Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies (1670-75)

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Patrick AULNAS

Les paysages de Jacob Van Ruisdael sont inspirés par une région peu étendue : le nord des Pays-Bas (principalement autour d’Amsterdam) et les environs de Bentheim, ville allemande à la frontière néerlandaise. L’importance accordée au ciel et aux nuages caractérise ses peintures. Certains paysages panoramiques comportent un ciel immense représentant les deux-tiers de la hauteur du tableau. En voici un exemple.

 

 

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies (1670-75)

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies (1670-75)
Huile sur toile, 55,5 × 62 cm, Mauritshuis, La Haye.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

 

Le blanchiment des tissus sur les herberies

Le titre néerlandais Gezicht op Haarlem met bleekvelden n’a pas été traduit en français. Notre traduction ci-dessus reprend le mot herberie dans son acception ancienne : lieu couvert d'herbe où l'on faisait blanchir les tissus et les draps. La culture du lin, en vue de produire des tissus, étaient répandue en Flandre et aux Pays-Bas. Le blanchiment des tissus consistait à décolorer les fibres textiles et à éliminer leurs impuretés par l’action conjuguée de l’eau et du soleil. Les toiles de lin étaient trempées dans une rivière ou sous la pluie puis exposées au soleil. L’opération, répétée à de multiples reprises, permettait de blanchir le textile.

En France, on appelait herberie les terrains herbeux où les tissus étaient ainsi exposés au soleil. Le mot néerlandais bleekverden, traduit littéralement, signifie champs de blanchiment. La traduction anglaise littérale est utilisée sur Google Arts & Culture : Bleaching Grounds.

 

Analyse de l’œuvre

Jacob Van Ruisdael a réalisé de nombreux tableaux de Haarlem, commune située à une vingtaine de kilomètres d’Amsterdam et lieu de naissance du peintre. Il choisit ici un panorama de la campagne proche de la ville, que l’on aperçoit à l’horizon. La vue plongeante indique que le peintre est censé se trouver sur un monticule, au-dessus des champs.

L’église Saint Bavon (Grote Kerk ou Sint-Bavokerk en néerlandais) se détache nettement sur la ligne d’horizon. Cet édifice gothique construit entre les 14e et 16e siècles ne doit pas être confondu avec la basilique-cathédrale Saint-Bavon (Kathedrale Basiliek Sint Bavo), édifiée au 19e siècle.

 

 

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail. L’église Saint-Bavon de Haarlem en 1670.

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail
L’église Saint-Bavon de Haarlem en 1670

 

 

L’église Saint-Bavon de Haarlem aujourd’hui

L’église Saint-Bavon de Haarlem aujourd’hui

 

L’utilisation de l’énergie éolienne apparaît nettement avec les moulins à vent destinés à broyer le grain et les petites éoliennes dispersées dans les champs et pouvant servir au pompage de l’eau.

 

 

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail. Les moulins à vent.

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail
Les moulins à vent

 

Le travail de blanchiment des étoffes par étendage sur l’herbe est minutieusement représenté.

 

 

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail. Les herberies.

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail
Les herberies

 

La composition du tableau présente deux caractéristiques principales : la répartition de l’espace entre ciel et terre et les jeux d’ombre et de lumière. Le ciel utilise les deux-tiers de la surface, ce qui se justifie par la position surélevée du peintre par rapport aux champs du premier plan. Cette justification visuelle est une fiction puisque les peintres de cette époque peignaient en atelier sur la base de travaux préparatoires (dessins principalement) relevés sur le terrain. Ils ne peignaient jamais sur le motif, comme le feront plus tard les impressionnistes. Malgré tout, l’artiste respecte correctement les principes de l’optique humaine. S’il avait été placé au niveau des champs, la superficie du ciel aurait été moindre.

Ce respect des contraintes mathématiques de l’optique n’existait ni au 16e siècle ni au début du 17e. Lorsque Joachim Patinir peint  Paysage avec saint Jérôme (1515-19), bien que dominant le paysage, il n’accorde qu’une toute petite place au ciel. Son objectif est de créer un paysage-monde comportant un échantillon de l’ensemble des réalisations naturelles et humaines. Il lui fallait donc réserver un espace important à la partie terrestre. Au début du 17e siècle, Jan Brueghel de Velours développe davantage la partie aérienne de sa toile mais conserve l’ambition d’y faire figurer une multiplicité d’éléments naturels et d’activités humaines : Le grand marché au poisson (1603).

Le ciel n’a donc conquis la place qui lui revient qu’avec la volonté de se rapprocher au plus près de la représentation du réel, c’est-à-dire de ce que l’optique humaine capte de son environnement. Les romantiques et les impressionnistes, au 19e siècle, continueront à accorder au ciel une importance primordiale dans leurs paysages. Eugène Boudin, un pré-impressionniste, fut même qualifié de roi des ciels. Le ciel normand avait sa préférence : Sur la plage au coucher du soleil (1865)

Le contraste ombre-lumière constitue un autre trait essentiel. Nous avons tous connu un ciel partiellement nuageux, qui permet à la lumière solaire de percer de temps à autre pour produire un éclairage puissant de certaines parties du panorama observé tandis que d’autres parties restent dans l’ombre. C’est ce modèle que Van Ruisdael a voulu représenter, le soleil éclairant les herberies et la ville lointaine.

 

 

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail. Ombre et lumière.

Jacob Van Ruisdael. Vue de Haarlem avec herberies, détail
Ombre et lumière

 

L’artiste avait déjà représenté à plusieurs reprises auparavant la lumière solaire inondant un champ : Le coup de soleil (1660) ; Champs de blé (1670). Le jaune des champs contraste fortement avec le bleu du ciel, les deux couleurs complémentaires contribuant à produire sur la toile une impression de lumière. Enfin, il ne faudrait pas oublier de citer le paysage le plus célèbre de Vermeer (il ne nous en a légué que deux), Vue de Delft (1660-61), contemporain des paysages de Van Ruisdael. Bien qu’il s’agisse d’un paysage urbain, les mêmes principes de composition sont utilisés : ciel nuageux immense, contraste ombre-lumière en utilisant le jaune pour les parties éclairées.

Tous ces tableaux peuvent être considérés comme des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. L’une des raisons qui permet de les considérer comme tels est toute simple : ils représentent l’archétype pictural d’une réalité géographique. Cette réalité n’est autre que le paysage formé par les grandes plaines du nord de l’Europe. Si les compositions de Van Ruisdael, de Vermeer, d’Eugène Boudin et de beaucoup d’autres sont comparables à beaucoup égards, c’est tout simplement que ces artistes ont cherché à restituer l’essence d’un paysage familier, avec l’objectivité qui s’impose et la subjectivité inhérente à toute œuvre d’art.

 

Autres compositions sur le même thème

Le siècle d’or hollandais fait évoluer considérablement la peinture de paysage. Alors que le paysage n’était jusque-là que le cadre d’une scène mythologique ou religieuse, il devient le sujet proprement dit de l’œuvre. Cette peinture naturaliste constituera un modèle pour les générations ultérieures. Voici un aperçu de la peinture de paysage néerlandaise à cette époque.

Pour plus de détails, voir L'art du paysage au 17e siècle.

 

Cornelis Vroom. Paysage avec estuaire (v. 1638)

Cornelis Vroom. Paysage avec estuaire (v. 1638). Huile sur bois, 50 × 67 cm, musée Frans Hals, Haarlem. Cornelis Vroom (1591-1661) est le fils d'un peintre de marines de Haarlem. Ce paysage très poétique ne laisse apparaitre que quelques minuscules silhouettes humaines. Les arbres puissants au feuillage arachnéen du premier plan conduisent le regard vers les lointains où l'on aperçoit l'embouchure d'un fleuve noyée dans la brume. Le contre-jour produit un véritable effet de mise en scène opposant l'horizon illuminé et le premier plan ombragé.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Jan Asselijn. Paysage de montagne avec des bergers (1648-50)

Jan Asselijn. Paysage de montagne avec des bergers (1648-50). Huile sur bois, 43 × 67 cm, Akademie der Bildenden Künste, Vienne. Jan Asselijn (v. 1610-1652) appartient à la tendance italianisante qui s'était développée à la suite de voyages en Italie de certains peintres. Il propose ici un paysage correspondant à ses souvenirs d'Italie, sans restituer les détails. Des bandes horizontales sombres ou éclairées suggèrent l'étendue. Le soleil derrière les nuages menaçants accentue le caractère dramatique de la composition. Les figures du premier plan semblent perdues dans l'immensité de l'espace naturel accentuée par le choix de composition : aucun encadrement sur les bords latéraux du tableau (arbre, rocher, etc.) comme il était fréquent.

Salomon van Ruysdael. Arrêt à l'auberge (1649)

Salomon van Ruysdael. Arrêt à l'auberge (1649). Huile sur toile, 91 × 136,5 cm, Szépmûvészeti Múzeum, Budapest. Salomon van Ruysdael (v. 1600-1670) utilise une gamme réduite de couleurs pour restituer l'ambiance de la campagne hollandaise. Le ciel immense aux tonalités multiples, allant jusqu'au gris et au rose, est traversé par quelques éléments verticaux : arbres et église. Un rayon de soleil atteint l'auberge comme si le peintre voulait nous signifier que la pluie s'est éloignée. Il ne s'agit pas d'un lieu réel, mais d'une habile reconstitution qui pourrait le laisser croire.

Jan van Goyen. Vue de Leyde (1650)

Jan van Goyen. Vue de Leyde (1650). Huile sur bois, 66,5 × 97,5 cm, Stedelijk Museum De Lakenhal, Leide. Les paysages de Jan van Goyen ((1596-1656) visent à restituer une atmosphère et ne traitent pas minutieusement les détails. Cette vue de Leyde (Leiden), à partir de la côte, est réaliste par l'ambiance mais n'a rien de topographique. Les grands édifices que l'on aperçoit à l'horizon ne sont pas situés à leur place exacte. Le peintre a travaillé en atelier à partir d'esquisses prises sur le vif. La palette très réduite oppose les nuances d'ocre de la terre aux bleus et aux gris du ciel.

Jacob van Ruisdael. Le moulin à vent de Wijk près de Duurstede (1668-72)

Jacob van Ruisdael. Le moulin à vent de Wijk près de Duurstede (1668-72). Huile sur toile, 83 × 101 cm, Rijksmuseum, Amsterdam. Ce tableau est l'un des plus connus de van Ruisdael. L'impressionnant moulin à vent face à un ciel menaçant donne à la composition une puissance rare. L'artiste a coordonné les verticales (mâts des bateaux), les horizontales (ligne d'horizon) et les diagonales (ailes du moulin) de façon magistrale afin d'équilibrer sa composition.
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Meindert Hobbema. L'Allée de Middelharnis (1689)

Meindert Hobbema. L'Allée de Middelharnis (1689). Huile sur toile, 103,5 × 141 cm, National Gallery, Londres. Hobbema représente ici le village et l'église de Middelharmis en Hollande méridionale. L'allée majestueuse qui mène au village a fait la célébrité universelle de ce tableau. Les arbres sont utilisés pour produire un effet de profondeur saisissant du premier plan vers l'arrière-plan et pour souligner par des verticales l'étendue du ciel.
Analyse détaillée

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