Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède (1929)

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Patrick AULNAS

Rattachée au mouvement Art-déco dans l’entre-deux-guerres, Tamara de Lempicka connut un succès considérable à cette époque avec des compositions d’une facture classique axées principalement sur l’univers féminin.

 

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède (1929)

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède (1929)
Huile sur toile, 100 × 65 cm, collection particulière.

 

Contexte historique

La première guerre mondiale (1914-1918) avait conduit les femmes à une intégration plus importante dans la vie professionnelle car les hommes étaient pour la plupart mobilisés. Ce fut la première étape d’une évolution qui est encore en cours au 21e siècle : le recul de la domination masculine et corrélativement de la position sociale subordonnée des femmes. Dans les décennies 1920 et 1930, la condition féminine évolua assez peu sauf dans certaines strates supérieures des sociétés occidentales, en particulier le milieu artistique. La vie et l’œuvre de Tamara de Lempicka constituent des témoignages saisissants des aspirations des femmes cultivées de cette époque. Mais pour la plupart des femmes, les chaînes sont encore lourdes à porter. L’esclave cherche à s’en libérer.

Le succès de Tamara de Lempicka est postérieur aux mouvements picturaux du début du 20e siècle : fauvisme, cubisme, expressionnisme. Il est concomitant d’autres innovations : art abstrait, surréalisme. Cette artiste ne se rattache à aucun de ces courants, mais utilise volontiers pour ses arrière-plans des associations de formes de type cubiste.

Le tableau fut acheté en 1929 par le docteur Pierre Boucard, collectionneur des œuvres de Tamara de Lempicka. Il fut revendu à un particulier à New-York en 1987 par Sotheby’s pour 510 000 dollars.

 

Le mythe d’Andromède et La Petite Sirène

Le tableau est intitulé L’esclave mais parfois sous-titré Andromède. Dans la mythologie grecque, Andromède, princesse éthiopienne réputée pour sa beauté, est enchainée nue sur un rocher près du rivage afin d’apaiser le courroux du dieu de la mer qui provoque des inondations. Elle doit être dévorée par un monstre marin. Mais Persée la délivre et l’épouse.

La position du personnage féminin de Lempicka correspond bien à celle d’une femme enchaînée sur un rocher, d’où la relation avec le mythe d’Andromède. Il s’agit également d’attendre la délivrance, la fin de la subordination à l’homme.

La position du modèle est proche de celle de La Petite Sirène de Copenhague, sculptée en 1913 par Edvard Eriksen en hommage au célèbre personnage du conte du romancier danois Hans Christian Andersen. Une quinzaine d’années séparant les deux créations, La Petite Sirène a-t-elle influencé Tamara de Lempicka ?

 

La Petite Sirène de Copenhague

La Petite Sirène de Copenhague

 

Analyse de l’œuvre

Toute la vie de Tamara de Lempicka témoigne d’une volonté d’indépendance. Elle fuit la révolution russe de 1917 pour l’Europe de l’ouest et parvient, à force de travail, à devenir en moins de dix ans une artiste célèbre. Elle divorce de son premier mari en 1928 et peint L’Esclave en 1929. N’imaginons pas une relation de causalité entre les deux évènements, mais remarquons à quel point cette femme voulait décider seule de son existence. Seconde observation liminaire : Tamara de Lempicka était réputée bisexuelle et aurait entretenu, tout en étant mariée, des relations avec plusieurs femmes célèbres, dont Colette (1873-1954). Il fallait une liberté peu commune à cette époque pour oser.

Il est donc assez logique d’interpréter L’esclave comme la représentation du statut traditionnel de la femme. Les chaînes symbolisent la domination masculine, la captation par les hommes de la totalité du pouvoir politique et économique, la subordination des femmes. Le regard vers les lointains évoque un autre horizon, une aspiration à la liberté. La composition est fidèle au modèle dominant des œuvres de l’artiste à cette époque, avec un plan rapproché sur la figure, qui déborde de cadre, caractéristique de la peinture baroque. Le fond, assemblage de formes géométriques, tout en nuances de gris, est inspiré du cubisme. Au début des années 1920, Tamara de Lempicka avait eu pour professeur André Lhote (1885-1962), l’un des représentants du mouvement cubiste. Le contraste entre l’arrière-plan formellement novateur et le personnage, traité selon la technique la plus classique du portrait (dessin apparent, surface parfaitement lissée, ombrages appuyés), constitue une caractéristique majeure des tableaux de l’artiste. La représentation de la femme met l’accent sur la sensualité, constante de la peinture de femmes enchaînées dans l’art occidental, avec Andromède pour modèle presque unique.

 

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède, détail

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède, détail

 

Le rouge à lèvre n’a pas été oublié puisqu’il est question d’une femme contemporaine qui nous questionne sur son asservissement. Le regard triste et presque implorant évoque l’attente de la liberté. Les mains, au premier plan, tendues vers le spectateur, constituent une invite : « retirez mes chaînes ».

 

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède, détail

Tamara de Lempicka. L’esclave ou Andromède, détail

 

Andromède en peinture : quelques exemples

Les peintres ont surtout traité la scène au cours de laquelle Persée vient délivrer Andromède des griffes du monstre marin. Mouvement, dramaturgie, couleurs de la mer, du ciel, de la princesse et du monstre, tout concourt à faire de cet épisode un thème pictural (et même sculptural) apprécié.

 

Piero di Cosimo. Persée délivrant Andromède (v. 1510)

Piero di Cosimo. Persée délivrant Andromède (v. 1510). Huile sur bois, 70 × 123 cm, Galerie des Offices, Florence. Le peintre place la scène dans un paysage fantastique et l’anime avec une foule nombreuse et agitée sur le rivage.

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Titien. Persée et Andromède (1554-56)

Titien. Persée et Andromède (1554-56). Huile sur toile, 175 × 190 cm, The Wallace Collection, Londres. Persée vole dans les airs pour tuer le monstre marin et délivrer Andromède, enchaînée à une falaise au bord de la mer.

Pierre Paul Rubens. Andromède (1638-39)

Pierre Paul Rubens. Andromède (1638-39). Huile sur toile, 189 × 94 cm, Gemäldegalerie, Staatliche Museen, Berlin. Rubens met l’accent sur la sensualité, qui exigeait à l’époque un modèle mythologique. Les déesses et héroïnes grecques avaient le privilège (artistique) de pouvoir vivre nues.

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TThéodore Chassériau. Andromède attachée au rocher par les Néréides (1840)

Théodore Chassériau. Andromède attachée au rocher par les Néréides (1840). Huile sur toile, 92 × 74 cm, musée du Louvre, Paris. Dans la mythologie grecque, les Néréides sont des nymphes marines, filles de Nérée et de Doris. Elles s’emploient ici à attacher la pauvre Andromède au rocher. Le visage apeuré de la princesse caractérise le tableau. Chassériau met en évidence le supplice et s’intéresse moins à la sensualité.

Frederic Leighton. Persée et Andromède (1891)

Frederic Leighton. Persée et Andromède (1891). Huile sur toile, 235 × 129 cm, Walker Art Gallery, Liverpool. Andromède est en position délicate, capturée par le dragon. Mais Persée arrive dans les airs sur son cheval ailé et l’espoir est permis… Leighton a voulu jouer sur le contraste visuel entre la peau claire d’Andromède et le monstre noir ; par la même occasion, il accentue l’aspect dramatique de la scène.

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