Jean-Honoré Fragonard. La balançoire (1775-80)

 
 

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Patrick AULNAS

Fragonard (1732-1806) est un grand virtuose de la peinture qui s’est illustré dans tous les genres de l’époque : scènes mythologiques et religieuses, portraits, scènes de genre. Seule la nature morte ne l’a pas inspiré. Il utilise le paysage comme un cadre général dans lequel le sujet traité – fête galante ou scène mythologique – prend place. Peintre emblématique du style rococo, qui touche à sa fin dans la décennie 1770, il infléchira son style vers plus de rigueur néo-classique à partir de la Révolution de 1789.

 

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire (1775-80)

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire (1775-80)
Huile sur toile, 215,9 × 185,5 cm, National Gallery of Art, Washington.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Analyse de La balançoire de Jean-Honoré Fragonard

Une fête galante

La balançoire est un des tableaux de Fragonard où le paysage représente un élément particulièrement important. Il s’agit cependant d’une fête galante. Ce thème, typiquement français et limité historiquement à une partie du 18e siècle (environ 1717-1780), concerne des activités ludiques organisées en plein air par l’aristocratie. La fête galante se déroule dans un jardin, un parc, ou un site champêtre, offrant ainsi une large place au paysage. Elle a également une connotation amoureuse traitée par la représentation de couples plus ou moins isolés du groupe. Les messieurs courtisent les dames. La balançoire comporte plusieurs détails de ce type. Un homme, allongé sur le sol, s’intéresse tout particulièrement à la femme tenant un chien au-dessus du bassin :

 

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Un autre aparté a lieu entre un homme et la femme à la longue-vue :

 

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

L’aspect ludique de la fête galante apparaît sous forme de jeux, la balançoire revenant fréquemment chez Fragonard.

 

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

L’Académie royale de peinture et de sculpture avait créé le genre spécifique Fête galante en 1717 pour permettre à Antoine Watteau d’entrer à l’Académie avec un chef-d’œuvre comme morceau de réception : Le pèlerinage à l’île de Cythère. Lorsque Fragonard peint La balançoire, le genre est déjà sur le déclin car le néo-classicisme a fait son apparition en France. Joseph Vernet réalise dès le milieu du 18e siècle de grandioses paysages portuaires (Vue du golfe de Naples, 1748) et Pierre-Henri de Valenciennes s’essaie à capturer sur le motif des paysages italiens plus ou moins reconstitués en atelier (Bâtiments de ferme à la Villa Farnèse: les deux peupliers, 1780). Les fêtes galantes de Fragonard, dans la décennie 1770-80, sont donc les dernières du genre, ce qui leur confère aujourd’hui une aura particulière et quelque peu nostalgique. L’aristocratie du 18e siècle, avec ses costumes, ses plaisirs, sa frivolité, allait bientôt disparaître totalement. Le grand artiste propose les dernières images d’un mode de vie, sans doute idéalisé par l’art, mais bien réel dans les milieux les plus privilégiés de la société française de l’époque.

Mais aussi et d’abord un paysage

La composition du tableau l’éloigne d’ailleurs des fêtes galantes plus anciennes de l’auteur (par exemple L’amant couronné, 1771) par l’immensité du paysage, qui domine la scène ludique du premier plan. Il est clair que Fragonard n’a pas traité le paysage comme le cadre de la scène de genre, mais qu’il a placé une scène de genre dans un paysage. Il s’agit d’un paysage comportant accessoirement des personnages et non d’une fête galante avec arrière-plan paysager. La place accordée au ciel, avec ses nuages menaçants, provient des peintres hollandais de 17e siècle. Jacob van Ruisdael fut l’un de ces maîtres du ciel, dont il recouvrait toujours les deux-tiers de ses toiles (Champs de blé, 1670). Quant au paysage qui fuit vers l’infini, il renvoie au paysage-monde des peintres flamands du début du 16e siècle, dont Joachim Patinir est le chef de file (Paysage avec saint Jérôme, 1515-19). Mais quand Patinir peuple son paysage de constructions et de petits personnages minutieusement représentés, Fragonard se contente d’évoquer l’horizon lointain et légèrement brumeux par des reliefs gris et blancs se perdant dans les nuages. Seule une ébauche architecturale apparaît discrètement, noyée dans la verdure.

 

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Jean-Honoré Fragonard. La balançoire, détail

Le peintre place d’ailleurs sa ligne d’horizon très bas alors que les paysages-monde se caractérisaient par un horizon surélevé de façon à disposer pour la partie terrestre d’une surface permettant de faire apparaître toutes les facettes du milieu naturel et des réalisations humaines. En tout état de cause, ce paysage de Fragonard emprunte beaucoup à la peinture nordique et fort peu au classicisme français ou au paysage arcadien italien.

Une allégorie de l’Ancien Régime finissant

Mais parvenir à placer dans un même tableau la fête galante française et le monumental paysage néerlandais n’était pas à la portée de n’importe quel artiste. Les hollandais et les flamands orientaient leurs scènes vers l’activité économique (ports, agriculture, moulins à eau ou à vent). Un artiste français se devait, surtout à cette époque, de déporter le sujet vers le loisir, la légèreté, la relation amoureuse. Avec La balançoire, Fragonard joue sur le contraste entre l’intimité de la fête galante et la majesté du paysage. Il oppose un petit groupe de femmes et d’hommes se divertissant et une nature somptueuse mais menaçante. Des arbres gigantesques et d’énormes nuages gris surplombent les petites figures qui ne semblent pas sentir leur vulnérabilité. On sait que les grands artistes ont souvent l’intuition des menaces cachées qui couvent sous l’apparente sérénité des jours. Le tableau de Fragonard peut, à cet égard, être interprété comme une allégorie de la fin de l’Ancien Régime. La noblesse de cour cultivait l’esprit et les divertissements légers sans se rendre compte que la bourgeoisie financière et commerçante (Turgot, Necker) avait déjà capté le pouvoir économique qui allait construire l’avenir. Elle siégeait au-dessus de l’aristocratie qui ne détenait que l’apparence du pouvoir politique, ignorant sa déchéance. Dix ans plus tard, cette bourgeoisie prend le pouvoir politique et annihile le mode de vie de l’ancienne noblesse.

Fragonard n’était certes pas devin et ne pouvait prévoir la Révolution de 1789 en peignant ce tableau entre 1775 et 1780. Mais il sentait, bien évidemment, que les nuages s’accumulaient dans le ciel de la royauté de droit divin. Il pouvait observer la fragilité d’une société bloquée et d’une noblesse coupée des évolutions profondes par un mode de vie lui interdisant de se confronter aux réalités techniques, économiques et sociales.

Fêtes galantes et paysage : quelques autres compositions

Watteau. Pèlerinage à l’Île de Cythère, 1717Jean-Antoine Watteau. Pèlerinage à l'Île de Cythère (1717). Huile sur toile, 129 × 194 cm, musée du Louvre, Paris. Dans la mythologie grecque, Cythère est l'île qui a vu naître Aphrodite, la déesse de l’Amour. Des contemporains du peintre, habillés avec élégance, font un pèlerinage sur l’île de l’amour.

Jean-Baptiste Pater. Fête champêtre (v. 1730)Jean-Baptiste Pater. Fête champêtre (v. 1730). Huile sur toile, 56,2 × 66 cm, Norton Simon Museum, Pasadena, Californie. Élève de Watteau et originaire de Valenciennes, comme lui, Jean-Baptiste Pater deviendra célèbre en suivant les traces de son maître, disparu prématurément.

Boucher. Un Été pastoral,1749François Boucher. Un Eté pastoral (1749). Huile sur toile, 259,5 × 198,5 cm, Wallace Collection, Londres. Le berger conte fleurette à la bergère vêtue en aristocrate. Le paysage n’est qu’un décor ornementant la scène.

Fragonard. La Poursuite, 1771-73Jean-Honoré Fragonard. La Poursuite (1773). Huile sur toile, 318 × 216 cm, Frick Collection, New York. Le rococo touchait à sa fin et la commanditaire, Mme du Barry, favorite de Louis XV, refusa le tableau ainsi que trois autres lui faisant pendant.

 

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