Joachim Patinir. Le repos pendant la fuite en Égypte (1518-1520)

 
 
 

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Patrick AULNAS

Joachim Patinir (v. 1485-1524) est un peintre flamand considéré comme le premier paysagiste de l'histoire de l'art occidental. Mais le paysage seul n’était pas concevable au début du 16e siècle. Patinir place donc une scène religieuse au milieu d’un paysage. Les figures peuvent d’ailleurs être peintes par d’autres artistes car ce qui intéresse Patinir est la représentation de la nature. Les paysages des peintres flamands de cette époque ont été qualifiés de paysages-monde car les artistes cherchent à placer dans leur tableau le maximum d'éléments représentatifs de la réalité de leur environnement habituel –  relief, végétation, constructions, rivières, lacs, personnages, animaux – et à donner une profondeur quasi illimitée à la composition en utilisant la perspective atmosphérique.

 

Patinir. Le repos pendant la fuite en Egypte (v. 1520)

Joachim Patinir. Le repos pendant la fuite en Égypte (1518-1520)
Huile sur bois, 121 × 177 cm, Musée du Prado, Madrid.
Image HD sur le site du MUSÉE DU PRADO

La fuite en Égypte de la Sainte Famille

La fuite de la Sainte Famille (Joseph, la Vierge et le Christ) constitue un des grands thèmes classiques de la peinture religieuse à partir du 13e siècle. Giotto, Fra Angelico, Cranach l’Ancien, Corrège, Claude Lorrain, Nicolas Poussin et bien d’autres l’utiliseront pour montrer leur savoir-faire. L’épisode est relaté dans l’Évangile selon saint Matthieu. Le roi Hérode Ier de Palestine, ayant appris la naissance à Bethléem du roi des Juifs, donne l’ordre de tuer tous les enfants de moins de deux ans se trouvant dans la ville. Prévenu par un songe, Joseph s’enfuit en Égypte avec l’enfant Jésus et sa mère Marie. Ils y resteront jusqu’à la mort d’Hérode.

Le thème est picturalement intéressant car il permet de saisir les trois personnages en fuite dans un cadre paysager. De multiples choix de composition, de couleur et d’éclairage sont envisageables, d’où la constance des artistes à utiliser le sujet jusqu’au 18e siècle avec l’ambition de le renouveler. Deux variantes principales ont été traitées : la Sainte Famille marche, en général accompagnée d’un âne sur lequel se trouve Marie et son fils, ou bien la Sainte Famille se repose après une longue marche. Patinir a choisi cette seconde variante.

Analyse du Repos pendant la fuite en Égypte de Joachim Patinir

Les tableaux de Patinir sont toujours construits par plans horizontaux successifs. Au premier plan apparaît la scène religieuse. Au second plan, l’artiste place un paysage verdoyant dans lequel sont implantées des constructions et où de petits personnages secondaires se dessinent. Enfin, l’arrière-plan est constitué par le paysage lointain et le ciel pour lesquels le peintre utilise le bleu le gris et le blanc. Cette technique de composition permet de créer de magistrales vues panoramiques sans posséder une bonne maîtrise de la perspective linéaire. Patinir utilise la perspective aérienne ou atmosphérique qui consiste à représenter les lointains avec un dégradé de bleu-gris de plus en plus clair aboutissant quasiment au blanc sur la ligne d'horizon.

 

Detail perspective atmospherique

Détail, perspective atmosphérique

L’observateur est placé sur une hauteur et il domine la scène. Cet artifice permet au peintre de placer la ligne d’horizon très haut, ce qui dégage une surface importante pour les nombreux éléments à introduire dans la composition. Les paysagistes flamands et néerlandais du 17e siècle, comme Jacob van Ruisdael, choisiront au contraire une vue en contre-plongée avec un ciel immense couvrant les deux-tiers de la toile.

La scène religieuse est ici mise en évidence par la position centrale de la Vierge au premier plan. Assise sur un rocher, celle-ci allaite son enfant. A ses pieds apparaissent une besace attachée à un bâton, un panier d’osier et une jarre qui évoquent le long chemin parcouru. Joseph, à gauche, revient avec un récipient rempli d’eau ou de lait. Patinir s’est inspiré de certains peintres flamands de son époque, comme Gérard David, pour associer la figure maternelle de la Vierge au thème de la fuite en Égypte. S’il donne une place aussi importante à la Vierge dans son tableau, c’est précisément pour mettre en évidence cette Vierge très humaine qui nourrit son enfant.

 

Detail la vierge a l enfant

Détail, la Vierge à l'Enfant

Les épisodes associés par la Bible à la Fuite en Égypte parsèment le tableau :

1. A l’extrême-droite, le massacre des Innocents, c’est-à-dire l’assassinat des enfants de Bethléem par les soldats du roi de Palestine Hérode.

 

Detail le massacre des innocents

Détail, le massacre des Innocents

2. A droite de la Vierge, la moisson miraculeuse. Les soldats d’Hérode poursuivent la Sainte Famille. Passant devant des paysans semant des graines de blé, Marie leur demande le chemin de l’Égypte. Avant de repartir, Joseph suggère aux paysans de dire aux soldats d’Hérode qu’ils avaient bien vu des voyageurs allant vers l’Égypte « quand ils semaient le blé ». Mais lorsque les soldats arrivent, le blé a miraculeusement poussé et les soldats repartent, croyant les fuyards hors de portée.

 

Detail la moisson miraculeuse

Détail, la moisson miraculeuse

3. La chute des idoles, à gauche, dans le château. Au passage de Jésus, dans certaines villes, les idoles païennes tombent de leur piédestal et se brisent. L’ensemble architectural représenté évoque la ville égyptienne d’Héliopolis, lieu de culte célèbre.

 

Detail la chute des idoles

Détail, la chute des idoles

Certains historiens de l’art, comme Reindert R. Falkenburg, proposent une interprétation allégorique des paysages-monde du début du 16e siècle et en particulier de ceux de Patinir. Le paysage infini évoque le voyage du pèlerin vers la cité promise, représentation picturale du voyage de l’homme sur le chemin de la vie. Les deux éléments composant ces tableaux, scène religieuse et paysage, dialoguent et interagissent. Dans le cas présent, la Vierge à l’Enfant du premier plan suscite chez l’observateur un sentiment de dévotion tandis que le vaste panorama de l’arrière-plan suggère un voyage imaginaire, allégorie du pèlerinage spirituel de la vie.

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