Rosalba Carriera. Jeune fille tenant une couronne de laurier (1720)

 
 

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Patrick AULNAS

Au début du 18e siècle, il y eut un engouement en France, puis en Europe, pour les portraits au pastel de Rosalba Carriera. La pastelliste vénitienne joua ainsi un rôle décisif dans la promotion de cette technique, qui n’était auparavant utilisée que pour réaliser un dessin préalable à l’exécution d’un tableau à l’huile. Le pastel acquiert ainsi ses lettres de noblesse et devient une technique ayant ses spécialistes, comme le français Maurice Quentin de La Tour.

 

Rosalba Carriera. Jeune fille tenant une couronne de laurier, nymphe de la suite d’Apollon (1720)

Rosalba Carriera. Jeune fille tenant une couronne de laurier, nymphe de la suite d’Apollon (1720)
Pastel sur feuille de papier bleu marouflée sur toile, 61,5 × 54,5 cm, musée du Louvre, Paris.

Historique de l’œuvre

Le financier et marchand d’art français Pierre Crozat rendit visite à Rosalba Carriera à Venise en 1715. Cinq ans plus tard, en 1720, il l’invite à Paris dans son hôtel de la rue Richelieu. Le séjour de l’artiste vénitienne dure dix-huit mois, au cours desquels elle reçoit un nombre considérable de commandes de portraits. Elle fera même celui du jeune roi Louis XV, alors âgé de dix ans.

Rosalba Carriera fut admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris le 26 octobre 1720, avant même qu’elle n’ait présenté, selon les règles académiques, un morceau de réception, c’est-à-dire une œuvre spécifiquement conçue pour les académiciens, afin qu’ils jugent des aptitudes du postulant. Le portrait de Louis XV avait été jugé suffisamment convaincant.

 

Rosalba Carriera. Louis XV, dauphin de France (1720-21)

Rosalba Carriera. Louis XV, dauphin de France (1720-21)
Pastel sur papier, 50,5 × 38,5 cm, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde.

De retour à Venise, Rosalba Carriera souhaita se conformer aux modalités de la sélection académique des artistes. Elle réalisa donc cette Jeune fille tenant une couronne de laurier, qui fut achevée en octobre 1721. Le tableau devait être expédié à Paris, ce qui, à cette époque présentait des risques importants. La correspondance entre Rosalba Carriera et Pierre Crozat comporte des conseils minutieux de ce dernier pour l’expédition du pastel :

« J'estime que vous devés mestre votre pastel dans ma caisse sans glace, il faut que la caisse soit d'un bois bien solide, et attachée pour ainsy dire en l'air dans la susdite caisse. Il faut aussi marquer sur l'adresse que vous m'en ferés de la remuer tout doucement tout comme si s'estoit une glace. Il n'y aura pas du mal aussi de faire emballer de toielle et de paille la dite caisse. »

Le pastel arriva à Paris en bon état au début de 1722 et fut présenté à l’Académie le 31 janvier 1722.

L’historien de l’art et collectionneur Pierre-Jean Mariette (1694-1774) fera part à l’artiste de toute son admiration en ces termes :

« Mademoiselle, Je n'ay pas été des derniers à admirer le riche présent que vous venez de faire à nostre Académie de peinture et je ne dois pas estre non plus des derniers à vous en faire mes complimens. L'on estoit déjà fort persuadé que vos pastels ont un grand avantage sur toute autre sorte de peinture. Celuy que vous avez envoyé ne fait que confirmer cette opinion. L'on y a trouvé des grâces, une justesse de dessein, des touches légères et précieuses, une vérité et un heureux ton des couleurs qu'il n'y a que vous qui puisse donner. Enfin l'ouvrage a paru à tout le monde digne de vous, c'est-à-dire digne de tous les éloges. »

Analyse de l’œuvre

La mythologie grecque est l’indispensable prétexte à la représentation de la nudité féminine, d’autant qu’il s’agit du morceau de réception de l’artiste à l’Académie royale. Avant l’expédition du tableau, Rosalba Carriera avait écrit au peintre Antoine Coypel (1661-1722), directeur de l’Académie, en précisant le sujet traité :

« J'ai tâché de faire une jeune fille, sachant qu'on pardonne bien de fautes à la jeunesse. Elle représent aussi une ninfe de la suite d'Apollon qui va faire présent, de sa part, à l'Académie de Peinture d'une couronne d'orier la jugeant la seule digne de la porter et de présider à toutes les autres. »

La jeune fille tenant une couronne de laurier constitue ainsi une allusion à la réception de l’artiste par la prestigieuse Académie et une évocation de l’un des attributs d’Apollon, dieu grec de la musique et des arts. Apollon, réputé pour sa beauté, séduit beaucoup de nymphes et de mortelles. Le lien entre Apollon et le laurier provient de l’épisode de la nymphe Daphné (laurier en grec). Apollon et Daphné furent atteints par des flèches décochées par Cupidon et le désir conduisit alors Apollon à poursuivre Daphné contre son gré. Pour lui permettre d’échapper à Apollon, le père de Daphné la métamorphosa en laurier. A partir de ce moment, le dieu voua un culte au laurier. Apollon est souvent représenté avec une couronne de laurier (ou couronne triomphale) sur la tête. En l’honneur d’Apollon, des couronnes de lauriers seront remises aux vainqueurs lors des jeux olympiques de la Grèce antique.

Le tableau est accueilli avec enthousiasme pour son style novateur et la virtuosité de l’utilisation du pastel. La peinture tonale, qui caractérisait depuis la Renaissance la production vénitienne, séduit l’aristocratie parisienne à une époque où le classicisme français, qui dominait sans partage sous le règne de Louis XIV, est remis en question. L’artiste utilise toute une gamme de tons pour réaliser des transitions douces et des effets vaporeux que Vinci avait inaugurés dès le tout début du 16e siècle (sfumato). Par cette délicatesse chromatique, Rosalba Carriera donne à sa nymphe une grâce maniériste et une douceur rare qui tranchent avec les portraits guindés auxquels on était accoutumé.

L’aristocratie parisienne succombe et celle de l’Europe entière suivra. Tout le portrait rococo est déjà chez Rosalba Carriera, comme on peut le voir ci-après.

Influence sur le portrait au 18e siècle

Rosalba Carriera participe à une inflexion du l’art du portrait vers la suavité et l’intimité. Les quelques exemples ci-après montrent les similarités qui persistent jusqu’à la fin du siècle entre les visages, les coiffures, le traitement délicat de étoffes et l’arrière-plan neutre.

Nattier. Pauline Félicité de Mailly-Nesle (v. 1740)

Jean-Marc Nattier. Pauline Félicité de Mailly-Nesle (v. 1740). Huile sur toile 97 × 78 cm, collection particulière. Pauline Félicité de Mailly-Nesle (1712-1741), marquise de Vintimille, est une favorite de Louis XV à partir de 1739. Elle supplanta sa sœur aînée, Louise Julie de Mailly Nelle, comtesse de Mailly, auprès du roi et mourut en couches en 1741. Sa sœur cadette Marie-Anne prit la suite auprès de Louis XV.

Marianne Loir. Portrait de femme en divinité aquatique (1750-69)

Marianne Loir. Portrait de femme en divinité aquatique (1750-69). Huile sur toile, 54,5 × 46,5 cm, musée de Picardie, Amiens. « Ce portrait d'une femme inconnue (qui ne saurait être celui de l'une des filles de Louis XV, comme a pu le proposer le catalogue de 1894), âgée semble-t-il d'une trentaine d'années, nous présente le modèle en buste, la tête légèrement tournée vers la gauche, les yeux fixant le spectateur et les lèvres esquissant un léger sourire. Des algues garnissent ses cheveux et un double rang de perles s'enroule dans sa coiffure pour descendre en tresse sur son épaule droite. Le nœud de sa ceinture s'orne de feuilles de roseaux. Cette même végétation compose l'unique décor qui apparaît derrière le personnage. L'utilisation des perles et des roseaux comme ornements de la figure fonctionne comme un attribut et incite à penser que l'artiste a voulu conférer à son sujet la tournure d'une divinité aquatique. On sait la fortune de ces portraits où le modèle se travestit en une figure mythologique : Largillière, puis surtout Nattier ont beaucoup pratiqué ce genre. » (Commentaire Base Joconde).

Maurice Quentin de la Tour. Portrait de Marie Fel (1752-53)

Maurice Quentin de la Tour. Marie Fel (1752-53). Pastel sur papier, 79 × 63,5 cm, collection particulière. Marie Fel (1713-1794) est une chanteuse d’opéra qui débuta en 1733 à l’opéra de Paris et fit ses adieux à la scène en 1758. Elle fut une des interprètes favorites de Rameau. Elle eut une liaison avec Quentin de la Tour.

Analyse détaillée

Jean-Baptiste Perronneau. Jeune femme en robe jaune avec rubans bleus (v. 1767)

Jean-Baptiste Perronneau. Jeune femme en robe jaune avec rubans bleus (v. 1767). Pastel sur papier, 61 × 50 cm, National Gallery of Art, Washington. Le modèle n’est pas identifié.

Greuze. Le Chapeau blanc (1780)

Jean-Baptiste Greuze. Le Chapeau blanc (1780). Huile sur toile, 56,8 × 46,5 cm, Museum of Fine Arts, Boston. Cette jeune femme au chapeau blanc est sans doute un des chefs-d'œuvre de Greuze. Stylistiquement proche des portraits d'Elisabeth Vigée-Lebrun, le tableau s'en distingue par la petite audace du sein nu. Il pouvait générer l'ambiguïté dans les esprits de l'époque : s'agit-il d'une ingénue ou d'une courtisane ?

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