Fra Angelico. Annonciation de Cortone (1433-34)
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Patrick AULNAS
Fra Angelico considérait ses œuvres comme des messages envoyés par Dieu. Et c’est encore aujourd’hui la dimension spirituelle de ses tableaux et fresques qui nous touche. Le thème de l’Annonciation, qui comporte un dialogue entre deux figures saintes, est particulièrement représentatif de la haute ambition de l’artiste.
Fra Angelico. Annonciation de Cortone (1433-34)
Tempera et or sur bois, 175 × 180 cm, Museo diocesano, Cortona.
Image HD sur WIKIMEDIA COMMONS
Le thème biblique de l’Annonciation
L’Annonciation, thème très souvent traité en peinture, est un épisode décrit dans l’Évangile selon saint Luc. En voici d’abord un petit résumé avant la reproduction du texte de la Bible.
L’archange Gabriel vient à Nazareth pour rencontrer Marie, une femme vierge fiancée à Joseph, homme de la maison de David. L’archange annonce à Marie qu’elle concevra un fils qu’elle appellera Jésus. Cet enfant, le fils de Dieu, sera conçu par l’Esprit-Saint venu visiter Marie. Marie répond à l’Archange : « Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon votre parole ! »
La conception virginale du Christ (par l’Esprit-Saint et non par Joseph) est qualifiée de « mystère » dans la tradition chrétienne. Il s’agit évidemment d’une simple habileté rhétorique permettant d’éluder pour le fils de Dieu la dimension biologique de la procréation humaine (union d’un mâle et d’une femelle comme pour tous les mammifères). Dans l’iconographie, Joseph apparaît toujours comme un vieillard alors que Marie est une jeune femme. Les susceptibilités masculines sont donc sauves. Il ne faut pas oublier que toutes ces légendes ont été élaborées par des hommes et non par des femmes.
Les hommes des siècles passés, du moins jusqu’au 17e siècle, croyaient tous fermement que ces belles légendes reflétaient une réalité dans une époque lointaine. La foi des artistes et celle de leurs commanditaires expliquent la munificence des œuvres d’art imprégnées de spiritualité. Pour cette raison, l’épisode de l’Annonciation a conduit vers des chefs-d’œuvre. Il comporte d’ailleurs des éléments visuels remarquables : apparition d’un ange ailé, émotion de la Vierge, mouvement.
Seul l’Évangile selon Luc (1, 26-38) contient le récit de l’Annonciation. En voici le texte.
26 Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth,
27 vers une vierge qui était fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph ; et le nom de la vierge était Marie.
28 Etant entré où elle était, il lui dit : « Salut, pleine de grâce ! Le Seigneur est avec vous. »
29 Mais à cette parole elle fut fort troublée, et elle se demandait ce que pouvait être cette salutation.
30 L’ange lui dit : « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu.
31 Voici que vous concevrez, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus.
32 Il sera grand et sera appelé fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin. »
34 Marie dit à l’ange : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? »
35 L’ange lui répondit : « L’Esprit-Saint viendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu.
36 Et voici qu’Elisabeth, votre parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et ce mois-ci est le sixième pour elle que l’on appelait stérile,
37 car rien ne sera impossible pour Dieu. »
38 Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon votre parole ! » Et l’ange la quitta.
Analyse de l’œuvre
Fra Angelico a peint à de nombreuses reprises la scène de l’Annonciation entre 1424 et 1450. La composition type fait apparaître l’archange Gabriel et la Vierge sous des arcades. Un jardin fleuri s’ouvre sur la partie gauche, au fond duquel de petites figures bibliques ont été placées. L’Annonciation de Cortone respecte ce modèle, réutilisé par l’artiste avec des variantes. L’œuvre est intégrée à un retable et devait donc être placée dans une église et admirée par de nombreux visiteurs. Des incertitudes subsistent sur la destination première du retable. Outre la scène principale de l’Annonciation, le retable possède une prédelle comportant sept scènes de la vie de la Vierge.
La scène principale de l’Annonciation
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail
Elle se déroule dans une loggia ouverte sur un jardin clos, thème fréquemment associé à la Vierge dans la peinture de la Renaissance. Le jardin clos (hortus conclusus en latin) est un lieu fermé, secret, protégé par des murs. L’expression hortus conclusus est extraite du Cantique des cantiques, l’un des livres de l’Ancien Testament : « Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus » (Le jardin clos est ma sœur, ma fiancée ; le jardin clos est une source scellée). Cette approche métaphorique permet d’évoquer la virginité de Marie.
Au-delà de la clôture du jardin apparaissent trois personnages dont l’un avec une auréole indiquant la sainteté. Les deux autres sont Adam et Eve, chassés du paradis terrestre. La représentation des fleurs dans le jardin vise le réalisme, conformément au style gothique international. Il est ainsi possible d’identifier des roses blanches, symbole de pureté, des roses rouges, symbole de la Passion du Christ. Le palmier, dont certaines variétés perdent leur feuillage avant de fleurir, paraissant ainsi avoir perdu la vie, symbolise le martyre et sa gloire post mortem.
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail
Fra Angelico a placé l’archange Gabriel et Marie dans un espace ouvert délimité par des arcades lui permettant de simuler la profondeur. Il ne maîtrise pas vraiment les lois mathématiques de la perspective et place le point de fuite principal sur la gauche, au fond du jardin. La lumière inondant les deux figures provient de l’utilisation abondante de l’or. La signification religieuse est évidente et conforme à la pensée dominante de l’époque qui voyait dans la lumière terrestre un reflet de la lumière divine. La sainteté des deux personnages autorise le peintre à les considérer comme source de lumière, d’où cette impression d’illumination complète de la composition par les auréoles, les ailes et le fauteuil doré de la Vierge.
L’archange et Marie échangent les paroles figurant dans l’Évangile selon Luc.
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail
Paroles de Gabriel (première et troisième lignes) : « Spiritus Sanctus superveniet in te et virtus Altissimi obumbrabit tibi » (Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre).
Paroles de Marie (deuxième ligne écrite à l’envers puisqu’elle provient Marie) : « Ecce ancilla Domini: [fiat mihi secundum] verbum tuum » (Je suis la servante du Seigneur ; [qu’il me soit fait selon] ta parole). Les mots « fiat mihi secundum » sont absents car masqués par la colonne.
Ce chef d’œuvre de la première moitié du 15e siècle, dont Fra Angelico répliquera la composition à plusieurs reprises, se place historiquement à la transition entre le gothique international et la Renaissance italienne. Du gothique, il conserve la minutie du traitement de la végétation mais abandonne l’idéalisation naïve des figures. L’évolution, encore balbutiante dans la première moitié du 15e siècle et qualifiée ensuite de Renaissance, amène l’artiste vers une approche perspectiviste imparfaite et une sémantique signifiante de la gestuelle, de l’expression des visages et de la lumière, visant à exprimer la spiritualité.
La prédelle
Sur la prédelle sept scènes de la Vie de la Vierge et de la Légende de saint Dominique sont représentées. De gauche à droite :
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, la Naissance de la Vierge. Dans la tradition chrétienne, les parents de Marie, mère du Christ, sont Joachim et Anne. Anne étant stérile, Joachim se retire au désert où il jeûne 40 jours. Un ange vole vers Anne et lui annonce qu'elle aura un enfant, puis fait la même annonce à Joachim. La naissance de Marie est ainsi considérée comme miraculeuse. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, le Mariage de la Vierge. Episode de la tradition chrétienne au cours duquel Marie, mère de Jésus-Christ, épouse Joseph, dans la ville de Jérusalem. Ce thème est abondamment utilisé par les peintres à partir de Giotto (1267-1337) jusqu’au 17e siècle. La Légende dorée de Jacques de Voragine (13e siècle) construit un récit du mariage de la Vierge devant le temple de Jérusalem. Plusieurs prétendants veulent épouser Marie et chacun d’entre eux porte une baguette. Mais seule celle de Joseph est fleurie car il a été choisi par Dieu. C’est ce récit qui a fait l’objet de très nombreuses interprétations iconographiques. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, la Visitation. Épisode de l’Évangile selon saint Luc. Marie, qui attend le Christ, rend visite à sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Élisabeth prononce ces paroles : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. ». Ce sont les premiers mots du Je vous salue Marie, l’une des principales prières catholiques. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, l’Adoration des Mages. Selon la tradition chrétienne, trois mages (sages) auraient suivi une étoile vers le lieu de naissance de Jésus-Christ. Arrivés près de Jésus, ils lui offrent l’or, l’encens et la myrrhe. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, la Présentation au Temple. Selon la tradition chrétienne, Marie fut présentée encore enfant au temple de Jérusalem par ses parents Joachim et Anne. Elle resta dans le temple jusqu'à l'âge de sa majorité et fut alors accordée en fiançailles à Joseph. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, la Dormition. Ce mot est utilisé pour évoquer la mort de la Vierge, qui quitte la vie terrestre sans souffrance, dans un état de paix spirituelle. |
Fra Angelico. Annonciation de Cortone, détail, la Vision de saint Dominique. Dominique de Guzman (1170-1221) est un religieux espagnol, fondateur de l’ordre des frères prêcheurs, appelé par la suite ordre des Dominicains. Fra Angelico représente la Vierge donnant à Dominique l’habit dominicain. |
Les autres Annonciations de Fra Angelico
Fra Angelico a représenté fréquemment la scène de l’Annonciation (au moins quinze fois) mais elle était parfois comprise dans une composition plus vaste ou centrée sur une seule figure. Outre celle de Cortone, voici les quatre autres Annonciations complètes constituant des scènes autonomes.
Fra Angelico. L'Annonciation de Fiesole (1425-26). Tempera sur bois, 162 × 192 cm, musée du Prado, Madrid. Cette Annonciation a été exécutée pour le couvent San Domenico de Fiesole. Fra Angelico a trouvé la composition type qu’il reprendra par la suite : jardin clos avec Adam et Eve chassés du paradis terrestre, loggia avec arcades où a lieu la rencontre. La perspective reste sommaire et le peintre n’utilise pas le carrelage au sol pour la parfaire. |
Fra Angelico. L'Annonciation de San Giovanni Valdarno (1430-33). Tempera sur bois, 195 × 158 cm, Museo della Basilica di Santa Maria delle Grazie, San Giovanni Valdarno. Le travail sur la couleur caractérise cette composition : rouge et bleu des vêtements, rose de la frise murale, omniprésence de l’or pour illuminer la scène et travail sur le sol marbré. La scène du jardin a été réduite à une vue à travers l’ouverture de gauche. |
Fra Angelico. L’Annonciation du couvent de San Marco (1442-43). Fresque du corridor septentrional, 230 × 321 cm, Couvent San Marco, Florence. Le peintre réalise une variante de sa composition sur bois avec la technique très contraignante de la fresque. Le résultat est brillantissime et l’on peut admirer la richesse des couleurs des ailes de l’archange. Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE |
Fra Angelico. L’Annonciation du couvent de San Marco (1439-43). Fresque de la cellule trois, 176 × 148 cm, Couvent San Marco, Florence. Cette composition dépouillée, très différente des autres, parvient à évoquer le silence de la cellule monastique et la communication du moine qui l’occupe avec la divinité. Alors que les paroles de l’Évangile étaient reproduites sur l'Annonciation de Cortone, rien n’indique ici que des mots soient échangés entre Gabriel et Marie. C’est bien au contraire une posture de recueillement qui les caractérise. |
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