William Bouguereau. La vague (1896)

 
 

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Patrick AULNAS

La peinture dite académique conserve une grande importance au 19e siècle. Elle est l’héritière du classicisme français, dont les normes avaient été fixées par l’Académie royale de peinture et de sculpture sous le règne de Louis XIV (1654-1715). William Bouguereau (1825-1905) fut le peintre le plus emblématique de cet académisme tardif, moqué par les intellectuels de l’époque. Il est pourtant un grand peintre qui respecte les contraintes techniques de l’académisme mais qui se libère parfois de sa thématique.

 

William Bouguereau. La vague (1896)

William Bouguereau. La vague (1896)
Huile sur toile, 121 × 160,5 cm, collection particulière.
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Bouguereau, artiste à la mode, détesté par l’intelligentsia de l’époque

La vague parait aujourd’hui étrangement moderne et pourrait presque passer pour un tableau hyperréaliste. Pourtant, la peinture de Bouguereau, qui comportait beaucoup de nus mythologiques, était vilipendée par les plus grands critiques et écrivains. Leur lucidité concernant les innovations artistiques de la fin du 19e siècle, l’impressionnisme en particulier, les empêchait de constater simplement le talent de Bouguereau. Ils ne voyaient que l’académisme haï et les applaudissements des bourgeois.

William Bouguereau, membre de l’Institut, professeur à l’École des Beaux-arts, plaît en effet à la bourgeoisie du 19e siècle. Avec lui, elle peut s’offrir des nus féminins respectables parce que mythologiques et des portraits d’enfants un peu larmoyants. L’esthétique académique, vieille de plusieurs siècles, a conquis tous les esprits. On croit savoir définitivement ce qui est beau. Aussi Bouguereau produit-il beaucoup (plus de 800 toiles) et expose à tous les salons officiels avec succès.

Les intellectuels les plus clairvoyants dans le domaine artistique vont donc se faire un plaisir de moquer ce peintre si apprécié de tous ceux qui se gaussent des impressionnistes. Ainsi, à propos du salon de 1875, Émile Zola considère-t-il les toiles de Bouguereau et Cabanel comme « le triomphe de la propreté en peinture, des tableaux unis comme une glace, dans lesquels les dames peuvent se coiffer ». Octave Mirbeau, fervent défenseur des impressionnistes, suggère un nouveau lieu pour la peinture académique : « Pourquoi n’exposerions-nous pas dans les égouts ? […] On pourrait bien y accrocher du Bouguereau, ce semble. »

Le passage du temps nous permet aujourd’hui de dépasser les outrances de l’époque. Nous pouvons apprécier Monet, Van Gogh, Cézanne, mais aussi Bouguereau.

 

Analyse de La vague de William Bouguereau

Une personne qui ne possède pas de culture artistique considèrera spontanément La vague comme l’expression de la beauté et du bonheur. Un tableau aussi remarquable n’a pu être déprécié que par des esthètes cultivés plaçant leur réputation ou leur raison au-dessus de leur émotion et abandonnant ainsi toute spontanéité.

Bien entendu, à la même époque, Van Gogh ne parvenait pas à vendre ses toiles, Monet émergeait de l’ostracisme dont on l’accablait. Bouguereau se place dans l’esthétique de la représentation qui est celle qui domine la peinture occidentale depuis le 15e siècle. Il cherche à peindre une jeune femme comme une photographie couleur pourrait la capter. Il ne s’intéresse pas à l’esthétique de la perception qui avait pris naissance dans le courant du 19e siècle, avant même les impressionnistes. En 1835, Turner peignait ainsi le Grand Canal de Venise de façon nettement pré-impressionniste. Mais il n’y a pas de progrès dans le domaine artistique, sinon un certain progrès technique mis à la disposition des créateurs par la science. Il n’est donc pas choquant de chercher à peindre comme Nicolas Poussin à la fin du 19e siècle. Encore faut-il y parvenir.

Bouguereau, justement, possède à merveille cette technique picturale. Il veut l’utiliser pour nous raconter la beauté et l’émotion. La beauté des femmes, les émotions des visages d’enfants, la grâce des scènes mythologiques et religieuses qui ne pouvaient que toucher le public dans un pays catholique pétri de culture gréco-latine.

La vague est un chef-d’œuvre car l’artiste utilise une technique classique et parfaitement maîtrisée pour composer le portrait d’une jeune femme nue prenant un plaisir sensuel à se baigner dans la mer. Le sujet est provocateur à la fin du 19e siècle. Les bains de mer féminins avaient lieu dans des cabines spécialement aménagées et les baigneuses étaient habillées. Un tel tableau constitue donc pour le bourgeois de l’époque une œuvre particulièrement érotique.

 

William Bouguereau. La vague, détail (1896)

William Bouguereau. La vague, détail (1896)

 

Mais le plus important est ailleurs : la belle est heureuse et nous transmet son bonheur par le regard. La célébrité du tableau n’a pas d’autre explication : le spectateur est immédiatement séduit par cette femme dont la sensualité invite au bonheur de vivre. Le caractère ludique de la baignade constitue une autre invitation. En combinant habilement sensualité, émotion et jeu, Bouguereau dépasse la simple représentation d’une jeune femme et transmet à l’observateur une émotion forte et complexe. L’aspect académique vient de la touche parfaitement lissée, des contours apparents, du cadrage minutieux. Bouguereau travaillait comme les anciens en commençant par des études sur papier. Voici une esquisse de La vague dans laquelle la posture définitive du modèle a été trouvée mais pas encore la coiffure :

 

William Bouguereau. La vague, étude (1896)

William Bouguereau. La vague, étude (1896)

Dessin à la mine de plomb sur papier bleu-gris, collection particulière.

 

Une telle composition est l’exact opposé de ce que recherchaient les artistes novateurs de l’époque. Aujourd’hui, nous pouvons l’accepter sans arrière-pensées avant-gardistes et profiter simplement de la beauté vue par un grand artiste du passé.

La qualité de l’œuvre n’a pas échappé au monde de la production et du commerce. La marque Zazzle a ainsi créé une collection de tee-shirts La vague.

 

Quelques aspects de l’œuvre de William Bouguereau

Bouguereau avait un talent comparable à celui d’Ingres auquel il emprunte un art du portrait classique parfaitement lissé (Mademoiselle Pauline Brissac, La comtesse de Cambacérès). La critique portait surtout sur ses scènes religieuses et mythologiques qui relèvent effectivement de l’activité commerciale et paraissent très archaïques dans la seconde moitié du 19e siècle (Dante et Virgile aux enfers, La naissance de Vénus). Les scènes de genre avec enfants ou les portraits d’enfants cherchaient évidemment à susciter l’émotion et y parvenaient très bien (Yvonnette, Enfant à la tasse de lait, Les cueilleuses de noisettes). Bouguereau a également peint beaucoup de nus féminins dans le style de La vague, mais souvent plus conventionnels ou comportant un prétexte mythologique (La naissance de VénusJeune fille se défendant contre l’amour). Il faut remarquer particulièrement L’Océanide, du musée de La Rochelle, qui marque une évolution stylistique très nette. Nous sommes en 1904, un an avant la mort du peintre. Celui-ci n’a plus rien à prouver ni à redouter. L’impressionnisme est désormais accepté et le fauvisme va défrayer la chronique au salon d’automne 1905. Bouguereau crée en toute liberté un tableau quasi-impressionniste.


William Bouguereau. Dante et Virgile aux enfers (1850).

William Bouguereau. Dante et Virgile aux enfers (1850)
Huile sur toile, 280,5 × 225,3 cm, musée d’Orsay, Paris.
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William Bouguereau. Portrait de Mademoiselle Pauline Brissac (1863)

William Bouguereau. Portrait de Mademoiselle Pauline Brissac (1863)
Huile sur toile, 91 × 71 cm, collection particulière.


William Bouguereau. Yvonnette (1867)

William Bouguereau. Yvonnette (1867)
Huile sur toile, 64 × 40,5 cm, collection particulière.


William Bouguereau. Enfant à la tasse de lait (1874)

William Bouguereau. Enfant à la tasse de lait (1874)
Huile sur toile, 98 × 62 cm, Art Museum, Cincinnati.


Bouguereau. La naissance de Vénus (1879)

William Bouguereau. La naissance de Vénus (1879)
Huile sur toile, 300 × 215 cm, Musée d'Orsay, Paris


William Bouguereau. Jeune fille se défendant contre l’amour (1880)

William Bouguereau. Jeune fille se défendant contre l’amour (1880)
Huile sur toile, 81,6 × 57,8 cm, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles.
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William Bouguereau. Les cueilleuses de noisettes (1882)

William Bouguereau. Les cueilleuses de noisettes (1882)
Huile sur toile, 87,6 × 134 cm, Detroit Institute of Arts, Detroit.
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William Bouguereau. Portrait de la comtesse de Cambacérès (1895)

William Bouguereau. Portrait de la comtesse de Cambacérès (1895)
Huile sur toile, 121 × 90 cm, Seattle Art Museum, Seattle.


William Bouguereau. L’Océanide (1904)

William Bouguereau. L’Océanide (1904)
Huile sur toile, 96 × 204 cm, musée des Beaux-arts de La Rochelle.


 

Commentaires

  • Godefroy Dang Nguyen
    • 1. Godefroy Dang Nguyen Le 24/07/2019
    Merci pour la réhabilitation de ce peintre qui, malgré tout, recèle beaucoup d'ambiguïtés (je me permets un commentaire personnel)

    Côté positif une technique sans faille c'est vrai, très impressionnante et très spectaculaire. Incontestablement il fait à la main (et beaucoup mieux) ce que les photographes de l'époque font en un clic. Longtemps la peinture a été vue comme une imitation de la Nature (depuis Giotto en fait) et Bouguereau semble marquer la fin en même temps que l'apothéose (de son point de vue) de cette époque multiséculaire. On ne pourra pas faire mieux après.

    Mais côté négatif, peu d'invention. Dali saura utiliser une technique aussi incomparable au profit de visions nettement plus originales.

    Disons que comme Bouguereau travaillait pour des bourgeois qui payaient bien, il n'a pas fait beaucoup d'effort d'imagination. C'est ce que l'on peut lui reprocher. Qu'en pensez vous?
    • rivagedeboheme
      • rivagedebohemeLe 24/07/2019
      Je suis d’accord avec vous. Il voulait vendre et faisait ce qui plaisait à 95% de la clientèle : l’académisme.
      Mais plus généralement, je pense que l’académisme, le romantisme et le réalisme représentent la dernière étape de la peinture occidentale traditionnelle. Avec l’impressionnisme, commence une ère nouvelle. La convention académique, axée sur le respect de normes définissant le beau et le vrai, a vécu. La remplace une convention d’originalité qui impose à l’artiste d’innover en dehors de toute contrainte préétablie.
      L’ancienne convention de conformité avait l’avantage de la clarté. Chacun pouvait donner un avis assez objectif sur son respect ou sa transgression, puisque des normes existaient. La convention d’originalité est entièrement entre les mains des professionnels de l’art (galeristes, salles des ventes, collectionneurs, critiques, experts, etc.). Ils décident de ce qui est innovant et si un certain consensus apparaît sur le marché, l’artiste est consacré pour la seule raison que ses prix sont élevés (par exemple Jeff Koons).
      Autrement dit, désormais le goût d’un petit nombre de personnes définit la créativité artistique sans qu’aucun élément objectif puisse venir contrecarrer leur appréciation.
      Bouguereau est resté jusqu’à la dernière limite historique dans le respect de la convention académique à laquelle adhérait encore un large public. C’est ce qui fait son charme tout à fait désuet. Quant aux appréciations de l’intelligentsia de l’époque, on voit bien aujourd’hui tout leur ridicule…
      Je pense que beaucoup de critiques laudatives sur l’art contemporain actuel suivront la même voie dans quelques décennies.

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