François Clouet. Le bain de Diane (v. 1565)

 
 

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Patrick AULNAS

François Clouet fut principalement le portraitiste officiel de la cour de France et le protégé de Catherine de Médicis. Mais son œuvre comporte également quelques rares scènes mythologiques, dont la plus célèbre est Le bain de Diane. Ce tableau dépasse la mythologie car il s’inscrit dans le conflit entre catholiques et protestants qui déchirait la France à la fin du 16e siècle.

 

François Clouet. Le bain de Diane (v. 1565)

François Clouet. Le bain de Diane (v. 1565)
Huile sur bois 136 × 196 cm, musée des Beaux-arts de Rouen.
Image HD sur MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE ROUEN et sur WIKIPÉDIA

Les déesses antiques et leur utilisation artistique

Jusqu’au 19e siècle, les déesses antiques sont utilisées en peinture et sculpture pour représenter la nudité féminine. Ce détour autorise l’idéalisation des corps et maintient donc une distance, jugée convenable, avec le réel. Au 16e siècle, il n’était pas envisageable de s’approcher de la réalité dans ce domaine. La convention, acceptée de tous, amenait les artistes à masquer les imperfections de la nature. Les divinités deviennent alors particulièrement opportunes. Vénus, Diane, Flore, Minerve apparaissent donc couramment en peinture.

La déesse de la chasse, Diane, a été abondamment utilisée pour magnifier le corps féminin. Représentée en chasseresse ou au bain, elle possède en général sveltesse et élégance.

 

Peintre inconnu. Diane chasseresse (v. 1550)

Peintre inconnu. Diane Chasseresse (v. 1550)

Huile sur toile, 191 × 132 cm, musée du Louvre, Paris.

 

François Boucher. Diane sortant du bain (1742)

François Boucher. Diane sortant du bain (1742)
Huile sur toile, 56 × 73 cm, musée du Louvre, Paris.

Dans la mythologie, Diane (Artémis chez les grecs) est la déesse de la chasse et de la lune. Elle est la fille de Jupiter et de Latone et la sœur jumelle d'Apollon. C’est Jupiter lui-même qui l’arma d’un arc et de flèches et lui accorda une suite de soixante nymphes. Diane est réputée pour sa chasteté. Ayant assisté à la venue au monde de son frère, elle en fut choquée et demanda à son père de lui accorder la virginité perpétuelle.

L’idéalisation du corps féminin se termine avec l’apparition de la peinture baroque. Dès le début du 17e siècle, certains grands artistes bousculent les conventions. Les déesses sont toujours nécessaires mais leur corps est à peu près celui des femmes de l’époque.

 

Rubens. Vénus au Miroir (1615)

Pierre Paul Rubens. Vénus au Miroir (1615)
Huile sur bois, 124 × 98 cm, Musée Liechtenstein, Vienne.

Le Bain de Diane, première approche

Au premier regard apparaît une scène mythologique sur fond de paysage verdoyant. Diane (debout au centre, tenant un linge blanc), sort du bain, entourée de trois nymphes. L’une d’elle pose un voile rouge sur les épaules de la déesse. L’eau d’une source s’écoule au premier plan à droite. Deux satyres se trouvent sur la gauche. En arrière-plan, un cavalier accompagné d’un chien semble avoir tué un cerf que des chiens sont occupés à déchiqueter.

 

Diane au bain, détail. La déesse Diane

Diane au bain, détail. La déesse Diane

Le peintre a déployé tout son talent de coloriste en multipliant des nuances de vert dans le paysage. Les figures mythologiques claires se détachent parfaitement au premier plan avec en contrepoint les tissus rouges dont se vêtent Diane et ses nymphes. Le paysage, d’inspiration flamande, s’harmonise avec des personnages d’inspiration italienne. Dès le début du 16e siècle, François 1er attire en France des artistes italiens, Léonard de Vinci étant le plus célèbre. L’influence italienne produira une évolution de la peinture française qui sera qualifiée d’école de Fontainebleau par les historiens de l’art. Dans Le bain de Diane, cette influence transparaît dans les postures affectées des personnages et leur carnation parfaite empruntée aux grands maniéristes italiens, en particulier Agnolo Bronzino, contemporain de François Clouet.

Le contexte politique : les guerres de religion

Mais cette composition, sous couvert de mythologie, comporte une dimension politique. Les plus hauts personnages de l’époque ont été travestis en déesse, nymphes et satyres afin de manifester une opposition à la politique religieuse de la couronne de France. Il faut se reporter à la situation historique de la France vers 1560 pour comprendre l’énigme du tableau.

A cette époque, les guerres de religion opposent catholiques et protestants, aussi appelés huguenots. La royauté catholique est confrontée à la montée du protestantisme qui, outre des appuis extérieurs, trouve des partisans dans certaines grandes familles de l’aristocratie comme les Condé. Une autre famille, les Guise joue un rôle important de répression du protestantisme.

Le roi Henri II, né en 1519, a épousé Catherine de Médicis en 1533. Il règne à partir de 1547 et Catherine devient donc reine de France. Diane de Poitiers, qui avait connu Henri II enfant, a vingt ans de plus que lui. Elle devient cependant sa maîtresse vers 1538 (il a 19 ans et elle 39). Lorsqu’Henri accède au trône en 1547, Diane devient la favorite. En partie sous l’influence de Diane de Poitiers, Henri II réprime le protestantisme. Le roi meurt en 1559 des suites d’une blessure à l’œil au cours d’un tournoi. Catherine de Médicis devient alors régente du royaume car son fils François (le roi François II) n’a que 15 ans. Catherine de Médicis souhaiterait le dialogue avec les protestants, contrairement à Henri II, mais elle rencontre une forte opposition, en particulier du côté des Guise.

François II épouse Marie Stuart, la reine d’Écosse en 1559. Celle-ci devient donc reine de France. Mais François II, de santé fragile, meurt en 1560. Il sera remplacé par Charles IX, son frère. Marie Stuart retourne en Écosse et, en conflit avec la reine Élisabeth d’Angleterre, elle sera exécutée en 1587 sur l’ordre de la souveraine. Marie Stuart était la fille de Marie de Guise et du roi d’Écosse Jacques V. La famille de Guise a joué un rôle important pour favoriser le mariage de Marie Stuart et de François II. Pendant l’année unique du règne de François II, qui est mineur, les Guise vont, de facto, gouverner la France en s’opposant à Catherine de Médicis, en particulier sur la politique religieuse. Les deux personnages les plus importants de cette famille sont le duc François de Guise et le cardinal Charles de Guise-Lorraine.

Le Bain de Diane, lecture politique

 

Diane au bain, détail. Catherine de Médicis en nymphe

Diane au bain, détail. Catherine de Médicis en nymphe

 

Diane au bain, détail. Marie Stuart en nymphe

Diane au bain, détail. Marie Stuart en nymphe

 

Diane au Bain, détail. Le cardinal de Guise-Lorraine en satyre

Diane au Bain, détail. Le cardinal de Guise-Lorraine en satyre

 

Diane au Bain, détail. Le duc de Guise en satyre

Diane au Bain, détail. Le duc de Guise en satyre

Les principaux protagonistes de cette époque troublée se retrouvent sur le tableau de François Clouet qui constitue une stigmatisation de la politique répressive à l’égard de la religion protestante. La déesse Diane est évidemment Diane de Poitiers, la favorite d’Henri II. La nymphe assise est Catherine de Médicis qui tient un linge noir car elle est en deuil du roi Henri II. Marie Stuart est représentée par la nymphe debout au premier plan, tenant le voile nuptial antique de couleur flamme. Les deux satyres sont les plus puissants personnages de la famille de Guise : le cardinal de Guise-Lorraine, assis, et son frère, le duc François de Guise, qui, en tant que militaire, sonne la victoire. Le cavalier est le roi de France, mais il peut s’agir d’Henri II ou de François II.

Cette peinture a donc été commanditée par de puissants personnages du parti huguenot pour proposer une image ironique des responsables de la répression. Le musée de Rouen cite comme commanditaire possible Claude Gouffier, Grand écuyer de France (1501-1570), amateur d’art et collectionneur de livres, qui joua un rôle militaire important sous le règne de François 1er.

Mais, l’interprétation du tableau n’étant accessible qu’à un nombre limité de personnes, le risque couru n’était pas grand. Cela explique que François Clouet se soit livré à cette facétie qui lui permettait de créer une œuvre mythologique d’une qualité exceptionnelle payée par de riches opposants à la politique royale.

La déesse Diane : quelques autres compositions

Rembrandt. Diane au bain (1634)

Rembrandt. Diane au bain (1634). Huile sur toile, 74 × 94 cm, Musée Wasserburg Anholt, Isselburg-Anholt. Rembrandt a 28 ans et a déjà à son actif plusieurs grandes scènes mythologiques ou religieuses.

Vermeer. Diane et ses compagnes (1653-56)

Johannes Vermeer. Diane et ses compagnes (1653-56). Huile sur toile, 98,5 × 105 cm, Mauritshuis, La Haye. La Diane de Vermeer est d'une irréprochable sagesse.

Nattier. Mme de Pompadour en Diane (1746)

Jean-Marc Nattier. Mme de Pompadour en Diane (1746). Huile sur toile, 102 × 82 cm, Château de Versailles. Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764) est issue d'un milieu bourgeois. Elle épouse en 1741 Charles-Guillaume Le Normant d'Étiolles et devient la favorite de Louis XV en 1745. Le roi lui fait immédiatement don du domaine de Pompadour. Il était courant au 18e siècle de représenter une femme en déesse antique.

Nattier. Madame de Maison-Rouge en Diane (1756)

Jean-Marc Nattier. Madame de Maison-Rouge en Diane (1756). Huile sur toile, 136,5 × 105,1 cm, Metropolitan Museum of Art, New-York. « Il s'agit d'un portrait avec déguisement, le modèle étant représenté en Diane, déesse de la chasse, avec ses attributs traditionnels, l'arc et le carquois de flèches. Elle est vêtue d'un blanc virginal. Il semble que le modèle soit mademoiselle Belot, qui, l'année où le portrait a été peint, est devenue la troisième épouse d'Étienne de Maison-Rouge, Receveur général des finances. » (Notice MET)

 

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