Fra Angelico. Pala di Fiesole ou Retable San Domenico (1424)

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Patrick AULNAS

Guido di Pietro (v. 1400-1455), moine dominicain ayant le génie de la peinture, fut appelé Fra Angelico (Frère Angelico) après sa mort et reste célèbre aujourd’hui sous ce pseudonyme. Le retable du couvent San Domenico de Fiesole est une des œuvres les plus anciennes que nous possédions de cet artiste.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole (1423-24)
Tempera et or sur bois, 212 × 237 cm, couvent San Domenico, Fiesole.

 

Le couvent San Domenico de Fiesole

Ce retable est toujours conservé dans le lieu où il a été peint, le couvent San Domenico, situé à Fiesole, à proximité de Florence. L’édifice a été construit entre 1406 et 1435 et Fra Angelico y entre en 1417. Son activité artistique avait déjà commencé à cette date. En 1432 et 1433, il assume les responsabilités de vicaire au couvent et c’est seulement en 1438 qu’il quitte Fiesole pour s'installer à Florence.

 

Couvent san domenico de fiesole vue actuelle du cloitre

Couvent San Domenico de Fiesole. Vue actuelle du cloître.

 

Le retable est la principale œuvre de Fra Angelico se trouvant dans le couvent. Mais on y trouve également une Vierge à l’Enfant et une crucifixion. La Pala di Fiesole servait à l’origine de retable pour le maître-autel de l’église. Elle a ensuite été déplacée et se trouve aujourd’hui dans une chapelle latérale.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico de Fiesole, vue d’ensemble (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico de Fiesole, vue d’ensemble (1423-24)

 

Contexte historique

Lorsque Fra Angelico réalise le retable de San Domenico, la peinture italienne reste encore dominée par l’esthétique de Moyen Âge. Quelques années plus tard, Masaccio utilisera la perspective linéaire, en respectant les contraintes mathématiques, avec sa fresque de La Trinité dans l’église Santa Maria Novella de Florence (1424-28). Vasari évoque « la voûte qui s’enfonce dans le mur » à propos de cette simulation de la profondeur sur une surface plane.

De même, la figure de la Vierge ne sera totalement humanisée que quelques décennies plus tard en Italie, en particulier avec les madones de Filippo Lippi, son chef- d’œuvre étant La Vierge à l’Enfant et deux anges (1465). Cette Vierge de l’humilité, remplaçant la Vierge en majesté, apparaît dès le 14e siècle, mais demeure assez rare.

L’œuvre de Fra Angelico constitue ainsi un ensemble transitionnel entre le style Gothique international et la Première Renaissance.

Les flamands ont présenté avant les italiens une figure très maternelle de la Vierge, en particulier Robert Campin dit Le Maître de Flémalle (Panneaux de Flémalle, vers 1430). Mais Fra Angelico ignorait tout de Robert Campin.

 

Analyse de la Pala di Fiesole

Le mot italien pala désigne des tableaux d’autel ou retables (pala d’altare) qui peuvent comporter plusieurs éléments (polyptyque) ou un seul panneau. La dénomination italienne de l’œuvre est donc Pala di Fiesole, mais les anglo-saxons utilisent plus volontiers l’expression Retable de San Domenico (San Domenico Altarpiece).

 

Panneau central

Le panneau actuel provient d’une modification réalisée par Lorenzo di Credi (1459-1537) en 1501. Il s’agissait d’un triptyque que Di Credi a réuni en un seul panneau. L’arrière-plan, probablement doré à l’origine, a été modernisé pour faire apparaître un trône surmonté d’un dais et encadré de deux arcades à travers lesquelles se dessine un paysage. La peinture initiale était donc plus proche de l’art byzantin que celle qui nous est parvenue.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)

 

La Vierge en majesté, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, est placée sur un trône entouré de huit anges adorateurs. La petite taille des anges correspond à un rang hiérarchiquement inférieur à celui de la Vierge.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)   Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico
Saint Thomas d'Aquin et saint Barnabé

        

Fra Angelico. Retable San Domenico
Saint Dominique et saint Pierre martyr 

 

Quatre saints accompagnent la Vierge : à gauche, saint Thomas d'Aquin et saint Barnabé ; à droite, saint Dominique et saint Pierre martyr. Une auréole dorée encercle la tête de tous les personnages pour marquer leur appartenance au royaume des cieux.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, détail (1423-24)

 

La Vierge en majesté (ou Maestà en italien) a beaucoup évolué depuis l’époque byzantine. Son hiératisme, destiné à créer une distance par rapport aux émotions humaines, s’est beaucoup atténué. L’apport de Fra Angelico réside dans l’humanisation de la figure de la Vierge. Le visage exprime une douceur songeuse et la main tient délicatement deux fleurs que l’Enfant cherche à saisir. La rose blanche symbolise la pureté et la rose rouge est une préfiguration de la Passion du Christ. Cette Vierge reste donc une Vierge en majesté par la scénographie (trône, saints, anges), mais son attitude la rapproche déjà beaucoup de la Vierge de l’humilité qui dominera la peinture quelques décennies plus tard.

 

La prédelle

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, prédelle (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, prédelle (1423-24)
Tempera sur bois, 32 × 244 cm,  National Gallery, Londres.

 

Le retable a été démembré entre 1792 et 1827 par les moines de San Domenico. La prédelle est aujourd’hui conservée à la National Gallery. La prédelle est la partie inférieure du retable. Elle comporte ici cinq panneaux sur lesquels sont représentés 300 personnages (saints, anges, prophètes, etc.) avec au centre le Christ ressuscité. L'expérience de miniaturiste du peintre s'exprime ici, mais il est probable que seul le panneau central soit entièrement de la main de Fra Angelico.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, tondo (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, tondo (1423-24)
Tempera sur bois, 16 × 15,6 cm,  National Gallery, Londres.

 

La National Gallery reste prudente en ce qui concerne le rattachement de ce tondo au retable de San Domenico : « Ce tondo faisait probablement partie d’une prédelle. Il a été suggéré qu'il pourrait provenir de l'encadrement d'un retable de Fra Angelico pour S. Domenico, Fiesole. »

 

Pilastres latéraux

A la suite du démembrement du retable, les saints qui ornaient les pilastres latéraux sont désormais conservés au musée Condé de Chantilly pour deux d’entre eux et dans une collection particulière pour les deux autres. Deux saints ont été perdus. Voici ce qu’indique le musée Condé :

« Les panneaux du musée Condé étaient placés sur les pilastres latéraux du retable, comme les deux panneaux analogues de la Fondation Rau (Saint Michel, Saint Nicolas) et d’autres qui semblent avoir disparu. S’agissant de deux Evangélistes, reconnaissables à leurs attributs, qui sont, outre le livre, le lion pour saint Marc et l’ange pour saint Matthieu, il est possible qu’il y ait eu un saint Jean et un saint Luc, aujourd’hui perdus. »

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Marc (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Marc (1423-24)
Tempera et or sur bois, 36 × 11 cm, musée Condé, Chantilly.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Mathieu (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Mathieu (1423-24)
Tempera et or sur bois, 36 × 11 cm, musée Condé, Chantilly.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Nicolas (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Nicolas (1423-24)
Tempera et or sur bois, 36 × 11 cm, collection particulière.

 

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Michel (1423-24)

Fra Angelico. Retable San Domenico ou Pala di Fiesole, Saint Michel (1423-24)
Tempera et or sur bois, 36 × 11 cm, collection particulière.

 

De la Vierge en majesté à la Vierge de l’humilité

Pour situer historiquement la Pala di Fiesole, il faut remonter aux Vierges en majesté (ou Théotokos, la Mère de Dieu)) de l’art byzantin. L’humanisation du personnage dans l’art occidental est progressive et sa représentation se prolonge jusqu’à la fin du 19e siècle.

La Vierge et l'Enfant ou Théotokos (9e siècle)

La Vierge et l'Enfant ou Théotokos (9e siècle). Mosaïque, Basilique Sainte-Sophie, Istanbul. Au 9e siècle, cette Théotokos est assise sur un siège très stylisé, conformément à la doxa de l'époque qui excluait le réalisme. Le fond or permet également d'éviter toute tentation de ce point de vue.

 

Cimabue. La Vierge et l'Enfant en majesté entourés d'anges (v. 1280)

Cimabue. La Vierge et l'Enfant en majesté entourés d'anges (v. 1280). Tempera sur bois, 427 × 280 cm, musée du Louvre, Paris. L’humanisation du personnage commence au 13e siècle. Il s’agit toujours d’une Vierge en majesté ou Maestà, mais son visage commence à s’adoucir.

 

Giotto. Vierge d'Ognissanti, détail (v. 1310)

Giotto. Vierge d'Ognissanti, détail (v. 1310). Tempera sur bois, 325 × 204 cm, Galerie des Offices, Florence. Giotto fait nettement ressortir la féminité du personnage : le regard, les lèvres, la poitrine, les gestes ont été conçus pour indiquer que la Vierge est une femme véritable.

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Campin. Panneaux de Flémalle, Vierge à l'enfant (v. 1430)

Robert Campin. Panneaux de Flémalle, Vierge à l'enfant (v. 1430). Huile sur bois, 149,1 × 58,3 cm, Städel, Francfort-sur-le-Main. Les flamands, dès le début du 15e siècle, orientent nettement la représentation vers un réalisme inconnu jusqu’alors. Ainsi, la Vierge à l’Enfant de Robert Campin allaite son enfant.

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Lippi. Vierge à l'enfant et deux anges (1465)

Filippo Lippi. Vierge à l'Enfant et deux anges (1465). Tempera sur bois, 95 × 62 cm, Galerie des Offices, Florence. Filippo Lippi marquera définitivement l’histoire de l’art en recherchant une beauté féminine idéale pour la figure de la Vierge.

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Botticelli. Vierge à l'enfant avec deux anges (v. 1490)

Sandro Botticelli. Vierge à l'enfant avec deux anges (v. 1490). Tempera sur bois, diamètre 115 cm, Akademie der bildenden Künste, Vienne. Ses successeurs poursuivront cette recherche : par exemple Sandro Botticelli, élève de Lippi.

 

Raphaël. Madone à la prairie (1506)

Raphaël. Madone de la prairie (1506). Huile sur bois, 113 × 88 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche. Ou encore Raphaël avec sa Madone de la prairie d’une pureté inégalée.

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Titien. Vierge à l'Enfant avec des saints (1530)

Titien. Vierge à l'Enfant avec des saints (1530). Huile sur toile, 101 × 142 cm, National Gallery, Londres. La scène peut se complexifier comme le montre cette magnifique composition du grand coloriste Titien.

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Murillo. Vierge à l'enfant avec rosaire (1650-55)

Bartolomé Estéban Murillo. Vierge à l'enfant avec rosaire (1650-55). Huile sur toile, 164 × 110 cm, musée du Prado, Madrid. Au 17e siècle, il devient difficile de distinguer la Vierge à l’enfant d’une simple mère avec son enfant. Parfois d’ailleurs, il s’agit de représenter une femme de l’aristocratie en Vierge avec son enfant. Ainsi en est-il chez Murillo avec cette Vierge à l'enfant avec rosaire.

 

Georges de La Tour. Le Nouveau-né (1645-48)

Georges de La Tour. Le Nouveau-né (1645-48). Huile sur toile, 76 × 91 cm, musée des Beaux-Arts, Rennes. Georges de La Tour ira jusqu’au terme de cette évolution avec Le Nouveau-né. Si une ferveur religieuse règne autour de l’enfant, rien ne dit qu’il s’agit d’une Vierge à l’Enfant, mais rien n’interdit de le penser.

 

Ingres. Vierge à l’hostie (1866)

Ingres. Vierge à l’hostie (1854). Huile sur toile, diamètre 113 cm, musée d'Orsay, Paris. A partir du 18e siècle, le thème devient beaucoup moins fréquent. Mais, néoclassicisme oblige, Ingres peint encore en 1854 une Vierge à l’hostie d’une grande pureté, inspirée de Raphaël.

 

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