Pierre-Henri de Valenciennes. Paysage classique avec figures buvant à la fontaine (1806)

 
 
 

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Patrick AULNAS

Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) est un des grands maîtres et le théoricien du paysage néo-classique. Ayant vécu à Rome de 1777 à 1785, il y fréquente les jeunes peintres français qui y séjournent et en particulier Jacques-Louis David. Valenciennes sera d’ailleurs surnommé le David du paysage. Il remet en effet au goût du jour les ambitions et les prescriptions du classicisme français dans le domaine du paysage, comme David le faisait à la même époque pour la peinture d’histoire.

Grand admirateur de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain, il préconise un travail préparatoire sur le motif sous forme de dessins qui pourront ensuite être utilisés dans les compositions à l’huile.

 

Pierre-Henri de Valenciennes. Paysage classique avec figures buvant à la fontaine (1806)

Pierre-Henri de Valenciennes. Paysage classique avec figures buvant à la fontaine (1806)
Huile sur toile, 45,2 × 73,5 cm, Toledo Museum of Art.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Contexte historique

Le tableau fut présenté au Salon de 1806. Pierre-Henri de Valenciennes est alors l’un des plus grands peintres de paysages et un professeur réputé. Il a publié en 1799 Éléments de perspective pratique à l'usage des artistes, un volume de plus de 600 pages dans lequel il analyse comment utiliser les lois de la géométrie pour construire un tableau. Il est considéré par ses pairs comme le meilleur connaisseur de la perspective dans le domaine artistique. Cet ouvrage comporte aussi une partie intitulée Conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage, qui résulte de l’activité d’enseignement de Pierre-Henri de Valenciennes. Il reçoit de nombreux élèves dans son atelier parisien et, à partir de 1812, il enseigne la perspective à l’École impériale des Beaux-arts.

A partir de la fin du 18e siècle, la peinture néo-classique succède en France au rococo. Son apparition suit les découvertes archéologiques importantes faites à Pompéi, Herculanum et Paestum vers le milieu du siècle, qui avaient suscité un regain d’intérêt pour l’Antiquité. Le néo-classicisme représente également une réaction de l’esprit des Lumières contre la frivolité du rococo. La peinture de paysage retrouve alors les préceptes rigoureux de composition chers à Claude Lorrain et Nicolas Poussin. Paysage classique avec figures buvant à la fontaine constitue à cet égard un exemple emblématique de l’orientation de la peinture française de paysage au début du 19e siècle.

Analyse de l’œuvre

Si ce splendide panorama respire le calme et l’harmonie, c’est qu’il n’a rien de réel. L’ambition classique consiste à magnifier la nature, à en extraire une sorte de quintessence esthétique permettant d’émouvoir le spectateur. Pierre-Henri de Valenciennes l’exprime clairement dans les conseils qu’il donne à ses élèves :

« Beaucoup de paysagistes ont sans doute acquis une réputation méritée ; mais dans ce nombre il en est bien peu qui ait eu un génie susceptible d’être échauffé par l’enthousiasme qu’inspire ce beau idéal qui, élevant la Nature au-dessus d’elle-même, porte dans notre âme des sensations profondes et délicieuses. » (1)

Structuration en plans horizontaux

 

PH de Valenciennes. Paysage classique, premier plan

PH de Valenciennes. Paysage classique, premier plan

 

PH de Valenciennes. Paysage classique, deuxième plan

PH de Valenciennes. Paysage classique, deuxième plan

 

PH de Valenciennes. Paysage classique, arrière-plan

PH de Valenciennes. Paysage classique, arrière-plan

La composition est structurée en plusieurs plans horizontaux permettant d’offrir une vaste perspective depuis l’observateur jusqu’à la ligne d’horizon. Au premier plan apparaissent les personnages vêtus à l’antique, s’abreuvant à une fontaine et, à gauche, une souche et un chien. Un chêne majestueux est placé derrière la fontaine. Le second plan est constitué par un bosquet à gauche du tableau, un château placé devant un relief et une vaste prairie éclairée reliant l’espace entre fontaine et château. A l’arrière-plan, on aperçoit des montagnes lointaines se découpant sur la ligne d’horizon. Le ciel occuperait environ la moitié de la surface si le chêne du premier plan ne venait le masquer partiellement.

Suivre les conseils des anciens

PH de Valenciennes. Paysage classique, la fontaine

PH de Valenciennes. Paysage classique, la fontaine

L’eau de la fontaine s’écoule dans un bassin surplombé par un monument de pierres. Un tel ouvrage ne provient pas uniquement de l’imagination de l’artiste mais de croquis pris sur le vif ou de traités d’architecture. Voici ce que conseillait le peintre :

« Faites des croquis des temples, des palais, et de tous les monuments que vous rencontrerez ; étudiez surtout les règles de l’architecture pour faire de bons choix ; consultez les ouvrages de Palladio er de Vignole. Vous devez assez connoître cet art pour pouvoir, après avoir lu Pausanias ou tout autre historien, représenter un temple, un parvis, une fontaine entourée de son bois sacré, enfin tous les monuments qu’ils ont décrit. » (2)

 

PH de Valenciennes. Paysage classique, le chêne majestueux

PH de Valenciennes. Paysage classique, le chêne majestueux

Le grand chêne placé à droite vient occuper l’espace et constitue un élément de verticalité dans une œuvre se découpant en plans horizontaux. Valenciennes s’inspire de Poussin lorsqu’il peint un arbre, comme il l’avoue lui-même en parlant du grand maître :

« Quand il peignait un arbre, il le faisoit grand, majestueux, bien portant et se plaisant dans le terrain où il étoit planté, sans blessure, sans excroissance : son écorce, saine et entière, attestait sa vigueur et sa force » (3)

Les couleurs et la lumière

Conformément à la doxa classique, le registre chromatique reste sage, avec les nuances de verts et de gris du paysage s’opposant aux bleus et aux blancs du ciel ennuagé. Aussi, les personnages vêtus de rouge, de bleu, de violet, de blanc et de jaune attirent-ils immédiatement l’attention de l’observateur. Nicolas Poussin utilisait également cet artifice dans ses tableaux de paysage (par exemple, L’Été, 1660-64).

 

PH de Valenciennes. paysage classique, les personnages

PH de Valenciennes. paysage classique, les personnages

La lumière inonde l’ensemble du tableau à la manière insurpassable de Claude Lorrain, de façon à restituer la limpidité et en même temps l’épaisseur de l’atmosphère. Là encore, le peintre se réfère dans ses écrits à son prédécesseur :

« Claude Lorrain a rendu, avec la plus exacte vérité et même avec intérêt, le lever tranquille et le brûlant déclin de l’astre du jour. Il a peint admirablement l’air atmosphérique ; personne n’a mieux fait sentir que lui, cette belle vapeur, ce vague et cette indécision qui fait le charme de la nature et qu’il est si difficile de rendre. » (4)

Approcher par l’image la poésie antique

Ce paysage pastoral cherche ainsi à poétiser le monde avec la nostalgie qu’éprouvaient les néo-classiques pour les poètes antiques. Il s’agit d’approcher par l’image ce que pouvaient évoquer les poèmes. Ainsi s’exprime Pierre-Henri de Valenciennes à propos du paysage pastoral :

 « Ce genre est absolument idéal ; et le paysage qui lui est propre devant être habité par des hommes, non pas tels qu’ils sont, mais tels que l’imagination suppose qu’il pourroient être, exige qu’il soit préparé pour recevoir de pareils mortels […]
Le moyen le plus sûr pour trouver ce style et ce caractère de nature, c’est de faire des études d’après Homère, Théocrite, Virgile, Longus, Le Tasse, Montesquieu, Le Fontaine, etc., et de se nourrir de la lecture de leurs poèmes champêtres, dont les tableaux nous font penser que leurs auteurs ont été témoins des scènes pastorales  […]
Que sont devenus les bosquets odorants de Paphos et d’Amathonte ? Qu’est devenue cette heureuse Arcadie que les Poëtes se sont plu à chanter à l’envi ? Que reste-t-il de cette délicieuse vallée de Tempé, abritée par les monts Olympe et Pierus, arrosée par le fleuve Pénée, et couverte de bois épais  et toujours verts ? » (5)

Une haute ambition aujourd’hui disparue

Cette haute ambition, qui puise dans un passé mythique, disparaîtra au cours du 19e siècle. La peinture de paysage va s’orienter vers la reproduction aussi exacte que possible du réel dans un premier temps (École de Barbizon en France), puis vers l’étude du ressenti des artistes face au réel (impressionnisme). La nostalgie si pleine de poésie du locus amoenus disparait de l’histoire de l’art avec les néo-classiques. Seuls désormais les latinistes et les hellénistes érudits pourront retrouver dans les textes ce que les peintres avaient essayé de montrer.

Mais Valenciennes donne à ses élèves un conseil plus général qui, lui, a toujours toute sa valeur :

« Quelque sujet que vous ayiez à traiter, souvenez-vous bien que les trois parties essentielles de la Peinture, sont l’Invention, la Composition et l’Exécution.
L’Invention consiste à imaginer un sujet ou à en choisir un dans la fable ou l’histoire, qui puisse plaire et intéresser le spectateur.
La Composition sert à arranger ce même sujet suivant les règles de l’art et les convenances des temps et des lieux, et à mettre à cet ensemble de la grâce et de l’harmonie.
L’Exécution comprend l’exactitude et la justesse dans le dessin, et l’heureux emploi des couleurs dans tous les points de leur mélange et de leur dégradation.
La première tient au génie, la seconde dépend des connoissances acquises, et la troisième est le fruit de l’habitude et de l’expérience. » (6)

Certains artistes contemporains auraient intérêt à lire Pierre-Henri de Valenciennes.

Quelques autres paysages néo-classiques

Joseph Vernet. La ville et le port de Toulon (1756)

Joseph Vernet. La ville et le port de Toulon (1756). Huile sur toile, 165 × 263 cm, Musée du Louvre, Paris. Vernet reçut de Louis XV une commande de 24 tableaux des ports de France, mais ne parvint à en réaliser que 15. « Ce tableau de la série des Ports de France est la deuxième vue de Toulon peinte par Vernet, conformément aux instructions officielles réclamant deux tableaux pour chaque port. Ce fut pour l'artiste un tour de force que de concilier l'aspect documentaire requis avec sa vision personnelle et de se renouveler à chaque fois. » (Notice musée du Louvre)

Pierre-Henri de Valenciennes. Cicéron découvrant le Tombeau d'Archimède (1787)

Pierre-Henri de Valenciennes. Cicéron découvrant le Tombeau d'Archimède (1787). Huile sur toile, 119 × 162 cm, musée des Augustins, Toulouse. Pierre-Henri de Valenciennes composait ses paysages en atelier mais il prenait des esquisses à l'huile sur le vif. Il s'agit donc ici d'un paysage imaginaire mais réalisé en agençant des éléments proches de la réalité observée. L'anecdote antique permet de souligner le caractère néoclassique.

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806)

Jean-Joseph-Xavier Bidauld. Le parc à Mortefontaine (1806). Huile sur toile, 87,6 × 128,3 cm, Indianapolis Museum of Art. Ce paysage reste classique par l'équilibre de la composition et le chromatisme très retenu, mais il est déjà romantique par l'ambiance. Bidauld maîtrise admirablement les effets de lumière sur l'herbe, à travers les arbres et sur la surface de l'eau

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Etude détaillée du tableau

Jean-Charles Rémond. Paysage arcadien (1820)

Jean-Charles Rémond. Paysage arcadien (1820). Huile sur toile, 38 × 46,3 cm, collection particulière. Jean-Charles Rémond (1795-1875), grand prix de Rome en 1821, maintient la tradition du paysage néoclassique jusqu’au milieu du 19e siècle.

Jean-Charles Rémond. Vue d’Ischia depuis la mer (1842)

Jean-Charles Rémond. Vue d’Ischia depuis la mer (1842). Huile sur papier, marouflé sur toile, 25,7 × 35,9 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Cette Vue de l’île d’Ischia dans le golfe de Naples constitue surtout un travail sur la lumière.

 

 

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(1) Pierre-Henri de Valenciennes. Élémens de perspective pratique à l'usage des artistes, suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre paysage, 1799, p. 375. Consultable sur Gallica.

(2) Ibidem, p. 412

(3) Ibidem, p. 379

(4) Ibidem, p. 376

(5) Ibidem, p. 484

(6) Ibidem, p. 630

 

Commentaires

  • Eline
    • 1. Eline Le 07/01/2024
    Le tableau "Paysage classique avec figures buvant à la fontaine" de Pierre-Henri de Valenciennes évoque le thème des fontaines dans un cadre naturel et idéalisé, typique de l'art néoclassique. Cette œuvre illustre la rencontre entre l'homme et la nature, où la fontaine, élément central, symbolise un lieu de vie et de rencontre. C'est un exemple parfait du lien entre l'art, la nature et l'architecture des fontaines, rappelant leur importance dans l'histoire de l'art et la vie quotidienne.

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