Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise (v. 1730)

 
 

Cliquer sur les images ci-dessus
PARTENAIRE AMAZON ► En tant que partenaire d'Amazon, le site est rémunéré pour les achats éligibles.

 

Patrick AULNAS

Les paysages urbains de Canaletto (1697-1768) ont connu un succès considérable au 18e siècle, en particulier dans le monde anglo-saxon. Ils permettaient aux voyageurs de conserver l’image d’un lieu visité.

 

 

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise (v. 1730)

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise (v. 1730)
Huile sur toile, 49,5 × 73,7 cm, Museum of Fine Arts, Houston.
Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

 

Contexte historique

A partir du 17e siècle, les jeunes aristocrates européens faisaient fréquemment un long voyage dans différents pays du continent. On appela Grand Tour ce périple à but éducatif. Il s’agissait de s’initier aux langues vivantes en usage, de visiter villes et musées, de rencontrer des personnalités locales. Les grandes villes italiennes, eu égard à leurs richesses artistiques, constituaient un passage obligé. Certains peintres se spécialisèrent donc dans le paysage urbain car il intéressait les jeunes voyageurs, qui pouvaient ramener dans leur pays un témoignage des lieux visités. Ces vues (vedute en italien) sont des représentations réalistes, aussi exactes que possible, du paysage urbain. L'objectif de fidélité se traduit par une méthode de travail à l'extérieur reposant sur l'observation et la prise de multiples croquis préparatoires. Le tableau est ensuite réalisé en atelier. L'artiste se réserve cependant une certaine liberté et il ne faut pas rechercher dans les vedute une parfaite exactitude topographique. Il s'agit de magnifier un paysage urbain.

Les historiens de l’art appelèrent védutisme cette peinture réaliste de la ville, dont Canaletto est incontestablement le représentant le plus emblématique. Son origine vénitienne le conduisit à multiplier les tableaux de la sérénissime République. L’entrée du Grand Canal est une œuvre de jeunesse puisque l’artiste a alors 33 ans ; mais il a déjà trouvé le style qui fera son succès. Le tableau a probablement été acquis par Hugh Edward (1675-1738) portraitiste et collectionneur, qui le transmit à ses héritiers. Il appartint ensuite aux comtes irlandais de Wicklow puis fut acquis par Sarah Campbell Blaffer (1885-1975), dont la famille avait fait fortune dans l’exploitation pétrolière. Elle donna le tableau au musée de Houston en 1955.

 

Analyse de l’œuvre

L’entrée du Grand Canal représente le tout début du canal principal sillonnant la ville de Venise, avec sur la gauche la basilique Santa Maria della Salute. La place Saint-Marc se trouve en face, de l’autre côté du canal.

 

 

Plan de l’entrée du Grand Canal

Plan de l’entrée du Grand Canal

 

Il est intéressant de comparer la composition d’ensemble du tableau de Canaletto à une photographie actuelle prise avec le même point de vue.

 

 

Photographie de l’entrée du Grand Canal aujourd’hui

Photographie de l’entrée du Grand Canal aujourd’hui

 

La répartition de l’espace est identique. Un axe de symétrie horizontal pourrait être placé approximativement à mi-hauteur. Deux éléments presque symétriques apparaissent alors : le ciel dans la partie supérieure et l’eau du canal dans la partie inférieure. La basilique à gauche et les palais vénitiens à droite séparent les deux espaces formés par l’eau et le ciel et suivent les lignes de fuite marquant la perspective linéaire. Canaletto a donc composé son paysage en respectant globalement les lois de l’optique. Si une photographie avait pu être prise à son époque du même endroit, elle aurait restitué une image proche du tableau du peintre.

Est-ce à dire que L’entrée du Grand Canal constitue une représentation topographique ? Certainement pas, car les paysagistes du 18e siècle ne travaillaient pas sur le motif. Canaletto disposait de multiples croquis préparatoires réalisés sur place et agençait son paysage urbain en les utilisant en atelier. La basilique a été traitée avec le plus grand réalisme, mais il n’en est sans doute pas de même de la succession des palais situés à droite, pour lesquels l’artiste a pu rester approximatif. De même, toutes les embarcations, gondoles et navires marchands, ont été placées selon la fantaisie du peintre afin d’animer fortement la composition. Cette liberté permettant de transformer marginalement un paysage réel dans un but esthétique caractérise la création picturale. Un photographe, sans retraitement de l’image après la prise, ne peut que capter un instant du réel.

 

 

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

 

Un autre aspect de cette liberté du peintre réside dans le traitement de la lumière. Canaletto crée une atmosphère limpide qui ne reflète pas une journée nuageuse sur Venise. Le ciel couvert permet des dégradés de bleu et de blanc, choix chromatique plus riche qu’un ciel uniformément bleu. Pourtant, le canal et ses gondoles semblent en pleine lumière. La petite portion ombragée du paysage se situe à l’extrême-gauche, ce qui suppose que le soleil n’est pas à la verticale, mais à gauche. Dans ce cas, l’ombre de la basilique devrait apparaître sur le canal, mais il n’en est rien. Canaletto prend des libertés avec la lumière solaire afin d’obtenir une composition lumineuse. Son évolution vers une luminosité forte peut être appréciée en comparant L’entrée du Grand Canal et un autre tableau sur le même thème datant de 1723, Le Grand Canal vu du Campo San Vio. Au 19e siècle, les impressionnistes iront beaucoup plus loin et inonderont parfois leurs paysages de lumière, mais en arguant qu’il s’agit de leur perception et non d’une simple représentation.

 

 

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

 

Lorsque Canaletto peint cette vue du Grand Canal, la basilique Santa Maria della Salute est encore récente. Sa construction fut décidée en 1630 et se termina en 1687. Cette église octogonale a été maintes fois représentée car son emplacement le long d’un canal fréquenté par des gondoles constitue un paysage urbain unique. Canaletto a fidèlement représenté l’architecture de la basilique comme on peut le voir en comparant une photographie actuelle et la basilique figurant sur le tableau.

 

 

Basilique Santa Maria della Salute aujourd'hui

Basilique Santa Maria della Salute aujourd'hui

 

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

 

L’une des originalités architecturales de la basilique apparaît nettement sur la toile. Il s’agit des orecchioni (grandes oreilles), volutes de pierre surmontées de statues et entourant le dôme.

 

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

Canaletto. L’entrée du Grand Canal, Venise, détail

 

Canaletto a donc su combiner, pour la première fois dans l’histoire de l’art, l’ambition du paysage idéal et le réalisme de la représentation de la ville. C’est exactement ce que souhaitaient ses commanditaires : rapporter de leur voyage une image vraie mais très belle du lieu de leur séjour. Nous n’avons pas changé de ce point de vue avec nos photographies et vidéos de voyage. Mais un grand artiste dépasse toujours la simple représentation. Il nous propose sa perception de la nature qui l’entoure ou de son monde intérieur. Quelle que soit l’époque, quelles que soient les contraintes académiques ou l’absence totale de contraintes académiques, comme au 21e siècle, un artiste exprime son être à travers son œuvre. La Venise de Canaletto est à la fois une Venise réelle et idéalisée. La précision du trait, la pureté de l’atmosphère, la profondeur des perspectives sont toujours au rendez-vous. Le paysage représenté est plus beau que son modèle, car c’est ainsi que le peintre le perçoit.

 

Autres compositions sur le même thème

Le paysage urbain vénitien inspire les peintres, surtout à partir du 18e siècle. Canaletto, Bellotto, Guardi peignent le Grand Canal. Les tableaux vénitiens de William Turner marquent une rupture stylistique majeure. Monet, Signac suivront sa trace. La cité des Doges continue aujourd’hui à inspirer les artistes comme en témoigne la magnifique perspective lumineuse d’Henri Le Goff sur le Grand Canal.

 

Canaletto. Le Grand Canal vu du Campo San Vio (1723)Canaletto. Le Grand Canal vu du Campo San Vio (1723)
Huile sur toile, 144 × 207 cm, Museo del Settecento Veneziano, Ca 'Rezzonico, Venise.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Canaletto. Le Grand Canal vu du Pont Rialto, 1735Canaletto. Le Grand Canal vu du pont du Rialto (1735)
Huile sur toile, 144 × 207 cm, Ca 'Rezzonico, Venise.

Bernardo Bellotto. Le Grand Canal à Venise (v. 1736-40)Bernardo Bellotto. Le Grand Canal à Venise (v. 1736-40)
Huile sur toile, 79 × 121 cm, musée des Beaux-arts de Lyon.

Francesco Guardi. Le Grand Canal avec le pont du Rialto (v.1780)Francesco Guardi. Grand Canal avec le pont du Rialto (v.1780)
Huile sur toile, 68,5 × 91,5 cm, National Gallery of Art, Washington.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Paul Signac. Grand Canal, Venise (1905)Paul Signac. Grand Canal, Venise (1905).
Huile sur toile, 73 × 92 cm, Toledo Museum of Art, Ohio.

Claude Monet. Le Grand canal à Venise (1908)Claude Monet. Le Grand canal à Venise (1908)
Huile sur toile, 74 × 92 cm, Museum of Fine Arts, Boston.

Henri Le Goff. Venise, Le Grand Canal (2010)Henri Le Goff. Venise, Le Grand Canal (2010)
Huile sur toile, 61 × 46 cm, collection particulière.

 

Commentaires

  • Auzanneau
    • 1. Auzanneau Le 07/03/2023
    grâce à vous je vais slay mon oral d'histoire des arts. BISOUS

Ajouter un commentaire