Jan van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)

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Patrick AULNAS

La première moitié du 15e siècle marque une évolution profonde de l’art de peindre vers une représentation beaucoup plus réaliste. La maîtrise croissante des règles de la perspective linéaire et les possibilités techniques ouvertes par la peinture à l’huile conduisent peu à peu les peintres à abandonner l’idéalisation naïve du gothique. Cette évolution commence en Flandre avec les artistes qualifiés de primitifs flamands par les historiens de l’art.

Les flamands sont en effet les premiers à comprendre le potentiel de la peinture à l’huile. Bien entendu, Jan van Eyck n’est pas l’inventeur de cette technique nouvelle. Toute technique nécessite un développement assez laborieux qui suppose des collaborations, des mises au point, des essais et erreurs. Mais van Eyck figure sans aucun doute parmi les peintres qui maitrisent le mieux cette technique à cette époque, avec Robert Campin et Rogier Van der Weyden.

La Vierge du Chancelier Rolin fait partie des grands chefs-d’œuvre du début du 15e siècle par ses aspects techniques, esthétiques et sémantiques. Très rares étaient les artistes capables d’imaginer et de réaliser un tel tableau.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)

Jan van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin (1435)
Huile sur bois, 66 × 62 cm, Musée du Louvre, Paris.
Image HD sur musée du Louvre

Contexte historique

Le commanditaire du tableau est Nicolas Rolin (v. 1376-1462), chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon (1396-1467). Le chancelier peut être comparé à un ministre important actuel. Il est garde des Sceaux du duc et, à ce titre, contrôle et valide tous les actes émanant de lui. Nicolas Rolin restera chancelier pendant quarante ans, à partir de 1422. Il est issu d’une famille bourgeoise d’Autun, mais sera fait chevalier par le duc de Bourgogne. Sa position politique lui a permis de s’enrichir considérablement par l’acquisition de nombreux domaines fonciers.

Le chancelier Rolin est aussi un mécène. Avec son épouse Guigone de Salins (1403-1470), il fonde en 1443 les Hospices de Beaune, institution hospitalière hébergée dans un ensemble architectural exceptionnel. Il commande à Rogier van der Weyden vers 1443 le Polyptyque du Jugement dernier, vaste composition de 5,6 sur 2,15 mètres, qui orne toujours aujourd’hui l’édifice de Beaune.

La guerre de Cent ans (1337-1453), opposant les Valois (France) aux Plantagenets (Angleterre) fait toujours rage à l’époque de réalisation du tableau de van Eyck. La Bourgogne est alliée à l’Angleterre contre la France. Mais le roi de France Charles VII (1403-1461) conclut en 1435 avec la Bourgogne le traité d’Arras qui reconnaît l’indépendance de la Bourgogne. Nicolas Rolin fut le maître d’œuvre de ce traité de paix aux conséquences importantes pour le royaume de France. L’objectif du roi de France, qui sera atteint, est d’isoler les anglais et de reconquérir peu à peu le territoire.

La Vierge du Chancelier Rolin avait été placée initialement dans la chapelle Saint-Sébastien de l’église Notre-Dame-du-Chatel, à Autun, église détruite aujourd’hui. Nicolas Rolin avait été baptisé dans cette église et plusieurs membres de sa famille y étaient inhumés. Le tableau a rejoint les collections du musée du Louvre en 1800, sur décision du Directoire.

 

Analyse de l’œuvre

Signification religieuse

Placer un personnage politique important face à une Vierge dans un cadre architectural du 15e siècle peut paraître aujourd’hui naïf ou vaniteux. Mais les hommes du début du 15e siècle sortaient à peine du Moyen Âge et étaient imprégnés d’une religiosité simple et forte. Quelques siècles plus tôt, le chancelier aurait été représenté de petite taille avec à ses côtés une Vierge imposante. C’est ainsi qu’apparaissent Henri III, empereur du Saint-Empire romain germanique, et son épouse Agnès, sur un parchemin du 11e siècle :

 

Les Évangiles d'or d'Henri III, Vierge en majesté (1043-46)

Les Évangiles d'or d'Henri III, Vierge en majesté (1043-46)
Enluminures sur parchemin, 50 × 33,5 cm, Bibliothèque royale de San Lorenzo, El Escorial.

La Renaissance autorise une humanisation des figures religieuses, sans pour autant conduire à la moindre confusion dans l’esprit des contemporains. La juxtaposition picturale du profane et du sacré vise à mettre en évidence par l’image la dévotion du chancelier. Riche et puissant, il se doit de montrer que ses privilèges terrestres ne sont rien au regard du sacré. Son humilité face à une Vierge majestueuse transparaît dans ses mains jointes et son visage grave. Agenouillé derrière un prie-Dieu sur lequel est posé son livre d’heures, il semble s’apprêter à dire une prière.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Mais le chancelier devait aussi faire apparaître sa réussite sociale exceptionnelle. Aussi, l’humilité du geste est-elle associée au luxe des vêtements. Vêtu de brocart d’or et de fourrure, il semble un véritable prince. Malgré le portrait de profil de Nicolas Rolin, van Eyck a cherché à saisir le caractère de l’homme. L’autorité naturelle, les soucis de l’exercice du pouvoir et l’intelligence transparaissent parfaitement sur le visage.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

La Vierge est assise sur un trône de marbre et tient sur ses genoux l’Enfant Jésus bénissant le chancelier, sans qu’un geste de tendresse apparaisse entre mère et Enfant comme dans les représentations plus tardives. Cette Vierge est ainsi à mi-chemin des figures hiératiques du Moyen Âge et de la Vierge d’humilité de la Haute Renaissance. Elle est vêtue d’un ample manteau rouge bordé de perles et de pierres précieuses. Un ange tient au-dessus d’elle une couronne de pierreries, allusion à l’épisode du Couronnement de la Vierge, légende post-biblique explicitée par Jacques de Voragine dans La Légende dorée (13e siècle). Marie, après sa mort, rejoint le Christ pour être couronnée dans les cieux.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Composition

Deux mots peuvent caractériser les choix de composition de van Eyck : profondeur et symétrie. Pour donner de la profondeur à sa composition, le peintre a choisi de placer la scène religieuse dans un palais de son époque, dans une loggia dominant un vaste paysage urbain recomposé, qui n’a donc aucun caractère topographique. Les arcades latérales et le dallage au sol permettent de matérialiser l’effet de perspective.

Le peintre respecte une répartition égale de l’espace pictural entre le profane et le sacré. En traçant une ligne verticale au centre du tableau, le chancelier occupe la moitié gauche, la Vierge la moitié droite.

Derrière les personnages, le portique à trois arcades s’ouvre d’abord sur un jardin clos puis sur un paysage urbain et fluvial. Le jardin clos (hortus conclusus) est un thème inspiré de l’Ancien Testament, courant au 15e siècle en Europe du Nord pour représenter la Vierge (voir sur ce thème Martin Schongauer, La Vierge au buisson de roses, 1473)

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Sur les remparts dominant la ville, deux petits personnages apparaissent, celui de droite, au turban rouge, pouvant éventuellement symboliser l’artiste. Van Eyck avait déjà réalisé un autoportrait au turban rouge en 1433.

Le paysage urbain de l’arrière-plan n’est pas une simple évocation paysagère, mais une construction picturale très détaillée. Bâtiments, champs cultivés, rivière avec pont, multiples petits personnages y ont été placés avec l’extrême minutie qui caractérise la peinture flamande de cette époque. Il s’agit d’un paysage allégorique comportant à droite une partie céleste (multiples édifices religieux) et à gauche une partie terrestre (habitations, cultures). Ce paysage constitue une préfiguration du paysage-monde qui apparaîtra en Flandre et en Hollande au 16e siècle et dont Joachim Patinir sera l’un des principaux représentants. Outre les multiples détails cherchant à synthétiser le monde, on trouve chez van Eyck l’effet de perspective atmosphérique permettant de simuler visuellement l’infini. Le paysage s’éclaircit progressivement pour devenir d’une blancheur indistincte sur la ligne d’horizon.

 

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Jan Van Eyck. La Vierge du Chancelier Rolin, détail (1435)

Une œuvre profondément novatrice

Par rapport à la production courante de l’époque, La Vierge du Chancelier Rolin constitue une œuvre particulièrement novatrice. Le gothique restait, dans la première moitié du 15e siècle, la manière dominante des peintres les moins talentueux. Van Eyck montre qu’il maîtrise parfaitement la technique de la peinture à l’huile et qu’il possède une approche, certes empirique, mais remarquablement efficace de l’art de la perspective tant géométrique qu’atmosphérique.

Quant à l’âme de l’artiste, elle se révèle dans la composition et le chromatisme, au service d’une expression unique de la spiritualité. Nicolas Rolin, homme politique intelligent et mécène sensible, choisissait ses artistes commandités avec la plus haute exigence. Dominant techniquement la plupart de ses contemporains et possédant la vision unique du grand artiste, van Eyck ne peut qu’aboutir à des chefs-d’œuvre qui stupéfient encore les hommes du 21e siècle.

 

Quelques compositions comparables de l’époque

La proximité de l’humain et du divin, du profane et du sacré, se manifeste couramment au 15e siècle, en particulier sur les polyptyques où les commanditaires figurent en général sur les panneaux latéraux. Les tableaux du type de La Vierge du Chancelier Rolin sont plus rares.

Jan Van Eyck. La Madone au Chanoine Van der Paele (1434)

Jan van Eyck. La Vierge au Chanoine Van der Paele (1434). Huile sur bois, 122 × 157 cm, Groeninge Museum, Bruges. Le cadre est l’ancienne cathédrale Saint-Donatien de Bruges, aujourd’hui disparue. Le chanoine,  à genoux, est présenté à la Vierge par Saint-Georges, en armure à droite, et Saint Donatien, en ecclésiastique richement vêtu à gauche. Un soin extrême est apporté à la représentation des étoffes et de l’armure. L’immixtion du sacré (la Vierge) dans la réalité d’une église est conforme à la mentalité de l’époque. Le tableau, exposé dans l’église Saint-Donatien de Bruges, suscitait l’émerveillement du fait de la proximité du chanoine avec le divin.

Van der Weyden. Saint Luc dessinant la Vierge (1435-40)

Rogier van der Weyden. Saint Luc dessinant la Vierge (1435-40). Huile et tempera sur bois, 138 × 111 cm, Museum of Fine Arts, Boston. Luc l’Évangéliste ou saint Luc, saint patron des artistes, dessine la Vierge Marie tenant dans ses bras l'Enfant Jésus. La composition est très proche de La Vierge du chancelier Rolin de Jan Van Eyck. Les historiens considèrent que Luc est un autoportrait de van der Weyden, procédé fréquemment utilisé à l’époque. Ce tableau a été réalisé pour la Guilde de Saint-Luc de Bruxelles. Il s’agit de l’une des premières œuvres de Van der Weyden après sa nomination comme peintre officiel de cette ville.

Petrus Christus. Sainte Élisabeth présentant Isabelle de Portugal (1457-60)

Petrus Christus. Sainte Élisabeth présentant Isabelle de Portugal (1457-60). Huile sur bois, 59 × 33 cm, Groeninge Museum, Bruges. Isabelle du Portugal (1397-1471) est la troisième épouse de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Il s’agit du volet de gauche d’un triptyque dédié par Isabelle à Elisabeth de Thuringe (1207-1231), sa sainte patronne, canonisée en 1235.

Van der Goes. Triptyque Portinari, volet droit (1475-77)

Hugo van der Goes. Triptyque Portinari, volet droit (1475-77). Huile sur bois, 253 × 141 cm, Galerie des Offices, Florence. Le Triptyque Portinari de van der Goes comporte un panneau central représentant l’Adoration des bergers. Les panneaux latéraux sont consacrés aux donateurs. Sur celui de droite apparaissent les femmes de la famille Portinari (personnages de petite taille) : Maria Maddalena Baroncelli, épouse de Tommaso Portinari, et leur fille Margherita. Les personnages de grande taille sont Marie-Madeleine avec le pot d’onguent et Marguerite d’Antioche avec le livre. La convention picturale du Moyen Âge concernant la taille des personnages subsiste donc jusqu’à la fin du 15e siècle chez certaine artistes.

Gérard David. Le chanoine Bernardin Salviati et trois saints (1501-06)

Gérard David. Le chanoine Bernardin Salviati et trois saints (1501-06). Huile sur bois, 103 × 94 cm, National Gallery, Londres. Bernardin Salviati était un chanoine de l'église Saint Donatien de Bruges. Il est représenté (à genoux) entouré de Saint Martin, de Saint Bernard et de Saint Donatien. Ce tableau est probablement l'aile gauche d'un diptyque ou d'un triptyque.

 

Commentaires

  • Tardy
    • 1. Tardy Le 04/03/2021
    Que devient le tableau des époux Arnolfini dans le cadre des études portant sur VAN Eycke

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