Pierre Bonnard. Le Cannet (v. 1930)

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Patrick AULNAS

Peintre de l’intimité et génie de la couleur, Pierre Bonnard (1867-1947) est aussi un paysagiste. Influencé dans sa jeunesse par l’impressionnisme, il conserve la dilution des formes mais se libère de la contrainte réaliste en s’affranchissant du rôle descriptif de la couleur.

 

Pierre Bonnard. Le Cannet (v. 1930)

Pierre Bonnard. Le Cannet (v. 1930)
Huile sur toile, 54 × 64,8 cm, Fondation Bemberg, Toulouse.
Image HD sur WIKIMEDIA

 

Contexte historique

Ce tableau se place dans la dernière partie de la carrière de Pierre Bonnard. Il a plus de soixante ans et a connu toutes les évolutions artistiques depuis l’impressionnisme. En 1926, il avait a acquis au Cannet, à proximité de Cannes, la villa Le Bosquet. Il y fait de longs séjours avec Marthe, son épouse, sans pour autant abandonner Paris. Originaire de la région parisienne, il est fasciné par la lumière méditerranéenne, comme beaucoup d’artistes de l’époque. Il peindra donc souvent les paysages de la région ou le jardin entourant la villa pour magnifier, au-delà du réel, les couleurs locales.

Le Cannet appartient à ces peintures de la fin du 19e siècle et de la première moitié du 20e, très influencées par l’impressionnisme. Il s’agit d’évoquer par l’agencement des couleurs et des formes une perception singulière de la nature. Les différents courants ultérieurs dérivés, comme le nabisme ou le fauvisme, jouent aussi un rôle, mais Bonnard conserve toujours son originalité par son refus de se laisser enfermer dans un mouvement pictural.

 

Analyse de l’œuvre

D’emblée, Le Cannet apparaît comme une brillante interprétation artistique de la luminosité méditerranéenne. L’artiste utilise un principe connu depuis des siècles : la juxtaposition de couleurs complémentaires, surtout le bleu, le vert et l’orange. La composition reste très classique et s’étage sur plusieurs plans horizontaux comme tous les paysages depuis la Renaissance. Au premier plan orange (la terre, l’herbe jaunie) succèdent les massifs arbustifs proches, bleus et verts, puis le paysage lointain, évoqué mais indistinct. La ligne d’horizon, placée très haut, rappelle les paysages-monde du 16e siècle, par exemple Le repos pendant la fuite en Égypte de Joachim Patinir. Les éléments de verticalité (le feuillage vert et jaune à gauche, l’arbre à droite) encadrent le paysage, là encore d’une manière tout à fait traditionnelle.

L’originalité de l’œuvre provient de deux facteurs : la liberté chromatique et le refus de la convention perspectiviste. Les couleurs n’ont pas été choisies pour représenter mais pour susciter une émotion. Une photographie de ce paysage serait donc très éloignée du tableau de Bonnard. Plus objective, elle pourrait comporter des choix techniques d’éclairage et de cadrage mais n’accèderait pas à la subjectivité totale du paysage peint. Bonnard est considéré comme l’un des plus grands coloristes de son époque et Le Cannet en fournit un exemple particulièrement puissant.

L’autre originalité du tableau résulte de la volonté d’aplatir le paysage en refusant toute profondeur. Une ligne d’horizon est perceptible mais elle n’a pas pour fonction de représenter de façon convaincante ce que le système optique humain peut apercevoir dans les extrêmes lointains lui étant accessibles. Il s’agit pour le peintre de concéder une caractéristique paysagère tout en conservant sa liberté formelle. Ce paysage n’est d’ailleurs pas ouvert sur les espaces infinis mais traité comme un coin de jardin. Bonnard reste dans le domaine du paysage un peintre de l’intimité.

 

Pierre Bonnard. Le Cannet, détail (v. 1930)

Pierre Bonnard. Le Cannet, détail (v. 1930)

 

 

Pierre Bonnard. Le Cannet, détail (v. 1930)

Pierre Bonnard. Le Cannet, détail (v. 1930)

 

En se rapprochant de la toile, la technique impressionniste apparaît nettement. De multiples touches de couleurs diverses sont juxtaposées ou mélangées directement sur la toile pour produire un effet optique de spontanéité. Le peintre fixe rapidement sur le support son ressenti de la réalité observée et c’est ce ressenti qui est en harmonie ou non avec la sensibilité du spectateur. Il est donc possible de voir le paysage méditerranéen comme Bonnard ou de le voir autrement. Il est possible d’apprécier la vision de l’artiste ou de s’en sentir éloigné comme un lecteur se sent étranger aux pages d’un grand écrivain ne correspondant pas à son approche du monde.

Cette totale subjectivité artistique s’oppose aux tentatives d’objectivation normative des siècles antérieurs. Les académies établissaient, jusqu’au 19e siècle, des critères de l’œuvre d’art permettant d’éliminer du champ artistique les productions non conformes. Le 20e siècle ira loin dans le sens inverse à partir de provocations un peu infantiles. La plus connue est celle de Marcel Duchamp faisant passer un urinoir pour une œuvre d’art (Fontaine, 1917, Tate Modern, Londres). « Le bon goût, c’est mon goût » dira plus tard Salvador Dali. Il est assez piquant de constater qu’au 21e siècle, l’objectivation si décriée revient d’une manière beaucoup plus prosaïque. Le seul critère de validation de l’art dit contemporain est en effet sa réussite sur le marché de l’art. La loi de l’offre et de la demande se substitue aux anciennes normes académiques. Une œuvre vendue très cher est présumée posséder les caractéristiques d’une œuvre d’art. La spéculation joue à plein. Qu’importe d’ailleurs ! Seule l’Histoire dira ce qui reste.

Pierre Bonnard est resté, c’est une certitude.

 

Quelques autres paysages de Pierre Bonnard

Pierre Bonnard. Scène de rue (v. 1894)

Pierre Bonnard. Scène de rue (v. 1894). Huile sur bois, 43 × 35 cm, Fondation Bemberg, Toulouse. L’influence nabi a déjà disparu et Bonnard crée un paysage totalement impressionniste. Les promeneurs d’un parc urbain, uniformément noirs, contrastent avec les petits chiens jouant au premier plan. Les humains sont juxtaposés et ne communiquent pas. Même dans les paysages, Bonnard apparaît comme un peintre de l’incommunicabilité.

Pierre Bonnard. Ciel d’été (1915)

Pierre Bonnard. Ciel d’été (1915). Huile sur toile, 57 × 74 cm, collection particulière. En 1912, Pierre Bonnard fait l’acquisition de cette maison (Ma Roulotte), située au hameau Ma Campagne, à Vernon en Normandie. Il avait déjà loué cette maison l’année précédente et avait été séduit par la vue sur la Seine et la proximité de Giverny, à cinq kilomètres, où résidait son ami Claude Monet.

Pierre Bonnard. Paysage du Cannet (1923)

Pierre Bonnard. Paysage du Cannet (1923). Huile sur toile, 47,3 × 39,4 cm, Fondation Bemberg, Toulouse. Les paysages de Bonnard révèlent l’un des plus grands coloristes du 20e siècle. Ce paysage, avec sa ligne d’horizon placée très haut reprend la composition des paysages-monde des flamands du début du 16e siècle (par exemple Joachim Patinir, Paysage avec saint Jérôme, 1515-19). Les multiples détails du paysage se combinent avec la perspective infinie se déployant à l’horizon. Mais ici, la couleur n’est plus descriptive ; elle traduit la vision singulière de l’artiste.

Pierre Bonnard. Escaliers dans le jardin du Cannet (1942-44)

Pierre Bonnard. Escaliers dans le jardin du Cannet (1942-44). Huile sur toile, 60 × 73 cm, National Gallery of Art, Washington. L’influence de Claude Monet est très apparente dans cette composition qui est une ode à la couleur et à la lumière. Le paysage devient un prétexte permettant de placer sur la toile des motifs et des couleurs qui se rapprochent de la non figuration.

 

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