Valentin de Boulogne. La diseuse de bonne aventure (1626-28)

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Patrick AULNAS

Valentin de Boulogne (1591-1632) est l’auteur de scènes de genre de grand format, réalisées dans un style proche de celui de Caravage (1571-1610). La diseuse de bonne aventure illustre bien ces caractéristiques. Le tableau faisait partie de la collection de Louis XIV et était accroché dans le salon de l’appartement du roi à Versailles.

 

Valentin de Boulogne. La diseuse de bonne aventure (1626-28)

Valentin de Boulogne. La diseuse de bonne aventure (1626-28)
Huile sur toile, 125 × 175 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur MUSÉE DU LOUVRE

 

Les diseuses de bonne aventure

Les diseuses de bonne aventure appartiennent fréquemment au peuple des Roms ou tziganes depuis l’Empire romain d’Orient ou Empire byzantin (4e au 15e siècle). Cette activité subsiste aujourd’hui encore. Il faut remonter approximativement au 6e siècle pour situer l’origine historique des diseuses de bonne aventure. La secte des Atsinganos apparaît à cette époque en Thrace (Sud de l’actuelle Bulgarie). Ses adeptes pratiquent une variante du monothéisme local (le christianisme orthodoxe) comportant des rites spécifiques. Les Roms, peuple nomade d’origine indienne, furent associés, par suite de diverses péripéties historiques, à ces Atsinganos, terme grec d’où dérive le mot tzigane.

L’une des activités de ces tziganes consistait à dire la bonne aventure, activité de divination s’adressant au monde des gajikané, c’est-à-dire les non-gitans. Plusieurs formes de divination étaient pratiquées. La chiromancie consistait à étudier la forme des mains et les lignes de la main pour prédire le destin de la personne ; la thédomancie à lire dans des feuilles de thé ; la cartomancie à utiliser des cartes à jouer et la cristallomancie à observer une boule de cristal.

 

Analyse de l’œuvre

Le thème de la diseuse de bonne aventure connaît le succès au 17e siècle en peinture (voir ci-après autres compositions). Caravage l’avait déjà traité à la fin du 16e siècle en se concentrant sur le rapport entre un jeune homme naïf et une femme rouée cherchant à le voler. Valentin de Boulogne reprend le sujet dans un esprit totalement différent. Il place la scène dans une taverne et entoure les deux protagonistes de quatre autres personnages qui ne s’intéressent pas particulièrement à la chiromancie. En réalité, le peintre choisit un thème plus large, l’ambiance générale dans une auberge du 17e siècle comportant aussi l’anecdote de la diseuse de bonne aventure, appréciée des commanditaires. Autre différence avec la scène de Caravage : c’est la diseuse qui se fait chaparder une volaille par un homme placé derrière elle. Simon Vouet avait déjà introduit cette variante en 1620 et Valentin de Boulogne se contente de la reprendre.

De gauche à droite, six personnages apparaissent dans le tableau de Valentin : le voleur à l’extrême gauche, dont seules les mains sortent de l’ombre ; la diseuse qui tient la main de son client pour lire les lignes ; un jeune homme rêveur, assis et regardant au-delà de la scène représentée ; le client de la diseuse portant un chapeau à plumes ; une guitariste et un harpiste, qui pourraient être aveugles eu égard au traitement pictural de leur regard. Ce sont donc les divertissements du peuple de l’époque que l’artiste cherche à évoquer. Lorsque le temps du travail s’est écoulé, la taverne accueille une clientèle qui y trouve musique et distractions, mais elle peut aussi être fréquentée par des malandrins.

 

Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure, détail

Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure, détail

 

Formellement, la composition de Valentin est proche de celle de Simon Vouet. Les deux peintres utilisent le clair-obscur très accentué de Caravage. Les visages, les vêtements clairs et les carnations contrastent puissamment avec le fond presque noir, ce qui au demeurant représente bien l’atmosphère d’une taverne de l’époque en soirée, puisque seules quelques rares chandelles assuraient l’éclairage. Mais l’esprit du tableau de Valentin diffère radicalement de celui de Vouet : regard tragique sur le réel pour le premier, approche comique pour le second. Les personnages de Simon Vouet nous apparaissent comme des comédiens qui tournent en dérision la réalité vécue. La cliente de la diseuse nous regarde en souriant avec un geste complice. Chez Valentin, le regard rêveur du jeune homme assis, placé au centre de la composition, nous incite à la mélancolie, de même que l’attitude des deux musiciens tristes. Les gens du peuple sont amusants à observer pour Vouet, ils sont émouvants pour Valentin.

 

Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure, détail

Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure, détail

 

Il est possible d’établir une relation entre ces deux approches et les biographies respectives des deux artistes. Simon Vouet vient de la bourgeoisie aisée parisienne qui se juge évidemment très supérieure aux gens du commun fréquentant les tavernes. Vouet porte un regard d’entomologiste sur les petites gens. Jean Valentin est le fils d’un maître verrier de Coulommiers, c’est-à-dire d’un artisan de province. Il a certainement fréquenté de près la population locale. Sociologiquement, Valentin est beaucoup moins éloigné du peuple que Vouet ; psychologiquement, il fonctionne différemment et éprouve une certaine empathie pour les humbles. Si Louis XIV avait placé ce tableau, si éloigné du classicisme français, dans ses appartements, ce n’est sans doute pas uniquement pour son style caravagesque. L’œuvre de Valentin de Boulogne permet de ressentir les émotions du peuple que le souverain dirigeait et de se poser de nombreuses questions à son sujet. Voilà une démarche rarissime dans l’aristocratie du 17e siècle, qui voyait la société et ses inégalités comme une fatalité imposée par Dieu.

 

Autres compositions sur le même thème

Voici cinq exemples comportant le même narratif : chiromancie, larcin, naïveté un peu sotte du client.

Caravage. La Diseuse de bonne aventure (1594)

Caravage. La Diseuse de bonne aventure (1595-98). Huile sur toile, 99 × 131 cm, musée du Louvre, Paris. « Un jeune homme élégant se fait prédire son avenir par une bohémienne qui lui dérobe discrètement l'anneau passé à sa main droite. Une autre version de ce sujet est conservée à Rome, Musei Capitolini. » (Commentaire Base Atlas, musée du Louvre)
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Simon Vouet. La Diseuse de bonne aventure (v. 1620)

Simon Vouet. La Diseuse de bonne aventure (v. 1620). Huile sur toile, 12 × 170 cm, National Gallery of Canada. « À Rome, Vouet s'est inspiré de l'exemple du Caravage (1571-1610) et de ses disciples, un groupe diversifié de peintres italiens, français et néerlandais. Leur travail était marqué par le clair-obscur, contraste net de la lumière et de l'ombre, utilisé pour modeler puissamment les formes. Chez Vouet, le résultat est plus théâtral que naturel […] La femme à gauche se tourne vers nous en souriant. La scène est représentée comme un spectacle burlesque comportant des gestes de la main et des regards conspirateurs : la diseuse de bonne aventure, personnage principal censée tromper ses clients, se fait voler elle-même. » (Commentaire National Gallery of Canada)

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Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure et les soldats (v. 1620)

Valentin de Boulogne. La Diseuse de bonne aventure et les soldats (v. 1620). Huile sur toile, 149,5 × 238,4 cm, Toledo Museum of Art, Toledo, Ohio. Dans cette composition antérieure, Valentin de Boulogne reste dans la tradition burlesque de traitement du sujet. Le voleur placé à gauche est lui-même victime d’un enfant tentant de dérober un objet dans sa poche.

Nicolas Régnier. La Diseuse de bonne aventure (v.1626)

Nicolas Régnier. La Diseuse de bonne aventure (v.1626). Huile sur toile, 127 × 150 cm, musée du Louvre, Paris. « La belle ingénue au teint laiteux, opposée aux peaux mates des bohémiennes, offre sa main afin qu’on lui prédise l’avenir alors qu’une complice de la diseuse de bonne aventure lui subtilise sa bourse. Au dernier plan, l’homme au chapeau à plumes vole quant à lui un coq à la bohémienne. La composition s’organise autour de jeux de mains et de contrastes chromatiques et thématiques, entre la jeune femme incarnant une certaine pureté, opposée à la vielle femme au visage sombre. Cette scène de chiromancie représente le thème moral du dupeur dupé, si souvent peint par les caravagesques, et le regard de l’homme vers le spectateur l’invite à rire de cette scène burlesque qui se joue sous ses yeux. » (Commentaire musée du Louvre)

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Georges de La Tour. La Diseuse de bonne aventure (1633-39)

Georges de La Tour. La Diseuse de bonne aventure (1633-39). Huile sur toile, 102 × 123,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. De la Tour remplace la jeune diseuse de bonne aventure des peintres précédents par une femme très âgée au visage ridé. Les deux acolytes de la diseuse dévalisent le client. Mais celui-ci, bien qu’inattentif, jette un regard de défiance sur la vieille femme alors qu’il était confiant dans les œuvres précédentes.

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Analyse détaillée

 

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