse Marie mais il est considéré dans le Protoévangile de Jacques et la Légende dorée comme son gardien et pas vraiment comme son époux à part entière, ce qui explique le choix d’un homme très âgé.

Marie se tient le ventre, geste symbolisant la future conception du Christ. Une femme, derrière elle répète ce geste. Les parents de la Vierge, Joachim et Anne, ne sont pas représentés, ni d’ailleurs les invités au mariage. Cela ne signifie pas qu’ils sont absents, mais que l’artiste se concentre sur l’épisode biblique et peut ainsi simplifier la composition.

La composition, typique de Giotto, comporte deux espaces à peu près équivalents : le ciel et le temple dans la partie supérieure, le groupe des personnages dans la partie inférieure. Le bleu profond du ciel, ici un peu écaillé, contraste avec les couleurs plus claires des figures et du temple. La gamme chromatique étant limitée avec la technique de la fresque, Giotto fait toujours ressortir la scène principale claire sur un fond sombre.

En arrière-plan, le temple très stylisé permet un effet de profondeur. Le rendu des étoffes par des effets d’ombre et de lumière est tout à fait exceptionnel pour une fresque du 14e siècle, de même que le soin apporté aux cheveux et aux barbes.

 

 

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

 

 

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

Giotto. Le mariage de la Vierge, détail (1304-06)

 

Les hommes du 14e siècle croyaient à la réalité historique de ces légendes chrétiennes et cette conviction a duré, pour certaines personnes, jusqu’au 19e siècle. Les trente-six scènes de la chapelle des Scrovegni représentent un travail colossal dont Giotto est le maître d’œuvre mais qu’il n’a pas, bien entendu, exécuté seul. Outre ses aspects esthétiques, un tel chef-d’œuvre permet de comprendre à quel point les civilisations ont été marquées par la foi religieuse.

 

Autres compositions sur le même thème

Le thème du mariage de la Vierge est très fréquent du 14e au 16e siècle et continue à être exploité jusqu’au 19e siècle. Voici quelques exemples permettant de comprendre l’évolution d’un thème. Un siècle après Giotto, Lorenzo Monaco réalise une fresque à la composition plus ambitieuse comportant de nombreux personnages et un temple à l’architecture plus recherchée.
Un siècle plus tard, Le Pérugin met l’accent sur la perspective, grande conquête du 15e siècle. Le temple est placé nettement en arrière-plan et un grand parvis le sépare du groupe des figures. Le peintre cherche un effet de profondeur. Ce modèle est repris peu après par Raphaël. Bernard van Orley s’en inspire encore dix ans plus tard. Ainsi lorsqu’un modèle s’impose, comme celui du Pérugin, il influence les successeurs.  
Le thème sera traité par la suite de manière très différente et selon les canons esthétiques de chaque époque. Mais il existe en général un artiste qui infléchit ou bouleverse les modèles anciens et qui est suivi par beaucoup d’autres.


Lorenzo Monaco. Le Mariage de la Vierge (1420-24)

Lorenzo Monaco. Le Mariage de la Vierge (1420-24)
Fresque, 210  × 230 cm, chapelle Bartolini Salimbeni de la basilique Santa Trinita, Florence.

 

Le Pérugin. Le mariage de la Vierge (1500-04)

Le Pérugin. Le mariage de la Vierge (1500-04)
Huile sur bois, 234 × 185 cm, musée des Beaux-Arts, Caen.

 

Raphaël. Le mariage de la Vierge (1504)

Raphaël. Le mariage de la Vierge (1504)
Huile sur panneau, 170 × 118 cm, Pinacothèque de Brera, Milan.

 

Bernard van Orley. Le mariage de la Vierge (v. 1513)

Bernard van Orley. Le mariage de la Vierge (v. 1513)
Huile sur bois, 54 × 33 cm, National Gallery of Art, Washington.
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