Rembrandt. Les syndics de la guilde des drapiers (1662)
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Patrick AULNAS
Le portrait de groupe constitue un aspect important de l’œuvre de Rembrandt. Il s’agit de toiles de grandes dimensions et parfois même immenses comme La Ronde de Nuit (363 × 437 cm). Le peintre répond à des commandes d’organisations prestigieuses (guildes, compagnies) cherchant à se mettre en valeur par l’image.
Rembrandt. Les syndics de la guilde des drapiers (1662)
Huile sur toile, 191,5 × 279 cm, Rijksmuseum, Amsterdam.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE
Contexte historique
Ce tableau est le dernier portrait de groupe de Rembrandt. Le grand artiste, quelque peu prodigue, vivait au-dessus de ses moyens et avait été confronté en 1656 à la saisie de tous ses biens par ses créanciers. Il déménage alors vers une demeure beaucoup plus modeste sur Rezengracht (Canal des Roses) à Amsterdam. C’est là qu’il peint Les syndics de la guilde des drapiers.
Le tableau, commandé par la guilde (corporation) des drapiers d’Amsterdam, orne jusqu’en 1771 le Staalhof, siège à Amsterdam de cette guilde. Il subit ensuite plusieurs transferts : hôtel de ville sur la place du Dam jusqu’en 1808, Trippenhuis jusqu’en 1885 et enfin Rijksmuseum. Il est aujourd’hui la propriété du la ville d’Amsterdam.
Rembrandt est rattaché par les historiens au courant baroque, mais ses portraits de groupe valent principalement par leur réalisme social. Ils présentent un grand intérêt historique en fournissant une image très convaincante de l’élite de la République hollandaise des Provinces Unies. Cette République était au 17e siècle la plus prospère et la plus démocratique de toutes les nations d’Europe
Le titre et sa traduction
Le Rijksmuseum indique pour ce tableau le titre suivant :
De waardijns van het Amsterdamse lakenbereidersgilde, bekend als ‘De Staalmeesters’
Le mot waardijns n’existant plus en néerlandais actuel, la traduction exacte d’un point de vue sémantique est la suivante :
Les responsables de l’échantillonnage de la guilde des drapiers d’Amsterdam, connus sous le nom de ‘syndics’.
Le mot syndic, dérivé du latin syndicus, doit être entendu au sens ancien : personne mandatée pour défendre les intérêts d'une communauté.
Analyse de l’œuvre
Les drapiers contrôlaient tout le processus de production des tissus par la place stratégique qui était la leur. Ils achetaient le tissu brut à des tisserands et se chargeaient de le transformer en produit fini de plusieurs niveaux de qualité. Le tissu était ensuite revendu aux artisans pour la fabrication de vêtements, rideaux, draps, etc. Le drapier sous-traitait le processus de production à des lisseurs qui feutraient le tissu pour l’adoucir, puis à des foulonniers qui foulaient le tissu pour l’assouplir et enfin à des teinturiers qui lui donnait sa couleur définitive.
Le tableau de Rembrandt représente les Staalmeesters (syndics), chargés de la classification des tissus, travail réalisé par comparaison avec des échantillons. Ces syndics sont des drapiers appartenant à la guilde et désignés pour une période d’une année. Ils ne sont pas en plein travail de contrôle des tissus, mais occupés à compulser un document qui pourrait être un livre de comptes. Selon l’interprétation traditionnelle du tableau, les cinq syndics sont assis devant les membres de la guilde des drapiers auxquels ils présentent le résultat de leur contrôle.
Le tableau est si réaliste que les noms des personnes représentées sont connus. S’agissant d’un portrait de groupe, l’artiste a cherché à saisir la singularité de chaque figure par le regard, l’expression, les traits du visage. De gauche à droite :
Willem van Doeyenburg (1616-1687)
Aernout van der Meye (1625-1681)
À l'arrière-plan au centre, sans chapeau, apparaît leur valet, Frans Hendricksz. Bel (1629-1701) qui a vécu toute sa vie au Staalhof, siège de la guilde des drapiers.
La composition en contreplongée permet de mettre en valeur les figures, qui apparaissent légèrement au-dessus de l’observateur. Nous sommes donc à la place des drapiers qui écoutent le compte-rendu des syndics. Pour mobiliser notre attention, Rembrandt a orienté les regards des cinq syndics vers les drapiers assistant à la séance. Le dialogue visuel s’établit donc immédiatement avec celui qui contemple le tableau. Le peintre parvient ainsi à éviter l’écueil du portrait de groupe trop statique, renvoyant dans l’esprit de l’observateur à des modèles prenant la pose. Le mouvement caractérise la composition, par la gestuelle et le fait que l’un des syndics se lève de son fauteuil.
Rembrandt a joué sur le contraste entre les couleurs chaudes du décor (rouge de la nappe, brun doré du mur) et la tenue austère, noire et blanche, des personnages, correspondant à la mode en vigueur dans la bourgeoisie de l’époque. Les lambris décorant le mur sont conformes à ceux du siège de la guilde, le Staalhof. La somptueuse nappe recouvrant la table joue un rôle chromatique essentiel en illuminant l’ensemble avec un rouge parsemé de jaune. La lumière, qui vient de la gauche, se reflète sur cette nappe et éclaire puissamment les visages et les fraises blanches enserrant le cou, par un jeu de clair-obscur caractéristique de la peinture baroque.
Rembrandt. Les Syndics de la guilde des drapiers, détail
Quelques portraits de groupe hollandais au 17e siècle
Au 17e siècle, le portrait de groupe n’est pas spécifique aux Pays-Bas. Charles Le Brun ou Hyacinthe Rigaud en France en réalisent également. Mais, outre le portrait de famille, les hollandais ont accordé une grande place au portrait de corporation ou portrait civique qui représente les membres d’une guilde ou d’une milice civile.
Rembrandt. La leçon d'anatomie du docteur Nicolaes Tulp (1632). Huile sur toile, 170 × 217 cm, Mauritshuis, La Haye. Premier portrait de groupe peint par Rembrandt. Le professeur Nicolaes Tulp (1593-1674) donne une leçon d'anatomie à des chirurgiens. Une dissection est un évènement : la corporation des chirurgiens n’en autorise qu’une seule par an et le corps utilisé doit être celui d’un criminel exécuté. Il ne faut pas rechercher l’exactitude anatomique dans ce tableau : il est commandé par la Guilde des chirurgiens pour faire valoir son savoir et sa puissance. Le Professeur Tulp étudie le mouvement des doigts qu’il montre avec sa main gauche. |
Frans Hals. Cortège des officiers et des sous-officiers du corps des archers de Saint-Georges (1639). Huile sur toile, 218 × 421 cm, Frans Halsmuseum, Haarlem. Les corps des archers et des arbalétriers étaient des milices civiles jouissant d'un grand prestige. Il fallait appartenir aux grandes familles locales pour les intégrer. Ces milices symbolisaient la liberté des villes et leurs membres étaient fiers d'être représentés sur un tableau en tenue d'apparat, parfois même avec armes, comme ici. Le deuxième personnage tout en haut en partant de la gauche est Frans Hals lui-même, qui faisait partie du corps en tant que peintre célèbre, mais pas au rang d'officier. |
Pieter de Hooch. Une famille dans une cour de Delft (1658-60). Huile sur toile, 113 × 97 cm, Akademie der bildenden Künste, Vienne. Ce tableau d'une famille aisée dans une cour est l'un des plus caractéristiques de l'école de Delft. Il constitue en effet un remarquable témoignage historique et une réussite formelle par l'équilibre de la composition et la maîtrise de la lumière. |
Frans Hals. Les régents de l'hospice des vieillards (1664). Huile sur toile, 172,5 × 256 cm, Frans Halsmuseum, Haarlem. En 1598, la municipalité de Haarlem décide la construction d'un hospice pour recueillir ses vieillards nécessiteux. L'établissement est dirigé par un conseil d'administration composé de régents et régentes. En 1810, le bâtiment est transformé en orphelinat et enfin, en 1913, il devient le musée Frans Hals. Le côté sarcastique de la composition ne doit pas échapper. Ces personnages austères, tout de noir et de blanc vêtus, vivent à des années-lumière de l'univers mental du fantaisiste Frans Hals. Les mains, gantées ou non, ne sont pas terminées comme l'a dit Van Gogh. Ni picturalement, car le peintre ne cherche pas la finition parfaite des classiques, ni métaphoriquement : les régents ne savent visiblement pas qu'en faire. Les cinq régents sont assis. Le directeur apparaît à l'arrière-plan. |
Nicolas Maes. Portrait de la famille de François van den Brandelaer (v. 1672). Huile sur toile, 158 × 163 cm, Musée d'art et d'histoire, Genève. « Tout, dans ce tableau, revêt une signification précise : le père offre à son épouse un rameau d’oranger en signe d’amour conjugal ; la fille tend une main vers l’eau d’une fontaine évoquant sa virginité ; le fils, vêtu à l’antique, tient un arc figurant ses futurs talents de chasseur. Interpellé par le regard vif de la petite dernière qui s’agite sur les genoux de sa mère, le spectateur est également saisi par le raffinement éclatant des étoffes. À l’arrière-plan on aperçoit le manoir familial d’Emer, à Breda. Élève de Rembrandt (1606-1669), Nicolas Maes livre avec ce portrait de famille de grand format l’une de ses œuvres les plus surprenantes. À l’élégance d’Antoine Van Dyck (1599-1641), il ajoute la vigueur de Jacob Jordaens (1593-1678) et crée un moment aussi fugace que touchant. Enfin, cette composition est un hommage posthume à la mère des enfants, décédée l’année même de l’exécution de la toile, ainsi qu’à un autre petit – disparu lui aussi – et qui, depuis le nuage sombre de l’au-delà, couronne sa mère de lauriers en compagnie d’un angelot. Si la peinture est un art qui permet de réunir les vivants et les morts, Maes y parvient ici de manière lumineuse. » (Commentaire Musée d'art et d'histoire de Genève) |
Commentaires
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- 1. Dang Nguyen Godefroy Le 04/09/2023
Belle analyse
Merci
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