Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage (v. 10 avant JC)

 
 

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Patrick AULNAS

Dans l'Antiquité, le paysage est utilisé comme décor mural dans les tombeaux, les villas ou les palais. La villa d’Agrippa à Boscotrecase, près de Naples, était décorée de fresques paysagères en état de conservation satisfaisant, qui ont été transférées au musée archéologique national de Naples. En voici un exemple.

 

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage (v. 10 après JC)

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage (v. 10 après JC)
Fresque salle rouge, mur nord, 100 × 130 cm, musée archéologique national, Naples.

 

Contexte historique : la peinture romaine antique

Il est courant de rattacher la peinture romaine antique à l’un des quatre styles de la peinture pompéienne qui se développa sur une période de trois siècles (2e siècle avant JC au 1er siècle après JC). On utilise le terme peinture pompéienne car l’éruption du Vésuve en 79 a paradoxalement permis la conservation de peintures murales ornant les bâtiments enfouis sous les cendres à Pompéi, Herculanum, Stabies et Oplontis. L'historien de l’art allemand August Mau (1840-1909), qui s'était spécialisé dans l'étude des fresques pompéiennes, proposa une classification en quatre styles successifs, qui reste aujourd'hui encore largement utilisée.

Les fresques de la villa d’Agrippa appartiennent au troisième style, qui domine de 20 avant JC à 50 après JC environ. En réaction au style précédent, dans lequel les fresques recouvraient le mur entier, les artistes et leurs commanditaires ont recherché plus de simplicité avec ce troisième style. Les murs de pierre sont couverts de panneaux décoratifs aux couleurs vives (rouge dans le cas présent) que viennent agrémenter des tableautins. Le paysage étudié ici est donc un de ces petits tableaux réalisé avec la technique de la fresque.

 

Villa d'Agrippa à Boscotrecase (v. 11 av JC)

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, salle rouge, mur nord
Panneaux conservés au musée archéologique national, Naples.

 

La villa d’Agrippa à Boscotrecase

La villa d’Agrippa ou villa impériale est l’une des villas les plus somptueuses de Boscotrecase. Elle a été construite par Marcus Vipsanius Agrippa (63-12 avant JC), général et homme politique, qui devint le gendre de l’empereur Auguste en épousant sa fille Giulia. La villa a été construite à partir de 20 avant JC environ et a été léguée à Agrippa Postumus (12 avant JC-14 après JC), fils posthume de Marcus Vipsanius Agrippa.

La villa d’Agrippa a été découverte accidentellement en 1903 au cours de la construction de la ligne de chemin de fer qui relie Naples au Vésuve. Des fresques en assez bon état étaient présentes dans quatre salles et sont désormais conservées au Metropolitan Museum of Art de New York et au musée archéologique national de Naples. La villa, très vaste, comportait de nombreux cubicula (chambre, cubiculum au singulier) qui ont été numérotés par les archéologues. La fresque analysée ici se trouvait dans le cubiculum 16, connu sous l’appellation chambre rouge ou salle rouge. Chaque mur comportait au centre une scène paysagère.

 

Analyse de l’œuvre

Au premier regard, cette scène renvoie au locus amoenus, le lieu idyllique chanté par les poètes antiques. Il s’agit d’un univers paisible, un âge d’or situé dans le passé, fait d’harmonie entre les hommes, les dieux et la nature. L’artiste ne cherche pas à représenter la nature avec réalisme mais à en proposer une image poétique et idéale. La composition possède donc un caractère irréel, marqué par l’impression d’apesanteur qui se dégage des postures des personnages. Ceux-ci semblent flotter au milieu d’un ensemble architectural qui n’a lui-même aucune vocation utilitaire. Cependant, l’arrière-plan laisse apparaître des murailles qui évoquent la ville. Le fresquiste a donc dissocié le monde rural idyllique, symbolisé par le bloc rocheux du premier plan et ses figures, et le monde urbain lointain qui n’a probablement pas dans son esprit le même charme.

 

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

 

La scène principale, ci-dessus, est un sanctuaire composé autour d’un arbre et d’une colonne ionique surmontée d’un vase. Deux boucliers sont suspendus sur le fût de la colonne. Deux colonnes plus petites ont été placées à gauche de la grande colonne ionique. Les figures sont de deux sortes : les hommes et les dieux. Les humains sont représentés par un berger tenant un bâton, sur la gauche, et par un groupe de trois personnes, sur la droite. Les dieux apparaissent sous forme de deux statues placées sur des socles de pierre : une déesse au pied de la grande colonne et un dieu à l’extrême droite.

 

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

 

La déesse assise au pied de la colonne est coiffée d’une couronne et tient dans sa main gauche une lance ou peut-être un sceptre. Les hypothèses des spécialistes concernant son identification sont nombreuses : Diane-Artémis, Cybèle, Perséphone, Isis, Tyché, Déméter. A l’extrême-droite, sur un socle élevé et sous un arbre étique, apparaît le dieu Priape, divinité de la fécondité et des plaisirs charnels, reconnaissable à son phallus démesuré. Il existe une relation de caractère érotique entre Priape et la déesse puisqu’ils sont orientés l’un vers l’autre.

 

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

 

A gauche de Priape deux femmes et un enfant franchissent un pont traversant une rivière pour se diriger vers la statue de la déesse, probablement pour des actes de dévotion. A gauche de la colonne ionique, un berger et son troupeau symbolisent le monde rural. La posture du berger indique clairement qu’il se repose et ne s’intéresse pas à la religion, bien qu’il se trouve dans un sanctuaire. Il pourrait figurer le poète élégiaque de l’Antiquité qui se moquait parfois des croyances religieuses.

 

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

Villa d’Agrippa à Boscotrecase, paysage, détail

 

Les spécialistes de l’art romain antique cherchent à reconstituer la signification exacte de chaque détail du paysage pour l’artiste et son commanditaire. Mais, sans entrer dans ces considérations, il suffit ici de comprendre que ce paysage antique conjugue la perception idyllique de la nature et le sacré, d’où sa dénomination de paysage sacro-idyllique. La philosophie antique considérait la nature, le cosmos, comme une perfection dans laquelle l’homme devait trouver sa place. Alors que nous avons aujourd’hui une conception dynamique et violente de la nature (big bang, catastrophes naturelles, fission nucléaire, etc.), les grecs et les romains de l’Antiquité la percevaient comme un modèle d’équilibre et de sérénité créé par les dieux. Il n’est donc pas surprenant que les hommes et les dieux puissent se retrouver en parfaite harmonie dans un paysage qui devait être perçu comme beau et juste par les contemporains.

Le troisième style pompéien, comme les précédents, produisait de la peinture murale décorative. Mais il est clair que ce type de fresque sacro-idyllique avait, comme indiqué ci-dessus, une dimension sémantique. Par le format, par la position sur la paroi rappelant l’accrochage des tableaux actuels et surtout par le contenu artistique, ces fresques apparaissent comme des préfigurations des compositions picturales paysagères bien plus tardives de l’art occidental.

 

Le paysage antique en peinture

La peinture de paysage avait une vocation décorative dans l’Antiquité. Elle était en quelque sorte l’équivalent de nos tapisseries murales en papier à motifs végétaux. Mais seule une infime partie de la population de l’époque, les aristocrates, pouvait s’offrir de tels décors, qui étaient peints sur les murs des palais ou des tombeaux. Ces décors muraux comportent des chefs-d’œuvre comme toute création humaine. En voici trois exemples, concernant l’Égypte, la Grèce et Rome.

Le jardin de Nébamon (v. -1400)

Le jardin de Nébamon (v. -1350). Peinture murale, 64 × 72 cm, British Museum, Londres. Nébamon était scribe du Trésor égyptien sous les règnes de Thoutmosis IV (v. -1400-1390) et Amenhotep III (v. -1390-1352). Il ne subsiste des peintures de sa tombe, située à Cheikh Abd el-Gournah, que des fragments conservés au British Museum. Le peintre inconnu avait un talent exceptionnel pour créer une composition complexe selon les codes de représentation en vigueur. Cette peinture représente le jardin du scribe, dans lequel se trouve un bassin avec des poissons. Les différentes variétés d'arbres sont juxtaposées verticalement ou horizontalement et il possible discerner des sycomores, des palmiers-dattiers, des figuiers et des mandragores. Le bassin entouré de fleurs est ajouté au centre, avec des carpes, des canards et des oies. La notion de perspective n'effleure pas l'esprit du peintre, mais il nous transmet encore aujourd'hui son message : un jardin paradisiaque, dont Nébamon était sans doute très fier. Le talent de coloriste de l'artiste et son aptitude à la composition ont traversé les millénaires.

Tombe des palmettes, plafond (début 3e s)

Tombe des palmettes, plafond (début 3e s. avant JC). Fresque. Sur le territoire de la petite ville de Lefkadia en Macédoine, située à proximité d'Édessa, se trouve le site archéologique de l'antique Miéza où enseigna Aristote. La tombe des Palmettes a été découverte par hasard en 1971 par des trafiquants d'antiquités et a fait depuis l'objet d'une fouille systématique par Katerina Rhômiopoulou. Des peintures murales réalisées en utilisant la technique de la fresque couvrent le plafond et les parois. Le plafond de l'antichambre est décoré « de six palmettes, ou anthémia, alternant avec de grosses fleurs qui rappellent des nénuphars aux immenses vrilles. » (Katerina Rhômiopoulou)

Villa Livia, jardin (v. 30 av JC)

Villa de Livia, jardin (v. 30 avant JC). Fresque, Museo Nazionale Romano, Rome. Livia Drusilla (58 av JC-29 ap JC) est l'épouse de l'empereur Auguste (63 av JC-14 ap JC). Dans une grotte située sous la villa, le jardin idéal de l'Antiquité romaine a été peint sur tout le pourtour. Des arbres, des oiseaux, des buissons et des fleurs particulièrement réalistes parsèment une paroi ne possédant aucune ouverture sur l'extérieur.

 

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