Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation avec sainte Maxime et saint Ansan (1333)

Cliquer sur les images ci-dessus
PARTENAIRE AMAZON ► En tant que partenaire d'Amazon, le site est rémunéré pour les achats éligibles.

 

Patrick AULNAS

Ce triptyque, considéré comme une œuvre majeure de l’époque gothique, a été peint principalement par Simone Martini avec l’assistance de son beau-frère Lippo Memmi. La scène biblique de l’Annonciation est traitée avec une extrême délicatesse, inconnue jusqu’alors.

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation avec sainte Maxime et saint Ansan (1333)

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation avec sainte Maxime et saint Ansan (1333)
Tempera sur bois, fond doré, 305 × 265 cm, Galerie des Offices, Florence.
Image HD sur GALERIE DES OFFICES et GOOGLE ART & CULTURE

Selon l’inventaire de la Galerie des Offices, les dimensions des peintures proprement dites sont les suivantes (H × L) :
panneau central (184 ×184 cm) ; chaque panneau latéral (158 × 48 cm).

 

Contexte historique

Cette œuvre monumentale marque une inflexion stylistique importante vers le raffinement et l’élégance des figures, qui débouchera sur le style gothique international. Le triptyque avait été placé en 1333 sur un autel latéral de la cathédrale de Sienne, dédié à saint Ansan, l’un des protecteurs de la ville. Il avait pour but de marquer les esprits car cet emplacement était très fréquenté par les fidèles, le peuple de Sienne. Les figures se détachant sur le fond or et l’encadrement majestueux devaient sidérer les spectateurs contemporains par leur luminosité éclatante dans l’ombre de la cathédrale.

Le triptyque reste dans la cathédrale de Sienne jusqu’en 1799, année au cours de laquelle il est transféré à la Galerie des Offices de Florence. Ce transfert résulte probablement du tremblement de terre qui a secoué Sienne et sa région le 26 mai 1798 et les jours suivants. La cathédrale subit des dommages importants. Les dirigeants de la Galerie des Offices de Florence se montrent alors intéressés par l’acquisition de l’Annonciation avec sainte Maxime et saint Ansan. Des négociations commencent, dont il est rendu compte au grand-duc de Toscane, Ferdinand III (1769-1824). Celui-ci penche pour un échange contre plusieurs toiles appartenant à la Galerie des Offices. Un accord est trouvé, portant sur deux toiles de Luca Giordano (1634-1705) qui arrivent à Sienne le 3 février 1799. Il s’agit du Christ devant Pilate (1682) et d’une Déposition (1682). Les deux tableaux remplacent le triptyque dans la cathédrale.

Le bon état actuel de l’œuvre résulte d’une restauration effectuée en 2001.

 

Analyse de l’œuvre

Description d’ensemble

Il s’agit d’un triptyque comportant une Annonciation en scène centrale et les figures de saint Ansan et sainte Maxime ou sainte Marguerite de chaque côté, séparées du panneau central par des colonnes torsadées. L’œuvre, qui devait servir de retable pour un autel latéral de la cathédrale de Sienne, a été conçue à l’image de l’intérieur d’une cathédrale. La scène de l’Annonciation est placée dans le nef centrale et les deux saints latéraux dans les bas-côtés. Au-dessus des trois scènes peintes, cinq arcs surmontés de six cuspides permettent de finaliser le caractère architectural. Quatre tondi représentant les prophètes Jérémie, Ézéchiel, Isaïe et Daniel ont été placés au-dessus des arcs.

Il est assez couramment admis que Simone Martini a peint la scène centrale et Lippo Memmi les deux saints latéraux.

 

L’Annonciation

L’Annonciation, thème très souvent traité en peinture, est un épisode décrit dans l’Évangile selon saint Luc. L’archange Gabriel vient à Nazareth pour rencontrer Marie, une femme vierge fiancée à Joseph, homme de la maison de David. L’archange annonce à Marie qu’elle concevra un fils qu’elle appellera Jésus. Cet enfant, le fils de Dieu, sera conçu par l’Esprit-Saint venu visiter Marie. Marie répond à l’archange : « Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon votre parole ! »

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

 

Simone Martini représente l’archange Gabriel agenouillé et tenant dans la main gauche un rameau d’olivier, symbole de paix. Sa main droite, pointée vers le haut, désigne la colombe évoquant le Saint-Esprit, placée sous l’arc central et entourée d’anges. Marie, surprise de cette apparition, a interrompu sa lecture et ébauche un mouvement de recul. La phrase prononcée par l’archange est écrite en lettres capitales et semble sortir de sa bouche :

AVE MARIA GRATIA PLENA DOMINVS TECVM (Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi)

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

 

Les lettres sont inscrites en relief, selon la technique a pastiglia qui consiste à utiliser un mélange de stuc, de farines, de colle et d’huile pour modeler le relief avant la finition peinte.

La composition de la scène est conforme aux réalisations de l’époque : absence de perspective avec des personnages alignés, fond or non figuratif illuminant l’ensemble, éléments d’architecture religieuse destinés à établir un lien entre la scène biblique antique et l’Église contemporaine. L’artiste tente, comme Giotto avant lui, d’introduire pragmatiquement un peu de profondeur sur la surface plane du tableau, principalement en utilisant le sol de marbre. Le vase au bouquet de lys apparaît ainsi nettement derrière les deux personnages. Mais la maîtrise géométrique de la perspective manque évidemment et n’apparaîtra qu’au siècle suivant.

Le caractère novateur de l’œuvre provient du traitement graphique des deux figures. Jusqu’alors l’archange et Marie étaient des personnages robustes et statiques pouvant être expressifs mais sans aucun maniérisme. Une partie de la Maestà de la cathédrale de Sienne de Duccio de Buoninsegna en offre un exemple :

 

Duccio. Annonciation (1308-11)

Duccio. Annonciation (1308-11)
Tempera sur bois, 44 × 46 cm, National Gallery, Londres.

 

Chez Martini, l’archange agenouillé aux ailes déployées et à la cape flottante suggère visuellement une apparition venant des cieux. Le mouvement de recul de la Vierge et sa mimique de défiance n’ont pas d’équivalents antérieurs. L’expressivité et le mouvement sont obtenus par un dessin mettent en valeur les courbes : arabesques des ailes et de la cape de Gabriel, position du bras gauche de Marie et tracé de son vêtement, tiges des fleurs de lys dans le vase. Le maniérisme des figures aristocratiques, caractéristique du gothique international, prend sa source dans cette Annonciation.

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

 

Le traitement chromatique de l’archange constitue une seconde caractéristique novatrice. Le peintre a choisi pour ses vêtements une tonalité dorée plus claire que le fond du tableau mais a éliminé le rouge et le bleu réservés à Marie. Le caractère céleste et immatériel de Gabriel est immédiatement perçu par le spectateur. L’archange est presque transparent.

 

Saint Ansan et sainte Maxime

Saint Ansan apparaît sur le panneau de gauche et sainte Maxime sur le panneau de droite. Ansanus (284-304) serait né dans une famille noble de Rome et baptisé secrètement par sa mère ou sa marraine Maxima. Ayant déclaré publiquement sa foi chrétienne, il est torturé, de même que Maxima. Celle-ci meurt sous la torture mais Ansanus survit. Il est emprisonné à Sienne et réussit à prêcher le christianisme et à convertir de nombreuses personnes. Il sera décapité sur ordre de l’empereur Dioclétien (244-311). Ansanus (Sant’Ansano en italien, saint Ansan en français) devient par la suite le saint patron de la ville de Sienne.

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

 

Dans certaines analyses de ce triptyque, la sainte de droite est appelée Marguerite en raison de la mention de ce nom sur un inventaire de 1458. Il est assez probable cependant qu’il s’agisse de Maxime d’Ostie, mère ou marraine d’Ansanus, morte sous la torture sous le règne de Dioclétien en 295.

 

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

Simone Martini et Lippo Memmi. Annonciation, détail

 

Les visages ne sont pas individualisés et les mêmes traits se retrouvent sur les quatre figures. Cette caractéristique apparaît sur toutes les peintures de l’époque car les artistes utilisaient des modèles de calque (patrons) pour le traçage. Les particularités de chaque visage n’intéressaient pas les artistes.

 

Evolution du thème de l’Annonciation au 14e siècle

L’Annonciation de Simone Martini constitue le début d’une évolution marquante. Le style nouveau, qualifié par les historiens de gothique international, valorise la douceur, l’élégance, la délicatesse, qui séduisent le haut clergé et les grands aristocrates, commanditaires des œuvres. Giotto et Duccio précèdent cette évolution, Conrad von Soest et Lorenzo Monaco s’y rattachent.

Giotto. Annonciation, vue d’ensemble (1306)

Giotto. Annonciation, vue d’ensemble (1306). Fresque, chapelle des Scrovegni, Padoue.

 

Giotto. Annonciation, L’archange Gabriel (1306)Giotto. Annonciation, L’archange Gabriel (1306)

 

Giotto. Annonciation, La Vierge (1306)

Giotto. Annonciation, La Vierge (1306)

 

Cette Annonciation est peinte de chaque côté d’un arc de la chapelle Scrovegni, l’archange Gabriel à gauche, la Vierge à droite.

Duccio. Annonciation (1308-11)

Duccio. Maestà de la cathédrale de Sienne, Annonciation (1308-11). Tempera sur bois, 44 × 46 cm, National Gallery, Londres. Ce panneau est le premier d'une série de scènes de l'enfance du Christ sur la façade de la prédelle (partie inférieure) de la Maestà.

Conrad von Soest. Retable de Bad Wildungen, Annonciation (1403)

Conrad von Soest. Retable de Bad Wildungen, Annonciation (1403). Tempera sur bois, Église paroissiale Saint-Nicolas, Bad Wildungen. Il s’agit de l’une des treize scènes du retable en position ouverte (largeur 611 cm). Le diadème de Marie est incrusté de perles assemblées pour former son nom.

Lorenzo Monaco. Triptyque de l'Annonciation, scène centrale (1410-15)

Lorenzo Monaco. Triptyque de l'Annonciation, scène centrale (1410-15). Tempera sur bois, Galerie de l’Académie, Florence. L’élégance très maniériste caractérisant les figures du gothique international est, dans ce nouveau chef-d’œuvre, visiblement héritée de Simone Martini. La luminosité éclatante et l’élégance du trait nous apparaissent immédiatement sur ce panneau. La première provient du fond or et des couleurs vives et complémentaires choisies (rose et bleu). La seconde résulte du dessin apparent et du génie de l’artiste pour traduire la légèreté et la délicatesse.

Ajouter un commentaire