Le paysage au 19e siècle

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Patrick AULNAS

0. L'art du paysage, définition et panorama historique
1. L'art du paysage dans l'Antiquité
2. L'art du paysage au Moyen Âge
3. L'art du paysage au 15e siècle
4. L'art du paysage au 16e siècle
5. L'art du paysage au 17e siècle
6. L'art du paysage au 18e siècle
7. L'art du paysage au 19e siècle
8. L'art du paysage aux 20e & 21e siècles

 

7. L'art du paysage au 19e siècle

Au 19e siècle, la peinture de paysage cherche à rompre avec l'académisme et ses règles de composition. Le romantisme, dès la fin du 18e, propose un nouvel état d'esprit en privilégiant les émotions de l'artiste. Les peintres réalistes quittent complètement le paysage idéalisé qui avait dominé jusqu'alors et s'attachent à étudier avec minutie les phénomènes naturels. Mais ce sont surtout les impressionnistes qui marquent le début de la modernité picturale en détachant le sujet traité de l'objet représenté. Le paysage devient désormais une interprétation très libre de la réalité observée.

 

Le romantisme

Caspar David Friedrich. Lever de lune sur la mer (v. 1821)

Caspar David Friedrich. Lever de lune sur la mer (v. 1821)
Huile sur toile, 135 × 170 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

 

Le romantisme est d'abord un courant littéraire qui prend naissance en Allemagne au 18e siècle, puis s'étend à l'Angleterre et à la France avec François-René de Chateaubriand (1768-1848), Victor Hugo (1802-1885), Alfred de Musset (1810-1857). Le romantisme touchera ensuite les autres disciplines artistiques et en particulier la peinture et la musique.

Les premières œuvres picturales romantiques sont anglaises, mais le mouvement s'étendra rapidement à l'Allemagne, la France et l'Espagne. L'art romantique cherche à se départir des conventions antérieures (scènes historiques et religieuses, portraits de grands personnages) pour mettre l'accent sur les émotions individuelles, parfois portées à leur paroxysme. Il s'agit également d'une réaction contre le rationalisme du siècle des Lumières : le sentiment doit prévaloir sur la raison, l'imagination importe plus que l'analyse critique. Les émotions peuvent provenir de la société (guerres, révolution), de la psychologie humaine (rêves) ou de la nature (paysages) et la peinture romantique comporte ces trois aspects.

Le paysage romantique se situe par l'esprit à l'opposé du paysage classique. A la raison classique, il oppose la passion. A l'équilibre de la composition, il substitue l'exubérance. Il ne s'agit plus de représenter la nature de façon objective, en l'idéalisant, mais d'exprimer ses émotions, ses troubles. La subjectivité revendiquée est la caractéristique fondamentale du romantisme. De ce point de vue, il hérite des apports d'un courant littéraire du 18e siècle qui explore pour la première fois les mystères de la sensibilité individuelle (en particulier J.-J. Rousseau : Les Confessions, La Nouvelle Héloïse).

Comme l'a remarqué Baudelaire,  « le romantisme n'est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir ». L'individu et sa perception subjective sont donc au centre de la création artistique. Mais il ne s'agit pas d'une subjectivité à la recherche de la quiétude. L'exaltation des sentiments, la violence des rapports humains, parfois la folie, sont privilégiés.

Allemagne

Caspar David Friedrich (1774-1840) est l'artiste le plus marquant du courant romantique en Allemagne. Selon lui, l'activité du peintre ne consiste pas seulement à peindre «  ce qu'il voit devant lui, mais aussi ce qu'il voit en lui. Toutefois, s'il ne voit rien en lui, mieux vaut qu'il s'abstienne aussi de peindre ce qu'il voit devant lui. » (*) Cette conception s'applique aux nombreux paysages réalisés par Friedrich qui ne doivent pas être inventés comme le faisaient les classiques, mais d'abord ressentis intérieurement. Friedrich était ainsi assez proche de la conception spiritualiste de l'art du peintre Philipp Otto Runge (1777-1810), autre représentant du romantisme allemand. Mais Runge s'intéresse peu au paysage en tant que tel et ne l'utilise que pour y insérer une symbolique religieuse.

Runge. Le grand matin (1809-10)Philipp Otto Runge. Le grand matin (1809-10). Huile sur toile, 152 × 113 cm, Kunsthalle, Hambourg. Cette œuvre est une allégorie du commencement (naissance de l'homme, naissance du jour) en relation avec une conception religieuse de notre monde (Dieu, la nature et l'homme). Les fleurs constituent un élément symbolique important chez ce peintre. La composition, parfaitement symétrique, est aussi une recherche sur les couleurs et la lumière.

Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818)Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818). Huile sur toile, 95 × 75 cm, Kunsthalle, Hambourg. De nombreuses interprétations ont été données de ce tableau emblématique du romantisme. On peut y voir de multiples symboles et se perdre dans une savante exégèse. Mais, de toute évidence, il s'agit pour nous aujourd'hui du héros romantique face aux splendeurs de la nature. Pour le reste l'interprétation est libre. Solitude face à l'immensité ? Emerveillement face à la beauté ? Petitesse de l'homme face à la grandeur et à la puissance ? Quête de spiritualité ?

Caspar David Friedrich. Lever de lune sur la mer (v. 1821)Caspar David Friedrich. Lever de lune sur la mer (v. 1821). Huile sur toile, 135 × 170 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Cette composition représente le paysage romantique archétypal, qu'évoque spontanément l'énoncé du mot romantique. Deux couples contemplent l'apparition de la lune sur la mer où naviguent deux voiliers. Lumière vespérale en contre-jour, amour suggéré, immensité de l'océan...

Schinkel. Cathétrale gothique avec Palais impérial (1805)Karl Friedrich Schinkel. Cathédrale gothique avec palais impérial (1805). Huile sur toile, 94 × 140 cm, Nationalgalerie, Berlin. Karl Friedrich Schinkel (1781-1841) est un peintre et un architecte allemand d'abord influencé par le néoclassicisme puis par le romantisme Ce paysage grandiose imprégné de religiosité et de nostalgie renvoie aux aspirations spiritualistes des romantiques. La beauté ressentie provient d'une émotion qui conjugue les mystères liant l'homme à la nature et ses questionnements philosophiques ou religieux.

Karl Friedrich Schinkel. Matin (1813)Karl Friedrich Schinkel. Matin (1813). Huile sur toile, 76 × 102 cm, Nationalgalerie, Berlin. Le goût du paysage sylvestre, très présent dans la peinture allemande, se conjugue ici avec une allégorie voilée de la renaissance de la nation allemande. Le pays était à l'époque occupé par les troupes napoléoniennes et ce tableau a été peint pour le militant nationaliste prussien August Wilhelm von Gneisenau. Au-delà des petites péripéties guerrières de l'histoire, il reste aujourd'hui un beau paysage romantique.

 

Angleterre : John Mallord William Turner

John Mallord William Turner (1775-1851) est le plus brillant représentant du romantisme en Angleterre. Il commença très jeune à travailler pour des revues et des guides de voyages. Il réalisait alors des vues topographiques mais avaient de plus hautes ambitions qui ne tardèrent pas à se réaliser. Admirant aussi bien les français Claude Lorrain et Nicolas Poussin que les néerlandais Aelbert Cuyp et Willem van de Velde, il était bien placé pour réaliser une œuvre novatrice au confluent des tendances historiques majeures de la peinture de paysage. Classé dans les peintres romantiques par son art de la poétisation des paysages, il est aussi considéré comme un des précurseurs de l'impressionnisme. Il suffit d'observer les tableaux ci-dessous pour comprendre immédiatement pourquoi.

Ayant commencé par peindre des aquarelles, il chercha par la suite à combiner les techniques de l'aquarelle et de la peinture à l'huile. Il obtint ainsi des huiles très transparentes et très lumineuses, avec des effets de brume, qui faisaient l'admiration des plus lucides de ses contemporains. Mais les plus nombreux étaient réticents et ne voyaient dans les images brouillées de Turner que fantaisie gratuite. Il faudra longtemps avant que sa peinture soit comprise car, au début de 19e siècle, l'idéal du paysage classique imprégnait encore les esprits. Vouloir saisir l'instant, la fugacité, quelques moments évanescents, au lieu de figer un schéma idéal du paysage, ne pouvait aller de soi. L'émergence d'une démarche impressionnisme dans l'Angleterre de l'époque rencontra l'incompréhension du plus grand nombre.

J.M.W. Turner. La ville et le château de Scarborough (1810)J.M.W. Turner. La ville et le château de Scarborough (1810). Aquarelle sur papier, 85 × 111,7 cm, Art Gallery of South Australia, North Terrace, Adelaide. L'intitulé complet est Scarborough town and castle: morning : boys catching crabs. La ville et le château constituent un arrière-plan très flou, le propos du peintre étant de saisir une ambiance matinale avec quelques pêcheurs de crabes. Les reflets de la lumière sur l'eau constituent l'élément central de cette aquarelle.

J.M.W. Turner. Marins chargeant du charbon au clair de lune (1835)J.M.W. Turner. Marins chargeant du charbon au clair de lune (1835). Huile sur toile, 92,3 × 122,8 cm, National Gallery of Art, Washington. A droite, des ouvriers du port chargent le charbon du Northumberland et du Durham sur des voiliers à partir de barques. L'éclat de la pleine lune inonde de lumière l'ensemble de la composition en se reflétant sur la mer. L'observateur établit immédiatement une parenté avec Impression soleil levant de Claude Monet qui, en 1872, constituera l'acte de naissance de l'impressionnisme.

J.M.W. Turner. Le Grand Canal, Venise (1835)J.M.W. Turner. Le Grand Canal, Venise (1835). Huile sur toile, 91 × 122 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Au cours de son deuxième séjour à Venise, en 1833, Turner a réalisé de nombreux dessins ou esquisses peintes. Pour ce tableau, il a, selon les spécialistes, utilisé un dessin de son premier séjour à Venise en 1819 et d'autres travaux pris sur le vif. Ce qui frappe l'observateur, qui compare spontanément cette vue avec celle de Canaletto, réalisée un siècle plus tôt, c'est la propension de Turner à poétiser les réel en lui donnant un aspect magique.

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Le réalisme

John Constable. Le champ de blé (1826)

John Constable. Le champ de blé (1826)
Huile sur toile, 143 × 122 cm, National Gallery, Londres.

 

Angleterre : John Constable

John Constable (1776-1837) vouait une admiration à Thomas Gainsborough (1727-1788) et prétendait même le voir « dans chaque haie et chaque arbre creux ». Comme lui, il dut se résoudre d'abord à réaliser des portraits car ses premiers paysages ne trouvaient pas acquéreur. Il devint ensuite l'un des plus grands maîtres de la peinture de paysage. Ses compositions se situent dans la lignée de celles de Gainsborough et se rattachent ainsi à la tradition du paysage hollandais du 17e siècle. Constable est un peintre réaliste par conviction, qui condamne de façon doctrinale, dans ses conférences, le paysage arcadien des italiens et des français du 17e siècle. Pour lui, l'art se trouve « sous n'importe quelle haie et dans n'importe quelle prairie » et il s'agit pour le peintre de restituer sur la toile la nature avec un souci constant de vérité. Aussi travaillait-il en prenant des esquisses à l'huile dans la nature. Ses paysages étaient ensuite composés à partir de ce matériel dans son atelier.

John Constable. Le champ de blé (1826)John Constable. Le champ de blé (1826). Huile sur toile, 143 × 122 cm, National Gallery, Londres. Constable retournait régulièrement à East Bergholt, le village du Suffolk où il était né. C'est à partir de vues prises sur le motif qu'il compose en atelier ce type de paysage dans lequel le ciel joue un rôle primordial. Il parvient à restituer l'ambiance de clair-obscur de la campagne anglaise en agençant un ciel ennuagé très profond et des effets d'ombre (au premier plan) et de lumière (sur le champ de blé). Le caractère instable du temps (éclaircies et averses), propre au climat océanique, est ainsi presque palpable.

John Constable. La charrette de foin (1821)John Constable. La charrette de foin (1821). Huile sur toile, 130,2 × 185,4 cm, National Gallery, Londres. Ce paysage typique du Suffolk représente un attelage franchissant un gué à côté d'une petite ferme adossée à un bosquet. L'œuvre obtint la médaille d'or en 1824 au salon de Paris. Constable n'a pas eu de successeur direct dans l'Angleterre du 19e siècle mais exercera une influence décisive sur l'évolution de la peinture paysagère française, en particulier sur les peintres de l'École de Barbizon.

John Constable. La cathédrale de Salisbury (1826)John Constable. La cathédrale de Salisbury vue du jardin de l'évêque (1826). Huile sur toile, 88,9 × 112,4 cm, The Frick Collection, New York. La cathédrale de Salisbury était familière à Constable car il entretenait des liens d'amitié avec l'évêque John Fisher. Ce type de paysage était apprécié en Angleterre au début du 19e siècle car il représentait la nature et un monument médiéval, faisant ainsi apparaître le travail séculaire des hommes dans leur milieu naturel.

John Constable. La cathédrale de Salisbury, détail (1826)John Constable. La cathédrale de Salisbury, détail (1826). On retrouve dans ce paysage urbain tout l'art du clair-obscur de l'artiste et son goût pour un naturalisme sans concession.

 

États-Unis : l'Hudson River School

Dans la jeune nation américaine se manifeste une volonté de créer une activité artistique indépendante de celle de l'Europe. Les paysages grandioses et encore vierges du Nouveau Monde offraient aux artistes une source d'inspiration inépuisable. Thomas Cole (1801-1848) fut le premier peintre à imposer un style de paysage propre à l'Amérique. Il était né en Angleterre et y avait reçu une formation de dessinateur et de graveur. Il emprunte à la fois aux paysagistes hollandais du 17e siècle pour le réalisme et à Claude Lorrain pour l'équilibre classique de la composition. Cole sera vite reconnu comme l'inventeur du paysage pictural américain par l'American Academy of Fine Arts, fondée en 1817. Il aura de nombreux successeurs.

Thomas Cole. Chutes de Kaaterskill (1826)Thomas Cole. Chutes de Kaaterskill (1826). Huile sur toile, 109 × 92 cm, collection particulière. Thomas Cole a fondé l'Hudson River School qui attira de nombreux artistes. Cette école a lancé un véritable style américain du paysage qui rencontra un grand succès. Les Kaaterskill Falls, situées dans l'État de New York, sont deux chutes d'eau d'environ 80 mètres représentant à l'époque l'archétype de la nature sauvage et qui devinrent le premier lieu touristique américain.

Thomas Cole. Le méandre (1836)Thomas Cole. Le méandre (1836). Huile sur toile, 131 × 193 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Thomas Cole se situe à la fois dans le courant romantique et réaliste. Ce paysage après un orage, de composition classique, oppose la nature vierge du Nouveau Monde, sur la gauche, aux terres cultivées de la vallée, à droite. Le point de vue a été soigneusement choisi à partir d'un lieu escarpé sur le Mount Holyoke (Massachusetts) d'où l'on peut apercevoir le méandre du fleuve Connecticut.

Thomas Cole. Le méandre, détail (1836)Thomas Cole. Le méandre, détail (1836). Le peintre et son chevalet ainsi que son bagage posé sur un rocher apparaissent au premier plan.

Asher Brown Durand. Paysage pastoral (1861)Asher Brown Durand. Paysage pastoral (1861). Huile sur toile, 99 × 152,5 cm, National Gallery of Art, Washington. Asher Brown Durand (1796-1886) est un autre représentant majeur de l'Hudson River School. Ce paysage idyllique comporte, comme ceux de Cole, une vision de la grandeur de la nature primitive dans laquelle se développent les activités humaines. La civilisation fait peu à peu reculer les terres sauvages de l'Amérique.

Albert Bierstadt. The Rocky Mountains, Lander's Peak (1863)Albert Bierstadt. The Rocky Mountains, Lander's Peak (1863). Huile sur toile, 186,7 × 306,7 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. Albert Bierstadt (1830-1902) est le fils d'une famille d'immigrants allemands qui étudia à l'Académie de Düsseldorf. Ce tableau a été réalisé à la suite de deux expéditions dans les Montages rocheuses. Il s'agit d'un paysage imaginaire dans lequel l'artiste restitue les impressions recueillies. Ce paysage grandiose avec une lumière éclatante venant du ciel permet de faire apparaître le mode de vie des indiens d'Amérique.

Frederic Edwin Church. Automne (1875)Frederic Edwin Church. Automne (1875). Huile sur toile, 39 × 61 cm, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid. Frederic Edwin Church (1826-1900) fut le seul élève de Cole. Il fit des paysages d'automne l'une de ses spécialités en reprenant fréquemment la lumière venant de l'arrière-plan, création de Claude Lorrain au 17e siècle.

 

France : L'École de Barbizon

A partir de la fin du 18e siècle, certains peintres avaient pris l'habitude de réaliser des esquisses à l'huile en plein air avant de composer l'œuvre définitive en atelier. John Constable lui-même procédait ainsi. En France, Théodore Rousseau (1812-1867) utilisait cette méthode pour créer des paysages très réalistes en opposition complète avec les critères de l'art académique. Ses tableaux furent donc systématiquement refusés au Salon officiel dans un premier temps. Il partit alors s'installer à Barbizon, petite commune de Seine-et-Marne, proche de la forêt de Fontainebleau. D'autres peintres vinrent le rejoindre et Barbizon devint ainsi le lieu où les peintres réalistes trouvaient leur inspiration. Certains y vécurent plusieurs années, mais d'autres n'y faisaient que des apparitions. Le terme École de Barbizon n'apparut qu'en 1890. Il ne s'agit pas d'une école où les artistes viennent apprendre la technique mais d'une communauté d'orientation artistique.

Cette peinture rencontra le succès vers le milieu du siècle. En 1849, La Forêt de l'Isle-Adam de Théodore Rousseau est admise au salon et remporte la médaille d'or. A l'Exposition universelle de Paris en 1855, une salle est entièrement consacrée au peintre. Les peintres de l'École de Barbizon (en particulier Jean-Baptiste Camille Corot, Charles-François Daubigny) ont chacun un style personnel, mais la volonté de dépasser les règles de composition académique les unit. Seul Jean-François Millet conserve le modèle classique de composition en l'appliquant à des scènes de genre paysannes.

Théodore Rousseau. Une avenue, forêt de l'Isle-Adam (1849)Théodore Rousseau. Une avenue, forêt de l'Isle-Adam (1849). Huile sur toile, 101 × 82 cm, musée d'Orsay, Paris. « L'artiste a cherché ici non pas à représenter une allée comme le ferait une photographie, mais à traduire la lumière verticale d'un midi d'été, la lumière la plus difficile à capter pour un peintre, une lumière qui écrase littéralement les objets. Cette tentative, ardue, l'une des premières dans l'histoire de la peinture française, trouvera son couronnement dans Les chênes d'Apremont conservés au musée du Louvre. » (Notice musée d'Orsay)

Théodore Rousseau. Groupe de chênes, Apremont (1850-52)Théodore Rousseau. Groupe de chênes, Apremont (1850-52). Huile sur toile, 63,5 × 99,5 cm, musée du Louvre, Paris. Cette œuvre fut exposée à l'Exposition universelle de Paris en 1855, alors que l'artiste était au sommet de sa gloire. Le groupe des chênes protège du soleil un homme et quelques animaux. L'artiste parvient à faire ressentir la lumière verticale du soleil de midi par la position des ombres autour des arbres. Rousseau ne cherche pas à idéaliser un paysage comme les classiques ou à le réinterpréter en fonction de ses émotions comme les romantiques, mais à saisir au plus près sa vérité qui est ici, pour lui, l'impact de la lumière sur une portion de nature.

Jean-Baptiste Corot. Le pont de Narni (1826)Jean-Baptiste Corot. Le pont de Narni (1826). Huile sur papier monté sur toile, 34 × 48 cm, musée du Louvre, Paris. Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) séjourne en Italie entre 1825 et 1828. Ce paysage représente les ruines du pont construit par Auguste sur le Nera. Il s'agit d'une esquisse à l'huile prise sur le motif, d'où son intérêt historique. Le peintre ne se soucie pas de représenter les détails mais veut saisir sa perception d'un paysage avec le maximum de spontanéité. Une telle esquisse ne pouvait en aucun cas être considérée par le public de l'époque comme un tableau achevé. Les critères classiques de composition dominaient totalement. Il faut attendre la seconde moitié du 19e siècle pour qu'émerge une esthétique de la perception. Cette esquisse fut utilisée par le peintre pour peindre un grand paysage conservé aujourd'hui au musée des Beaux-arts d'Ottawa.

Jean-Baptiste Corot. Souvenir de Mortefontaine (1864)Jean-Baptiste Corot. Souvenir de Mortefontaine (1864). Huile sur toile, 65 × 89 cm, musée du Louvre, Paris. « Dans son atelier, le peintre se souvient des étangs de Mortefontaine, situés près d'Ermenonville, où il vient et revient à partir de 1850 étudier les reflets sur la surface de l'eau et les effets de lumière. Mais attention, il s'agit ici d'une construction particulière du souvenir, à partir de toutes les images du lieu. Corot en peint une qui les contient toutes. Après 1850, l'art de Corot devient lyrique et sa technique volontairement plus elliptique. Par son ambiance brumeuse et poétique, Souvenir de Mortefontaine est un chef-d'œuvre de cette période de maturité. » (Notice musée du Louvre)

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Charles-François Daubigny. L'Étang de Gylieu (1853)Charles-François Daubigny. L'Étang de Gylieu (1853). Huile sur toile, 62 × 100 cm, Art Museum, Cincinnati. Charles-François Daubigny (1817-1878) aimaient représenter les milieux aquatiques et il réalisa plusieurs tableaux de cet étang. Comme Théodore Rousseau, il cherche à saisir un paysage et la situation météorologique du moment sans souci excessif du détail. Le vaste ciel nuageux apporte une lumière qui se reflète à la surface de l'étang. Seuls deux hérons assurent une présence animale. Une telle œuvre était encore accueillie avec réticence par certains critiques d'art de l'époque qui n'y voyaient qu'une « ébauche ».

Jean-François Millet. L'Angélus (1857-59)Jean-François Millet. L'Angélus (1857-59). Huile sur toile, 55,5 × 66 cm, Musée d'Orsay, Paris. L'angélus est le moment de la prière dans les champs. A cette époque, trois fois par jour, sonnait l'angélus à la cloche de l'église. Les paysans arrêtaient brièvement le travail pour un instant de recueillement. Il s'agit ici de l'angélus de soir (vers 18h) : la lumière atténuée du soleil couchant provient de la gauche du tableau. « Isolé au premier plan, au milieu d'une plaine immense et déserte, le couple de paysans prend des allures monumentales, malgré les dimensions réduites de la toile. Leurs visages sont laissés dans l'ombre, tandis que la lumière souligne les gestes et les attitudes. La toile exprime ainsi un profond sentiment de recueillement et Millet dépasse l'anecdote pour tendre vers l'archétype. » (Notice musée d'Orsay)

Gustave Courbet. La falaise d'Etretat après l'orage (1870)Gustave Courbet. La falaise d'Etretat après l'orage (1870). Huile sur toile, 133 × 162 cm, musée d'Orsay, Paris. Gustave Courbet (1819-1877) n'appartient pas à proprement parler à l'École de Barbizon, mais son œuvre en subit l'influence. « Dans ce paysage pur, sans présence humaine ni anecdote, Courbet équilibre de façon magistrale sa composition entre la terre, la pierre, le ciel et la mer. Il parvient à rendre pratiquement palpables chacun des éléments naturels. La transparence de l'atmosphère, la lumière limpide d'après la pluie sont magnifiquement retranscrites. Le critique Castagnary, ami de Courbet et défenseur du réalisme, parle de "l'air libre et joyeux qui circule dans la toile et enveloppe les détails". On comprend alors l'admiration des futurs impressionnistes pour la lumière et la franchise de Courbet. » (Notice musée d'Orsay)

 

 

L'impressionnisme et le postimpressionnisme

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)
Huile sur toile, 73,5 × 92 cm, musée d'Orsay, Paris.

 

Lorsque la photographie se développe, à la fin du 19e siècle, l'objectif de réalité que s'assignait le peintre ne présente plus grand intérêt. La photographie, en se perfectionnant, pourra capter des images multiples et de qualité croissante. La peinture doit alors se tourner vers autre chose. Les peintres du courant impressionniste (Claude Monet, Camille Pissarro, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, etc.) cherchent à saisir l'instant présent, c'est-à-dire une réalité fugace qui aura déjà changé une heure plus tard. La lumière joue un rôle essentiel. Il s'agit de suggérer une impression ou une émotion captée par l'œil humain. Les touches de peinture sont visibles, l'utilisation du flou est systématique, le dessin est tout à fait secondaire ou même inexistant. Marcel Proust parle à propos des impressionnistes de leur aptitude à exprimer « l'essence de l'impression qu'une chose produit, essence qui reste impénétrable pour nous tant que le génie ne nous l'a pas dévoilée. ». L'art se situe dans le raffinement et la perspicacité du regard.

L'impressionnisme est donc d'abord une peinture réaliste. Ce n'est pas un hasard si le mouvement réaliste, et en particulier l'école de Barbizon, précède historiquement l'impressionnisme. L'une des rares femmes impressionnistes de la fin du 19e siècle, Berthe Morisot, a parfaitement exprimé ce souci de représentation du réel dans ce qu'il a d'éphémère : « Fixer quelque chose de ce qui passe, oh ! quelque chose, la moindre des choses, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d'arbre [...]. Cette ambition-là est encore démesurée. »

D'une manière générale, les impressionnistes peignent sur le motif. Cela signifie que leur travail ne comporte pas deux phases distinctes : des croquis préparatoires pris sur le vif, puis une composition en atelier. Les impressionnistes peignent directement leur tableau à partir de l'observation du sujet. Pour les paysagistes, le chevalet est donc posé à l'extérieur face au paysage à réaliser.

Le terme postimpressionnisme a été utilisé à partir du début du 20e siècle pour qualifier des évolutions diverses de l'impressionnisme. Il ne désigne pas un courant artistique homogène. Des peintres ayant connu une phase impressionniste entre 1860 et 1880 vont chercher à évoluer en utilisant un style de plus en plus personnel (Cézanne) ou une technique particulière (Seurat). Mais si le style évolue, l'essence de la révolution impressionniste n'est pas remise en cause : transposer sur la toile en toute liberté des émotions visuelles. Certains artistes comme Van Gogh ou Gauguin traversent plusieurs courants.

Claude Monet. Impression soleil levant (1872)Claude Monet. Impression soleil levant (1872). Huile sur toile, 49,5 × 65 cm, musée Marmottant, Paris. Le tableau représente le port du Havre dans la brume du matin. Mais Monet ne s'intéresse pas au motif concret. Il veut saisir l'instant présent, c'est-à-dire une réalité fugace qui aura déjà changé une heure plus tard. La lumière joue un rôle essentiel. Il s'agit de suggérer une impression ou une émotion captée par l'œil humain. Les touches de peinture sont visibles, l'utilisation du flou est systématique, le dessin n'existe pas : les barques sont réduites à quelques taches sombres.

Claude Monet. La rue Montorgueil (1878)Claude Monet. La rue Montorgueil (1878). Huile sur toile, 81 × 51 cm, Musée d'Orsay, Paris. Des festivités se déroulent dans les rues de Paris le 30 juin 1878 à l'occasion de l'ouverture de l'Exposition universelle. Les rues ont été décorées de drapeaux et une foule immense se presse. Monet a choisi un point de vue élevé, afin de souligner l'immense rassemblement. Il encadre son tableau très allongé par une multitude de drapeaux qui semblent sortir des façades. Il s'agit de saisir l'atmosphère festive.

 
Renoir. La Grenouillère (1869)

Auguste Renoir. La Grenouillère (1869). Huile sur toile, 66,5 × 81 cm, Nationalmuseum, Stockholm. Le bord de l'eau, qu'il s'agisse d'une rivière ou de la mer, constitue un thème récurrent de l'impressionnisme. Certains sites sont restés célèbres comme la Grenouillère, établissement de canotage, de bain, de bal et de restauration, installé sur l'île de la Chaussée à Croissy-sur-Seine. Monet et Renoir y ont travaillé régulièrement en 1869. Les deux peintres représentent l'animation et la lumière du lieu avec ses chatoiements sur le fleuve.

 
Alfred Sisley. Vue de Villeneuve-la-Garenne sur la Seine (1872)

Alfred Sisley. Vue de Villeneuve-la-Garenne sur la Seine (1872). Huile sur toile, 59 × 81 cm, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg. Alfred Sisley (1839-1899) a peint exclusivement des paysages, contrairement à la plupart des impressionnistes qui composaient de nombreuses scènes de genre. Ce tableau réalisé deux ans avant la première exposition impressionniste (1874) est une étude de la lumière qui inonde l'arrière-plan tandis qu'au premier plan la rive reste dans l'ombre. L'observateur a ainsi l'impression presque physique de se trouver à l'ombre des arbres et d'observer la lumière sur la Seine et les maisons de Villeneuve.

 
Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893). Huile sur toile, 73,5 × 92 cm, musée d'Orsay, Paris. En 1880, Sisley s'installe près de Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne, où il décèdera en 1899. Il réalise alors de très nombreux paysages lumineux et paisibles du village et de la campagne environnante. Spécialisé dans le paysage, Sisley s'intéresse davantage que les autres impressionnistes à l'espace. Ses compositions panoramiques aux couleurs vives et aux ciels immenses évoquent la quiétude de la campagne à la fin du 19e siècle.

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Seurat. Un dimanche après-midi sur l'île de la Grande Jatte (1884-86)

Georges Seurat. Un dimanche après-midi sur l'île de la Grande Jatte (1884-86). Huile sur toile, 208 × 308 cm, Art Institute, Chicago. Georges Seurat (1853-1891) met au point la technique pointilliste. Il s'agit de peindre en juxtaposant de très petites touches, voire même des points. A distance, seule l'harmonie de l'ensemble ressort. Le mélange des couleurs est optique : le spectateur, à distance, ne perçoit plus que les nuances ou les contrastes sans distinguer la couleur de chaque touche. La Grande Jatte fut une œuvre monumentale, très remarquée lors de sa présentation à la dernière exposition impressionniste de 1886. Si le thème est impressionniste, l'ambition de Seurat ne se limite pas à saisir un instant de spontanéité. Les personnages ont quelque chose de conventionnel, voire de hiératique comme le couple debout au premier plan ; il s'agit pour la peintre de donner un caractère intemporel à la composition.

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Paul Gauguin. La cueillette des fruits (1887)

Paul Gauguin. La cueillette des fruits (1887). Huile sur toile, 61 × 116 cm, Rijksmuseum Vincent van Gogh, Amsterdam. Paul Gauguin (1848-1903) participa aux cinq dernières expositions impressionnistes (1879 à 1886). En 1887, il fait un séjour de plusieurs mois en Martinique et peint plusieurs paysages. Il se démarque déjà de l'impressionnisme en utilisant des aplats de couleurs.

 
Van Gogh. Souvenir de Mauve (1889)

Vincent Van Gogh. Souvenir de Mauve (1889). Huile sur toile, 73 × 60 cm, Kröller-Müller Museum, Otterlo. L'œuvre de Vincent Van Gogh (1853-1890) s'étale seulement sur les dix dernières années de sa vie. Mais elle subira des évolutions radicales. Van Gogh a produit des œuvres d'inspiration nettement impressionnistes, comme ce paysage de pêcher en fleurs peint en souvenir du peintre néerlandais Anton Mauve (1838-1888), cousin par alliance de Van Gogh. Ce Souvenir de Mauve avait été envoyé par Van Gogh à la veuve de l'artiste.

 
Vincent Van Gogh. La nuit étoilée (1889)

Vincent Van Gogh. La nuit étoilée (1889). Huile sur toile, 73 × 92 cm, Museum of Modern Art, New York. A peu près à la même époque, Van Gogh peint des tableaux tourmentés aux couleurs éclatantes qui s'éloignent beaucoup du style impressionniste fait de petites touches. Ce ciel aux vagues océaniques révèle le trouble intérieur du peintre, qui le conduira à la folie. En cherchant à exprimer ses tourments par une utilisation très libre des formes et des couleurs, il se rapproche déjà de l'expressionnisme qui se développera en Allemagne au début du 20e siècle.

 
Paul Cézanne. Montagne Sainte-Victoire (1904)

Paul Cézanne. Montagne Sainte-Victoire (1904). Huile sur toile, 70 × 92 cm, Philadelphia Museum of Art. Après une période impressionniste, Cézanne (1839-1906) chercha à analyser la structure de la représentation picturale. Alors que les impressionnistes utilisent de petites touches, il recourt à des empâtements et fait ressortir les formes géométriques. L'évolution du peintre est saisissante dans les représentations successives de la Montagne Sainte-Victoire, située à l'est d'Aix-en-Provence. Dans le tableau de 1904, il est sur la voie du cubisme.

 

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Jean-François Millet Gustave Courbet Claude Monet Auguste Renoir
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(*) Cité par Nils Büttner, L'art des paysages, Éditions Citadelles et Mazenod.

Commentaires

  • ZOUHAIER ILAHI
    • 1. ZOUHAIER ILAHI Le 01/02/2021
    Merci infiniment pour votre synthèse éminente!
  • Godefroy Dang Nguyen
    • 2. Godefroy Dang Nguyen Le 10/07/2019
    Une synthèse magistrale!

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