Jean-Baptiste Greuze. Le Chapeau blanc (1780)
Patrick AULNAS
Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) ambitionnait le titre de peintre d’histoire, le plus haut dans la hiérarchie académique de l’époque, mais il ne l’obtint pas. L’Académie royale de peinture et de sculpture le reçut comme peintre de scènes de genre alors qu’il venait de présenter un tableau consacré à l’empereur Septime Sévère (1769). Cet épisode le blessa mais n’altéra pas son succès. Ses portraits et scènes de genre étaient très appréciés.
Jean-Baptiste Greuze. Le Chapeau blanc (1780)
Huile sur toile, 56,8 × 46,5 cm, Museum of Fine Arts, Boston
Contexte de l’œuvre
Le Chapeau blanc se rattache au portrait de style rococo, apparu au tout début du 18e siècle. Le portrait solennel, témoignant de la puissance et de la richesse du modèle, qui domine jusqu’au 17e siècle, laisse alors place à l’exploration des personnalités et de la psychologie individuelle. L’individu supplante déjà dans le domaine artistique la famille, la fonction, le rang. Le goût de l’aristocratie évolue également vers plus de légèreté.
Dans un premier temps, le sein nu ne peut être que celui d’une divinité, mais chacun comprend le subterfuge. Ainsi, la vénitienne Rosalba Carriera (1675-1757) peint en 1720 une Jeune fille tenant une couronne de laurier, nymphe de la suite d'Apollon qui sera son morceau de réception à l’Académie. La mode est lancée et durera jusqu'à l’apparition du néoclassicisme (vers 1770-80). En 1740, par exemple, Jean-Marc Nattier réalise un portrait de la favorite de Louis XV, Pauline Félicité de Mailly-Nesle. Bien que nominatif, ce portrait utilise encore vaguement le prétexte mythologique, la favorite apparaissant en Flora, déesse romaine des fleurs.
Le portrait de la dame au chapeau blanc de Greuze est donc l’aboutissement d’une longue série jouant sur la nudité physique et la pureté divine. Mais Greuze n’utilise plus la mythologie. Il représente une jeune femme de son époque. Le détournement de la mythologie vers l’érotisme, qui avait commencé au 16e siècle, n’est plus du tout nécessaire en 1780.
Analyse du tableau
Les portraits de Greuze comprennent deux catégories principales : les portraits nominatifs, cherchant à cerner la personnalité du modèle (Benjamin Franklin, 1777), et les portraits d’ingénues, traduisant une émotion ou une vertu (Jeune fille pleurant la mort de son oiseau, 1765). Mais Le Chapeau blanc est difficilement rattachable à l’une des deux catégories. Il s’agit d’un portrait de femme et non de très jeune fille extériorisant un sentiment. Mais cette femme n’existe pas, Greuze l’ayant probablement imaginée dans son atelier en s’inspirant de modèles antérieurs.
Jean-Baptiste Greuze. Le Chapeau blanc, détail (1780)
Franchissant un pas de plus par rapport aux ingénues sortant de l’enfance, il crée un modèle de femme innocemment tentatrice. La morale de l’époque est sauve puisque la candeur se lit dans le regard, le visage doux et sérieux ne constituant en aucun cas une invite pour quiconque. Mais Greuze choisit pour vêtement un déshabillé laissant apparaître un sein. Évidemment, ce petit élément de nudité est un accident dû à la tenue d’intérieur trop légère, la jeune femme n’ayant nullement l’intention de provoquer. Le chapeau vient cependant contredire l’idée d’un portrait saisi dans l’intimité. Toutes les hypothèses deviennent alors possibles : courtisane, élégante essayant un chapeau chez elle.
Greuze utilise donc habilement l’antinomie, certains critiques parlant même d’ambiguïté. Le sein nu contredit l’ingénuité du visage, le déshabillé n’est pas compatible avec le chapeau. Le peintre cherche à saisir dans la féminité les aspects contradictoires qui étonnent et fascinent l'univers masculin. Presque indicible, ce ressenti peut être mieux appréhendé par l’image. L’idée de la femme à la fois candide et charmeuse, innocente et tentatrice est omniprésente dans la sensibilité masculine. Le christianisme l’utilise avec Ève faisant chuter Adam et les artistes ont parfois détourné l’épisode biblique vers l’érotisme (Lucas Cranach l'Ancien, Adam et Ève, 1538-39).
Au-delà de la figure de l’ingénue, la femme du monde représente un compromis social, induit par la domination masculine, combinant retenue et séduction physique. Les commanditaires de Greuze étant des aristocrates ou de riches bourgeois, ils pouvaient retrouver dans un tableau de ce type les composantes familières de la féminité mondaine. Mais, dans Le Chapeau blanc, le peintre accentue fortement les antinomies afin de proposer un modèle visuel de féminité suscitant l’émoi chez les hommes appartenant à l’élite du siècle des Lumières.
Le choix du tondo, c’est-à-dire d’un tableau ovale, est destiné à accentuer l’effet d’intrusion. Le tondo était souvent utilisé pour des miniatures, par exemple de petits médaillons peints. Mais les artistes choisissaient aussi ce format pour représenter une scène intime que l’observateur du tableau avait ainsi le sentiment de surprendre.
Greuze et le tondo
Greuze appréciait ce format, non seulement pour ses jeunes ingénues mais également pour des portraits de personnalités de l’époque.
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