Giovanni Bellini. La madone des prés (v. 1505)

 
 

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Patrick AULNAS

Giovanni Bellini a été formé par son père, Jacopo (1400-1470), peintre vénitien du courant Gothique international. Son frère Gentile fut également peintre et sa sœur Nicolosia épousa Andrea Mantegna en 1453. La peinture de Bellini a considérablement évolué au cours de sa longue vie pour aboutir à un style qui préfigure la Haute Renaissance et la peinture de Raphaël. La Madonna del Prato (Madone des prés, Madonna of the Meadow) illustre l’aboutissement stylistique de l’artiste.

 

Giovanni Bellini. Madone des prés (1505)

Giovanni Bellini. La madone des prés (v. 1505)
Huile et œuf sur bois, transféré sur toile, 67 × 86 cm, National Gallery, Londres.
Image HD sur NATIONAL GALLERY et WIKIPÉDIA

 

Historique de l’œuvre

L’œuvre a été acquise par la National Gallery en 1858. Elle faisait auparavant partie de la collection Farina (Faenza, Italie). La Madonna del Prato a longtemps été attribuée à Marco Basaiti (1470-1530), peintre italien d’origine albanaise. C’est l’historien de l’art allemand Georg Gronau (1868-1938), spécialiste de la Renaissance italienne et auteur d’un ouvrage sur la famille Bellini, qui remit en cause cette attribution en 1928. Le tableau est désormais unanimement considéré comme un chef-d’œuvre de la maturité de Giovanni Bellini.

La peinture étant endommagée, une restauration et un transfert sur toile ont été réalisés en 1949. Aujourd’hui encore, la peinture reste endommagée par endroits.

 

Analyse de l’œuvre

La principale originalité de la composition réside dans le cadre paysager où apparaît la Vierge à l’Enfant. La Vierge constitue un triangle presque parfait, nettement dissocié du paysage d’arrière-plan par le chromatisme (rouge et bleu) et la monumentalité (90% de la hauteur du tableau). Aucune interaction n’apparaît entre le paysage et la figure de la Vierge de façon à distinguer les deux registres : terrestre et céleste.

Le paysage n’est pas seulement suggéré et laissé dans le flou, mais parfaitement représenté avec de multiples détails pouvant avoir une signification symbolique. Comme il est courant à la Renaissance, ce paysage est emprunté à l’environnement connu du peintre, c'est-à-dire la campagne vénitienne. La Vierge est placée au premier plan dans une prairie. Derrière elle apparaissent des bovins et des moutons, un échassier (grue ou pélican) aux prises avec un serpent, un oiseau noir (corbeau, vautour, aigle) perché dans un arbre et deux personnages (cultivateur et gardien de troupeau).

 

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

 

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

 

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

La forteresse médiévale a pu être identifiée comme celle de Feltre, petite ville de Vénétie. Le réalisme du ciel émane principalement du soin apporté à la représentation des nuages dont Bellini a accentué l’aspect floconneux.

 

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

La perspective atmosphérique permet de donner de la profondeur à la composition : éclaircissement progressif allant vers le blanc à l’horizon. Les collines le plus lointaines sont ainsi traitées en gris pâle pour se confondre avec la ligne d’horizon. Des arbres étiques ont été placés ici ou là comme éléments de verticalité.

Le clair-obscur du paysage, que Vinci avait déjà utilisé, en particulier pour La Joconde (1503-1505), caractérise aussi ce paysage de Bellini, qui baigne dans une lumière atténuée.

La symbolique religieuse, omniprésente dans la peinture de cette époque, apparaît d’abord dans la lutte de l’échassier et du serpent, qui peut être interprétée comme celle du bien et du mal. L’oiseau noir dans l’arbre symbolise la mort. Plus généralement, la prairie accueillante (herbe, fleurs) dans laquelle a été placée la Vierge, rappelle l’hortus conclusus de l’iconographie du Moyen Âge, encore très présent dans la peinture nordique du 15e siècle (par exemple, Martin Schongauer, Vierge au buisson de roses, 1473). L’hortus conclusus, ou jardin clos, est évoqué dans la Bible (Cantique des cantiques) comme lieu paradisiaque où vit la Vierge. Par le concept de clôture, il symbolise la virginité.

Bellini a pris ici des libertés avec ce thème médiéval du jardin puisque la Vierge est assise dans un pré ouvert sur un vaste paysage. Cependant, du fait de sa position au premier plan, il n’est pas possible de déterminer la posture exacte du personnage. Est-elle assise dans l’herbe, touche-t-elle le sol ou non ? Bellini a visiblement souhaité maintenir le flou sur ce point pour dissocier nettement le divin de l’humain, le céleste du terrestre. Mais l’impression d’ensemble est bien celle d’une Vierge et d’un Enfant en apesanteur.

 

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Giovanni Bellini. Madone des prés, détail

Il s’agit d’une Vierge de l’humilité, par opposition à la figure plus ancienne de la Vierge en majesté (maestà) qui dominait la peinture byzantine et médiévale (par exemple, Cimabue, Vierge et l’Enfant en majesté entourés d’anges, 1280). Tout comme l’Enfant, la Vierge ferme les yeux. Mains délicatement jointes, elle prie. Bellini a maintenu une distance entre Mère et Enfant, aucun geste d’affection n’apparaissant, alors qu’ils étaient déjà courants dans la peinture de l’époque (par exemple, Filippo Lippi, Vierge à l’Enfant et deux anges, 1465). Bien évidemment, le destin tragique du Christ (crucifixion) était présent dans l’esprit des contemporains lorsqu’ils regardaient cet Enfant endormi avec la main sur le cœur.

Cette Vierge suspendue dans un paysage réaliste constitue ainsi une allégorie du lien entre l’humain et le divin, sujet essentiel dans une société caractérisée par une profonde religiosité.

 

Vierge à l’Enfant et paysage au 16e siècle : quelques exemples

Des compositions similaires apparaissent tant dans la peinture italienne que flamande. Le paysage réaliste de Bellini disparaît chez Raphaël, qui reprend la manière allusive de Vinci. Les peintres nordiques, par exemple Gérard David, accordent parfois une place essentielle au paysage et le traitent avec la minutie qui caractérise leur peinture. Un peu plus tard, en 1530, le grand coloriste Titien place une Vierge et des saints dans un vaste paysage panoramique comportant quelques détails de la vie paysanne.

Raphaël. Madone à la prairie (1506)

Raphaël. Madone à la prairie (1506). Huile sur bois, 113 × 88 cm, Kunsthistorisches Museum, Autriche. Aussi appelé Madone du Belvédère, ce tableau représente la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste enfant à gauche. La composition pyramidale des personnages s'inspire de Léonard de Vinci, de même que le paysage à l'arrière-plan qui devient indistinct et monocolore dans les lointains. L'artiste a réalisé plusieurs œuvres très semblables à cette époque.

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Etude détaillée

 

Raphaël. Vierge au chardonneret (1506)

Raphaël. Madone del Cardellino (1506). Huile sur bois, 107 × 77 cm, Galerie des Offices, Florence. En français, Vierge au chardonneret. Composition proche de la Madone à la prairie et comportant les mêmes personnages.

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Gérard David. Le repos durant la fuite en Egypte (v. 1510)

Gérard David. Le repos durant la fuite en Egypte (v. 1510). Huile sur bois, 42 × 42 cm, National Gallery of Art, Washington. Episode biblique. Peu après la naissance de Jésus, le roi Hérode met à mort les enfants de moins de deux ans pour éliminer le futur roi de juifs. La Sainte Famille (Marie, Joseph et Jésus) fuit vers l'Egypte. Le peintre illustre ici une halte au cours de ce voyage, thème très courant aux 15e et 16e siècles.

Etude détaillée

 

Titien. Vierge à l'Enfant avec des saints (1530)

Titien. Vierge à l'Enfant avec des saints (1530). Huile sur toile, 101 × 142 cm, National Gallery, Londres. Scène très classique où sainte Catherine et le jeune Jean-Baptiste sont placés aux côtés de la Vierge et de l'Enfant Jésus. Titien utilise des couleurs vives pour les personnages qui se détachent sur l'arrière-plan boisé. Cette peinture a été probablement peinte pour le duc de Mantoue.

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