François Boucher. Diane sortant du bain (1742)

 
 

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Patrick AULNAS

Lorsqu’il peint ce tableau en 1742, François Boucher a 39 ans mais est déjà académicien. Il appartient à la petite élite des peintres de scènes mythologiques, religieuses ou historiques, le sommet de la hiérarchie des genres. Le petit format de Diane sortant du bain résulte de sa destination : les appartements privés du commanditaire. Mais il s’agit bien d’un des chefs-d’œuvre de Boucher et du style rococo.

 

François Boucher. Diane sortant du bain (1742)

François Boucher. Diane sortant du bain (1742)
Huile sur toile, 57 × 73 cm, musée du Louvre, Paris.
Image HD sur WIKIMÉDIA

Contexte historique

Le style rococo naît au début du 18e siècle et succède à l’art baroque, apparu à la fin du 16e siècle, et au classicisme français qui dominait sous le règne de Louis XIV. Avec la régence de Philippe d’Orléans (1715-1723), une certaine légèreté avait succédé dans le petit monde de l’aristocratie régnante à la solennité et au goût de la grandeur. L’art ne pouvant rester à l’écart de cette évolution, la naissance du rococo correspond à la mise en adéquation de la production picturale avec le goût dominant. Cette orientation se poursuivra pendant la plus grande partie du règne de Louis XV (1723-1774), mais laissera progressivement place au néoclassicisme dans la seconde moitié du 18e siècle.

Sous Louis XV, François Boucher apparaît comme le peintre officiel de la royauté et de l’aristocratie de cour. Génie de l’art de peindre, il mettra son talent au service de la légèreté, de la frivolité et même de la galanterie. Son œuvre traduit ainsi merveilleusement l’état d’esprit de la haute noblesse de l’époque.

La déesse Diane

Diane (Artémis pour les grecs) est la déesse de la chasse et de la lune. Elle est la fille de Jupiter (Zeus) et de Latone (Léto) et la sœur jumelle d’Apollon. Son père Jupiter l’arma d’un arc et de flèches. Venue au monde peu avant son frère, elle assista à sa naissance et demanda à son père une virginité éternelle pour échapper aux douleurs de l’enfantement. Les nymphes qui l’accompagnent sont elles-mêmes d’une totale chasteté.

En peinture, depuis la Renaissance jusqu’au 19e siècle, elle constitue un argument mythologique plus ou moins admis par l’ordre moral religieux pour représenter la nudité féminine. Nous avons donc de multiples Diane (voir ci-dessous autres compositions).

Analyse de l’œuvre

La Diane de Boucher conserve ses attributs mythologiques traditionnels : l’arc et le carquois de flèches qui apparaissent à gauche et à droite de la composition. Elle les a utilisés pour abattre le gibier posé à ses côtés. De même, le diadème en or qu’elle porte dans les cheveux symbolise un croissant de lune car Diane devait éclairer le monde pendant la nuit alors que son frère Apollon devait l’éclairer pendant la journée. Diane disposait d’une suite de soixante nymphes, mais Boucher se contente d’en représenter une avec un ruban bleu dans les cheveux. Son objectif n’est pas le même que celui de Rembrandt pour la même scène. Il peint une scène intimiste quand Rembrandt cherchait à représenter un groupe assailli par la peur.

Le respect des données mythologiques de base n’empêche pas l’artiste de déporter la scène vers la légèreté et la douceur. Il se situe à cet égard dans l’évolution historique. La Diane chasseresse altière de la Renaissance avait déjà été supplantée par une figure plus douce, en particulier chez Vermeer. Mais Boucher propose une image de la déesse tout à fait conforme à ce qu’attend un aristocrate cultivé du milieu du 18e siècle. Sous couvert de mythologie, il s’agit de représenter les corps nus de deux femmes en les idéalisant fortement. Diane et sa nymphe ont pour fonction d’émouvoir par la perfection de leur anatomie et la candeur de leur posture. Parfaitement libres au milieu de la nature, totalement inconscientes de l’effet qu’elles peuvent produire sur le spectateur, elles constituent en quelque sorte une projection picturale de l’inconscient masculin de l’époque. On retrouve souvent dans la peinture du 18e siècle, parfois même sous couvert de morale, la figure de l’ingénue libertine à peine sortie de l’adolescence. Naïveté infantile et liberté de comportement permettaient de rester inattaquable moralement et de satisfaire l’attente masculine à l’égard de l’image de la femme.

 

François Boucher. Diane sortant du bain, détail (1742)

           

François Boucher. Diane sortant du bain, détail (1742)

François Boucher. Diane sortant du bain, détails (1742)

Boucher établit également un contraste entre l’ingénuité du personnage de la déesse et la description minutieuse des accessoires de chasse. La chasse étant à l’époque une activité exclusivement masculine, il était paradoxal de conjuguer une représentation réaliste de cette activité (les chiens se désaltérant, le gibier mort) avec une représentation idéalisée de la nudité féminine. Là encore, Boucher répond, non seulement au goût, mais au désir du commanditaire.

Boucher a construit son tableau en plaçant le sujet, Diane et sa nymphe, dans un espace en diagonale allant du haut à droite au bas à gauche :

 

Diane sortant du bain (1742). Composition en diagonale

Diane sortant du bain (1742). Composition en diagonale

La lumière venant de gauche éclaire vivement les deux figures et particulièrement Diane. Les deux personnages sont traités avec une extrême délicatesse : corps élancés et nacrés reflétant la lumière, élégance des postures, raffinement des courbes imputable à un dessin très maîtrisé. Le rideau bleu et le paysage à dominante verte offrent un cadre correspondant aux attentes des amateurs d’art de l’époque. La licence artistique permettant d’associer le paysage naturel et des éléments de décoration intérieure était perçue comme une sophistication esthétique. La déesse de Boucher apparaît ainsi dans un paysage arcadien comportant paradoxalement des étoffes des châteaux de l’aristocratie.

 

François Boucher. Diane sortant du bain, détail (1742)

François Boucher. Diane sortant du bain, détail (1742)

Le temps n’a pas rompu le charme. La Diane sortant du bain de Boucher séduit toujours autant au 21e siècle. Elle permet de retrouver le goût des amateurs d’art d’une époque très lointaine par l’esprit : la fin de la royauté en France. Harmonie chromatique, pureté des formes, modelé délicat des corps, douceur de la lumière, autant de qualités qui font de cette composition de Boucher un chef-d’œuvre.

Autres compositions sur le même thème

Peintre inconnu. Diane chasseresse (v. 1550)

École de Fontainebleau. Diane chasseresse (v. 1550). Huile sur toile, 191 × 132 cm, musée du Louvre, Paris. L’auteur de ce tableau célèbre n’est pas connu avec certitude. La base Joconde cite une attribution à Lucas Penni (1500-1556), peintre italien rattaché à l’École de Fontainebleau. « L'attitude de cette Diane semble inspirée d'une sculpture hellénistique, la Diane à la biche, dont un exemplaire fondu en bronze par Primatice se trouvait à Fontainebleau au XVIe siècle. L'œuvre est sans doute un portrait idéalisé de Diane de Poitiers, maîtresse du roi Henri II. » (Commentaire Base Atlas, Louvre)

François Clouet. Le bain de Diane (v. 1565)

François Clouet. Le bain de Diane (v. 1565). Huile sur bois 136 × 196 cm, musée des Beaux-arts de Rouen. Cette scène mythologique est en fait un tableau à code qui permet à Clouet de mettre en scène les hauts personnages de l'époque : La déesse Diane est Catherine de Médicis (assise), et les deux nymphes sont Diane de Poitiers (avec le voile blanc) et Marie Stuart (avec la voile rouge). Pour une analyse et une image HD, voir le site du musée des Beaux-arts de Rouen.

Analyse détaillée

Rembrandt. Diane au bain (1634)

Rembrandt. Diane au bain (1634). Huile sur toile, 74 × 94 cm, Musée Wasserburg Anholt, Isselburg-Anholt. Rembrandt a 28 ans et a déjà à son actif plusieurs grandes scènes mythologiques ou religieuses. Alors qu’elles se baignaient, la déesse Diane et ses nymphes sont surprises par Actéon, qui chassait dans la forêt. La suite du récit mythologique est la vengeance de Diane : elle change Actéon en Cerf et il est dévoré par ses chiens.

Pierre Paul Rubens. Diane et ses nymphes surprises par les satyres (1639-40)

Pierre Paul Rubens. Diane et ses nymphes surprises par les satyres (1639-40). Huile sur toile, 128 × 314 cm, musée du Prado, Madrid. « Rubens imagine une composition pleine de mouvements où les personnages semblent bouger au rythme d’une musique, tous dans des positions différentes afin de complexifier le tableau. Symboliquement, il utilise également des tons différents pour les corps : la chair plus sombre et plus chaude des satyres contraste avec la blancheur des corps nus des femmes, choix que l’artiste réutilisera dans ses tableaux les plus tardifs. » (Commentaire musée du Prado)

Vermeer. Diane et ses compagnes (1653-56)

Johannes Vermeer. Diane et ses compagnes (1653-56). Huile sur toile, 98,5 × 105 cm, Mauritshuis, La Haye. Par rapport à beaucoup d’autres, la Diane de Vermeer est d'une irréprochable sagesse, conformément à la rigueur calviniste qui régnait aux Pays-Bas.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Antoine Watteau. Diane au bain (1715-16)

Antoine Watteau. Diane au bain (1715-16). Huile sur toile, 80 × 101 cm, musée du Louvre, Paris. Watteau, initiateur du style rococo au tout début du 18e siècle, peint plutôt une femme de son époque qu’une déesse dans un contexte mythologique. Le carquois de flèches reste présent, mais le corps de Diane est traité avec réalisme, sans pour autant que l’indicible poésie qui se dégage toujours des tableaux de Watteau soit absente. Diane semble fragile et très seule au milieu d’une nature qui n’a rien d’édénique.

Nattier. Mme de Pompadour en Diane (1746)

Jean-Marc Nattier. Mme de Pompadour en Diane (1746). Huile sur toile, 102 × 82 cm, Château de Versailles. Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764) est issue d'un milieu bourgeois. Elle épouse en 1741 Charles-Guillaume Le Normant d'Étiolles et devient la favorite de Louis XV en 1745. Le roi lui fait immédiatement don du domaine de Pompadour. L’argument mythologique permettait à partir du 18e siècle de réaliser des portraits féminins dénudant le haut du corps, destinés à la sphère intime.

Jules Lefebvre. Diane (1879)

Jules Lefebvre. Diane (1879). Huile sur bois, 30,5 × 26,7 cm, Dahesh Museum of Art, New York. La peinture académique conservait les faveurs d’un large public à la fin du 19e siècle. Jules Lefebvre, peintre apprécié et professeur à l’École des Beaux-arts de Paris, revisite le thème mythologique dans le but exclusif de réaliser un nu féminin admissible.

André Réus. Diane (21e siècle)

André Réus. Diane (21e siècle). Huile sur toile, 55 × 46 cm, collection particulière. Le chef-d’œuvre de Boucher intéresse encore les artistes et le public. Le peintre et sculpteur contemporain André Réus a réalisé ce tableau en reprenant strictement la composition de Boucher, mais stylisée, afin de proposer une esthétique appréciée d’un large public de notre époque. Pour les personnes intéressées, voir Art Web Galerie.

 

Commentaires

  • Pierre
    • 1. Pierre Le 29/02/2020
    Analyse intéressante, merci. Mais pourquoi diable avoir "placé" cette abominable croûte à la fin ? C'est un canular ? J'ai bien rigolé...
    • rivagedeboheme
      • rivagedebohemeLe 29/02/2020
      Vous avez bien raison de rigoler. Mais enfin, l'art contemporain ne se limite à des "installations" plus ou moins réussies prétendant avoir dépassé les cultures et les civilisations traditionnelles. Un large public aime une peinture artisanale simple. Vous pouvez d'ailleurs rigoler encore plus en pensant in petto que c'est une caricature de la manière de Duchamp. Travail très "contemporain".

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