Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)

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Patrick AULNAS

Si le paysage est un thème majeur des impressionnistes, Alfred Sisley fut le seul d’entre eux à s’y consacrer exclusivement. Cette spécialisation, confrontée à la diversité de la production de Monet, Renoir ou Pissarro, a sans doute conduit à considérer Sisley comme un peintre de second ordre. Ce jugement a été révisé après sa mort et il est considéré aujourd’hui comme le plus inspiré et le plus pur paysagiste de l’impressionnisme. Venu de réalisme, il devient l’un des peintres les plus représentatifs du mouvement impressionniste et surtout l’un des plus fidèles. Son style évolue, mais pour parfaire la dimension impressionniste.

 

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1893)
Huile sur toile, 73,5 × 92 cm, musée d'Orsay, Paris.
Image HD sur WIKIPÉDIA

 

Contexte historique

Le pont de Moret est l’œuvre d’un peintre accompli. Sisley a 54 ans en 1893 et il mourra 6 ans plus tard. Dès 1880, il s’est installé aux environs de Moret-sur-Loing, petite commune de Seine-et-Marne, située à la lisière de la forêt de Fontainebleau, sur les rives du Loing, un affluent de la Seine. Sa vie est difficile car ses toiles se vendent mal. Mais il persiste dans la peinture sur le motif prônée par les impressionnistes à leurs débuts, alors que beaucoup d’autres reviendront partiellement à la composition en atelier. Sisley parcourt les environs de Moret et réalise des séries d’œuvres des différents sites retenus. Le pont de Moret figure ainsi dans plusieurs tableaux (voir ci-après).

Lorsqu’il peint Le pont de Moret, Sisley habite depuis 1891 au 19 rue Montmartre à Moret-sur-Loing, près de l’église gothique du village qui sera aussi l’un de ses sujets. Une des caractéristiques de la peinture de Sisley est la parfaite connaissance des lieux représentés. Il les a longtemps fréquentés, beaucoup analysés. Ils ont provoqué chez lui une émotion particulière. Les choix de composition du peintre ont donc été longuement mûris. Il se sent en harmonie avec Moret-sur-Loing, comme il l’écrit au critique et collectionneur Adolphe Tavernier en 1892 :

« …devant cette nature si touffue, ces grands peupliers, cette eau du Loing si belle, si transparente, si changeante, c’est à Moret certainement que j’ai fait le plus de progrès dans mon art ; surtout depuis trois ans.
Aussi, quoiqu’il soit bien dans mes intentions d’agrandir mon champ d’études, je ne quitterai jamais complètement ce coin si pittoresque. » (*)

Les premiers propriétaires du tableau ne sont pas connus avec certitude. Le musée d’Orsay indique qu’il fut peut-être la propriété de François Depeaux (1853-1920), industriel français, collectionneur et mécène, qui avait une collection d’environ 600 tableaux, dont de nombreux impressionnistes. La collection Depeaux a été progressivement dispersée au début du 20e siècle. Le tableau passe alors dans la collection d’Eduardo Mollard jusqu’à 1972. A cette date, il est légué à l’établissement public français Réunion des musées nationaux qui l’attribue au musée du Louvre. En 1986, le tableau est affecté au musée d’Orsay.

 

Analyse du tableau

L’œuvre présentée ici a été peinte par un beau jour de printemps ou d’été, avec un ciel bleu et une forte luminosité. Le sujet est parfaitement connu du peintre qui l’a déjà représenté plusieurs fois au cours de la décennie 1880-1890, en variant les points de vue et surtout les conditions atmosphériques. Cette fois, il cherche à capter la lumière d’été, la transparence de l’air, le miroitement de l’eau.

Le traitement de l’espace est essentiel dans la peinture de Sisley. Il privilégie les vues panoramiques avec un vaste ciel et un horizon lointain. Sur de petites surfaces (dimensions des toiles presque toujours inférieures à un mètre), il conjugue amplitude, profondeur et transparence, avec un riche chromatisme plein de douceur. Dans Le pont de Moret, le ciel occupe toute la moitié supérieure de la toile, ce qui est fréquent chez Sisley et correspond à une évolution de la peinture de paysage à partir du 17e siècle. La ligne d’horizon, constituée par des reliefs naturels ou des éléments d’architecture se découpe ainsi sur le ciel, au centre du tableau, permettant à l’observateur d’apprécier spontanément la profondeur de la composition. Pour Le pont de Moret, Sisley choisit une vue rapprochée du village, privilégiant les constructions et ne laissant que peu de place à la végétation. Mais certaines autres vues du même pont traduisent le choix inverse (Le pont de Moret en été, 1888).

Le lien entre le tempérament de l’artiste et le sujet traité est particulièrement apparent chez Sisley. L’harmonie entre un être modeste et serein, mais conscient de ses dons, et le paysage plein de douceur de l’Île-de-France est à la base de la réussite exceptionnelle de ce paysagiste. L’artiste restitue sa perception du réel, c’est-à-dire la vie paisible d’un village implanté dans une nature accueillante. Une charrette et quelques personnes apparaissent sur le pont pour figurer l’activité humaine.

 

Alfred Sisley. Le pont de Moret détail

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

 

Le pont de Moret enjambe le Loing, qui constitue l’élément naturel principal de la composition. La surface de l’eau est traitée par des touches apparentes conjuguant de multiples nuances d’ocre de bleu et de vert. Il s’agit de la partie la plus typiquement impressionniste du tableau, que Sisley maîtrise alors remarquablement. Il ne se livre pas à des excès expérimentaux comme le fait parfois Claude Monet, mais place simplement la technique et le style impressionniste au service des émotions.

 

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

 

La poésie de Sisley se situe dans ce rapport entre la nature et l’art. Il aime les lieux qu’il représente et n’utilise le style qu’il a choisi que pour transmettre la perception qui est la sienne. Les excès purement formels n’appartiennent pas à l’univers du peintre.

Cette vue panoramique de Moret-sur-Loing par un jour radieux permet à Sisley de synthétiser tout son savoir-faire. Les bâtiments nettement dessinés se découpent sur le ciel comme dans les tableaux réalistes de ses débuts (Rue de village à Marlotte, 1866). Mais le peintre utilise désormais des empâtements :

 

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

 

Il en va de même pour le ciel et les petits nuages qui le parsèment :

 

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

Alfred Sisley. Le pont de Moret, détail

 

Cette approche à la fois réaliste et impressionniste est l’aboutissement d’une longue évolution de l’artiste qui est alors au sommet de son art.

Voici quelques phrases de Sisley, rapportées par  Adolphe Tavernier en 1892, qui s’appliquent parfaitement à un tableau comme Le pont de Moret :

« Après le sujet, une des qualités les plus intéressantes du paysage est le mouvement, la vie.
C’est aussi une des plus difficiles à réaliser. […] C’est l’émotion de l’exécutant qui donne la vie et c’est cette émotion qui éveille celle du spectateur. […]
Il faut que les objets soient rendus avec leur texture propre, il faut encore et surtout qu’ils soient enveloppés de lumière, comme ils le sont dans la nature. Voilà le progrès à faire. C’est le ciel qui doit être le moyen (le ciel ne peut pas n’être qu’un fond). Il contribue au contraire non seulement à donner de la profondeur par ses plans (car le ciel a des plans comme les terrains), il donne aussi le mouvement par sa forme, par son arrangement en rapport avec l’effet ou la composition du tableau.
En est-il de plus magnifique et de plus mouvementé que celui qui se reproduit fréquemment en été, je veux parler du ciel bleu avec les beaux nuages blancs baladeurs. Quel mouvement, quelle allure, n’est-ce pas ? » (*)

 

Autres compositions de Sisley sur le pont de Moret

Alfred Sisley. Vue de Moret-sur-Loing (v. 1880).

Alfred Sisley. Vue de Moret-sur-Loing (v. 1880). Huile sur toile, 30 × 40 cm, collection particulière. Cette vue du Pont de Moret, l’une des premières peintes par Sisley, n’a pas encore la plénitude des peintures plus tardives. La composition reste schématique mais comporte déjà la mise en valeur de l’espace et de la lumière.

Alfred Sisley. Le pont de Moret, effet d’orage (1887-88)

Alfred Sisley. Le pont de Moret, effet d’orage (1887-88). Huile sur toile, 51 × 63 cm, musée d’art moderne André Malraux (MuMa), Le Havre. Sisley réalise des variations sur le même motif, comme le faisait Monet à la même époque. Il accentue ici fortement le style impressionniste pour restituer l’ambiance orageuse.

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Alfred Sisley. Le pont de Moret en été (1888)

Alfred Sisley. Le pont de Moret en été (1888). Huile sur toile, collection particulière. Variation estivale, dans laquelle le peintre déploie tout son génie de coloriste et son sens de l’espace

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1888)

Alfred Sisley. Le pont de Moret (1888). Huile sur toile, 65 × 92 cm, Minneapolis Institute of Art. « L’architecture est relativement rare dans le travail de Sisley. Il était principalement un peintre de paysages fluviaux et de paysages naturels. Le Pont de Moret illustre le don de Sisley pour la structure de la composition avec les différents éléments architecturaux maintenus en parfait équilibre. L’atmosphère de puissance et de calme provient aussi des touches entrelacées magnifiquement articulées sur toute la surface de la toile, et de l'équilibre des tons chauds et froids. » (Commentaire Minneapolis Institute of Art)

 

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(*) Dossier de presse de l’exposition Alfred Sisley, poète de l’impressionnisme, Lyon, 2002-2003

 

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