Nicolas Poussin. L'Empire de Flore (1631)

 
 

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Patrick AULNAS

Nicolas Poussin a 37 ans lorsqu’il peint ce tableau à Rome. Il est dans la capitale italienne depuis sept ans et, après des années difficiles, il accède à la reconnaissance officielle. L’Empire de Flore utilise la mythologie pour signifier davantage. C’est ainsi que ce grand artiste comprenait l’art de peindre.

 

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore (1631)

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore (1631)
Huile sur toile, 132 × 182 cm, Gemäldegalerie, Dresde.
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Contexte historique

Poussin a connu la misère dans la décennie 1620 à Rome, mais lorsqu’il crée L’Empire de Flore il vient d’épouser Anne-Marie Dughet et a déjà conquis une solide réputation dans le milieu artistique romain. Le tableau, très poétique, peut être considéré comme particulièrement représentatif de l’évolution du peintre vers la Grande maniera, le Grand style, qui associe une composition étudiée rationnellement et une approche idéalisée de notre monde (qui comprend celui des dieux que nous avons créés).

Selon le site de l’Institut national d’histoire de l’art, le tableau fut peint en 1631 pour Fabrizio Valguarnera (?-1632), un marchand d’art sicilien, et payé 90 ou 100 écus romains, puis revendu aux enchères en 1632. Il se trouvait vraisemblablement en France avant 1686, date à laquelle Gérard Audran (1640-1703) réalise une gravure de l’œuvre. Le tableau fut acquis à Paris en 1715 pour 6000 livres par le baron Raymond Le Plat (v. 1664-1742) pour Auguste II le Fort, roi de Pologne (1670-1733), électeur de Saxe.

 

La déesse Flora

Flore (Flora en latin, Chloris en Grèce) est une divinité de l’Antiquité qui favorisait les récoltes en faisant pousser les céréales et fleurir les arbres fruitiers. Elle fut par la suite associée aux fleurs et à la floraison. Épouse de Zéphyr, le dieu des vents d’ouest, elle bénéficiait par son intermédiaire d'un printemps éternel. Elle est toujours représentée, comme sur le tableau de Poussin, couronnée de fleurs. Cinq jours de fêtes, les Floralies, lui furent dédiés à Rome à partir de 173 avant J.-C., à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai.

Ces caractéristiques (fleurs, fête) en font une figure appréciée des peintres qui fut associée dans l’iconographie au retour du printemps, à la prodigalité de la nature, mais aussi à son caractère évanescent. Les fleurs se fanent très vite.  

 

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Flore

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Flore

 

Analyse de l’œuvre

La scène se situe dans un univers appartenant à la fois à l’empyrée et au monde des humains. Aussi, pour ce qui est du cadre, l’artiste est-il resté dans l’évocation : un vague paysage rocheux à gauche, une ébauche de pergola derrière le groupe des figures, un ciel nuageux en arrière-plan. Pour la scène centrale, Poussin a imaginé la métamorphose en fleurs de divers personnages de la mythologie antique. Il faut d’abord nommer ces personnages.

 

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, les dieux

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, les dieux

 

Au centre, Flore porte sur la tête une couronne de fleurs et disperse des pétales de la main droite. A gauche, Ajax, un héros invulnérable de la guerre de Troie, se suicide avec son épée, ce qui est conforme à la légende. Du sang qui s’écoule de sa blessure jaillit un œillet. Narcisse, réputé pour sa beauté, se mire dans l’eau d’une jarre. Des fleurs apparaissent. En face de lui se tient la nymphe Écho, amoureuse de Narcisse. Derrière Narcisse, Clythie, une nymphe aquatique, tient dans sa main droite un panier de tournesols. Elle regarde vers le char solaire d’Apollon, dieu de la musique et des arts, réputé pour sa beauté et grand séducteur de nymphes. Éblouie, Clythie protège ses yeux avec sa main.

 

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Ajax, Narcisse, Echo et Clythie

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Ajax, Narcisse, Echo et Clythie

 

A l’extrême-droite, Crocus et Smilax sont enlacés. Crocus est un mortel qui fut transformé par les dieux en fleur de safran (la fleur de safran s’appelle aujourd’hui le crocus). Il porte sur la tête une couronne de crocus. Smilax, l’amante de Crocus fut, elle, transformée en liseron, d’où les formes serpentines que lui donne Poussin. Elle offre une fleur de liseron à Crocus.

Au-dessus de Crocus et Smilax, apparaît, avec une cape bleue, Adonis, un mortel réputé pour sa beauté. De sa blessure à la cuisse jaillissent des anémones. A ses côtés, Hyacinthe, un jeune homme également d’une grande beauté, dont Apollon est amoureux, aperçoit une guirlande de jacinthes sortant de sa blessure à la tête.

 

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Crocus, Smilax, Adonis et Hyacinthe

Nicolas Poussin. L'Empire de Flore, détail, Crocus, Smilax, Adonis et Hyacinthe

 

Le peintre utilise donc la mythologie antique pour évoquer la fugacité de la vie et son renouvellement constant dans le grand cycle de la nature. La composition, comportant un grand nombre de personnages enchevêtrés mais parfaitement dissociables, suppose une remarquable capacité conceptuelle préalable puis un haut niveau technique d’exécution. Par la complexité de la composition, la netteté du dessin, la légèreté des couleurs (qui ne doivent pas primer, selon la doxa classique), la grâce extrême des mouvements proches du maniérisme, L’empire de Flore constitue le premier exemple dans la carrière de Poussin d’introduction dans la peinture mythologique d’une réflexion philosophique. La pensée et l’émotion émanent alors de la beauté classique parfaitement maîtrisée.

L’empire de Flore étant aussi le nôtre, cette œuvre magistrale se situe à mi-chemin entre peinture mythologique et peinture allégorique. D’autres tableaux de la même envergure suivront rapidement : La danse de la vie humaine (1633-34), Les bergers d’Arcadie (1638-40)

 

Autres compositions sur le même thème

Depuis l’Antiquité, Flore a inspiré les artistes de diverses façons : scènes mythologiques, allégories, mais aussi, au 18e siècle, portraits de dames en Flore.

 

Flore (1e siècle)Inconnu. Flore (1e siècle). Fresque, 38 × 32 cm, musée archéologique de Naples. Flore cueille des fleurs qu’elle met dans un vase. La fresque provient de la Villa Ariana à Stabies, à proximité de Pompéi. L’artiste a choisi les couleurs du printemps, le vert et le jaune, afin d’éclairer une représentation d’une déesse qui n’a aucune dimension perspectiviste.

 

Botticelli. Le printemps (v. 1482)Sandro Botticelli. Le printemps (v. 1482). Tempera sur bois, 203 × 314 cm, Galerie des Offices, Florence. Cette composition célébrissime est une allégorie du printemps (c’est-à-dire de la renaissance de la nature), mais aussi, par ses personnages ambigus (chrétiens et antiques à la fois), un dépassement de la peinture religieuse soumise au dogme chrétien. Le néo-platonisme des Médicis a permis ce chef-d’œuvre qui n’aurait pas vu le jour, à cette époque d’inquisition catholique, sans l’appui des grands patriciens florentins. Vénus (ou la Vierge) est au centre. Flore apparaît à se droite toute vêtue de fleurs.

 

Titien. Flora (1515-20)Titien. Flora (1515-20). Huile sur toile, 80 × 64 cm, Galerie des Offices, Florence. En traitant un sujet mythologique sous forme de portrait, Titien propose sa vision de la beauté féminine idéale et parvient magistralement à évoquer une subtile sensualité.
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Rosalba Carriera. Flora (1730)Rosalba Carriera. Flora (1730). Pastel sur papier, 47 × 32,5 cm, Galerie des Offices, Florence. Ce type de portrait est considéré comme particulièrement osé à l’époque et le prétexte mythologique est nécessaire. Il s’agit probablement d’une jeune femme de l’aristocratie, déguisée en flore. A la fin du siècle, Jean-Baptiste Greuze utilisera le modèle pour représenter de jeunes ingénues sachant jouer de leurs charmes.

 

François-Hubert Drouais. Portrait de la comtesse Du Barry en Flore (1769)François-Hubert Drouais. Portrait de la comtesse Du Barry en Flore (1769). Huile sur toile, 70 × 58 cm, château de Versailles. « Peintre attitré de Madame Du Barry, François-Hubert Drouais l’a représentée à de multiples reprises. Il exposa au Salon de 1769, année de la présentation de la nouvelle favorite à la Cour, deux portraits la montrant en Flore et en costume de chasse. Entre 1770 et 1774, le portrait en Flore fit l’objet, à la demande de Madame Du Barry, de sept à huit répliques ou copies, chacune légèrement différente, destinées à son entourage. Trois versions sont aujourd’hui conservées en collection publique : au musée des Beaux-Arts d’Agen, à la National Gallery de Washington et au musée du Prado à Madrid.
Néanmoins cet exemplaire, signé et daté de 1769, un “ovale […] sans mains” selon le mémoire des ouvrages commandés à Drouais par la comtesse Du Barry, serait bien l’œuvre exposée au Salon et la première de toutes les déclinaisons effectuées ensuite par Drouais. » (Commentaire Société des Amis du château de Versailles)
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE (Réplique de la National Gallery of Art)

 

William Bouguereau. Flora et Zéphyr (1875)William Bouguereau. Flora et Zéphyr (1875). Huile sur toile, diamètre 185 cm, musée des Beaux-Arts de Mulhouse. Pour la peinture académique du 19e siècle, la mythologie restait un prétexte à la représentation de la nudité. Flore, assise dans l’herbe au milieu des fleurs est consolée par son époux Zéphir, dieu du vent, qui apparaît avec des ailes de papillon.

 

 

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