Piero della Francesca. Le baptême du Christ (1448-50)

 
 

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Patrick AULNAS

Piero della Francesca, l’un des plus grands peintres du 15e siècle, est aussi à son époque un mathématicien reconnu. Il a écrit, en particulier, un traité intitulé De la perspective en peinture. Pour la construction de ses tableaux et fresques, il applique des règles mathématiques qui se résument bien souvent au 15e siècle à des questions de proportion entre les différentes parties de l’œuvre. Mais ce qui nous paraît aujourd’hui une mathématique simpliste était considéré comme très « savant ».

 

Piero della Francesca. Le baptême du Christ (1448-50)

Piero della Francesca. Le baptême du Christ 1448-50)
Tempera sur bois de peuplier, 167 × 116 cm, National Gallery, Londres.
Image HD sur National Gallery et Wikimedia

Contexte historique

Au tout début du 15e siècle, l’architecte florentin Filippo Brunelleschi (1377-1446) avait théorisé la perspective linéaire. Masaccio (1401-1428) s’appuiera sur les leçons de Brunelleschi pour élaborer les premiers tableaux italiens traitant correctement l’effet de perspective.  En 1435, Leon Battista Alberti (1404-1472), philosophe, mathématicien et architecte, écrit un traité intitulé De pictura (La peinture) où il formalise les règles de la perspective pour les peintres.

Piero della Francesca, né en 1416, fils d’un riche marchand d’étoffes, a été confronté dès son enfance à la comptabilité et à l’arithmétique. Son génie de peintre et sa culture mathématique rencontrent donc les préoccupations de l’époque. Il cherchera toujours dans les formes naturelles leurs aspects géométriques. L’analyse de ses peintures permet de découvrir des figures : cercles, cubes, cylindres, cônes, ellipses.

Le baptême du Christ date de la fin de la décennie 1440-1450. Il s’agit de la partie centrale d’un polyptyque et de l’une des œuvres connues les plus anciennes de Piero della Francesca. Les panneaux latéraux et les prédelles ont été peints plus tard (vers 1465) par Matteo di Giovanni (v. 1430-1495). Le commanditaire était l’abbaye de l’ordre Camaldule (moines bénédictins) de la ville natale du peintre, Sansepolcro (Toscane). A l’origine, le polyptyque ornait la chapelle Saint Jean-Baptiste de l’église de cette abbaye, devenue aujourd’hui cathédrale.

Analyse de l’œuvre

Le baptême selon les Évangiles

Le baptême du Christ est mentionné dans les quatre Évangiles. Selon Luc, Jean-Baptiste impose sa main sur la tête de Jésus immergé dans les eaux du Jourdain. La colombe du Saint-Esprit plane dans le ciel duquel une voix descend : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. » Ce baptême marque le début de la vie publique du Christ. Le baptême par immersion a été abandonné au 13e siècle et remplacé par le baptême par infusion ou aspersion qui consiste à verser de l’eau sur la tête de la personne que l’on baptise.

Description du tableau

Le tableau de Piero delle Francesca illustre l’évènement biblique. Au premier plan, saint Jean-Baptiste verse de l’eau du Jourdain sur la tête du Christ. Le fleuve est schématisé par un S inversé. La colombe symbolisant le Saint-Esprit a été placée au-dessus de la tête du Christ. A gauche du Christ, un arbre permet de marquer nettement la dissymétrie de la composition. Trois anges apparaissent à gauche de l’arbre, chacun d’entre eux étant singularisé par une attitude et des vêtements spécifiques. Mais leur visage est strictement identique comme dans toutes les peintures de l’époque. L’ange de droite regarde vers le spectateur du tableau, créant ainsi un lien.

 

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Au deuxième plan un jeune homme se déshabille pour recevoir le baptême. Au troisième plan, trois dignitaires religieux en costume byzantin évoquent sans doute l’Orient dans l’esprit du peintre. La taille des personnages diminue en fonction, de leur éloignement, ce qui constitue une mise en œuvre des concepts perspectivistes maîtrisés par l’artiste. Comme dans tous les tableaux de l’époque, qu’ils soient flamands ou italiens, le paysage correspond à celui dans lequel vit le peintre. Il s’agit donc ici de la campagne toscane dans laquelle a été placée une petite bourgade médiévale qui ressemble sans doute à Sansepolcro, ville dans laquelle le tableau a été peint.

Un chef-d’œuvre de limpidité et d’organisation spatiale

L’observateur est immédiatement frappé par la limpidité du tableau. La lumière, en provenance de la droite, éclaire les personnages et le paysage. Piero a utilisé les ombres sur les corps et le tronc d’arbre pour créer un effet de volume. Les corps opalescents restent proches de la statuaire et conservent une solennité que renforce le sérieux imperturbable des visages à l’expression introvertie. Cette caractéristique psychologique domine la peinture jusqu’au baroque à la fin du 16e siècle.

 

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Les couleurs claires viennent accentuer la luminosité. Piero della Francesca a été l’élève de Domenico Veneziano, grand coloriste vénitien, qui remplissait ses peintures de couleurs pastel d’une grande douceur.

Le tableau est découpé en deux zones horizontales (le ciel et les personnages) et trois zones verticales. L’immensité du ciel constitue une innovation. Il occupe à peu près la moitié de la hauteur totale, ce qui n’existait pas dans la peinture antérieure. La ligne d’horizon est ainsi placée à mi-hauteur et les têtes du Christ et de Jean-Baptiste, ainsi que le geste du baptême, se dessinent sur fond de ciel bleu. L’impression d’espace s’ajoute ainsi à la luminosité intense pour créer la première scène d’extérieur vraiment ressentie comme telle de la peinture italienne.

Les trois zones verticales constituent l’aspect narratif de l’œuvre. A gauche, la première zone est délimitée par l’arbre et représente le monde divin où vivent les anges. Au centre, le baptême du Christ symbolise la mission que Dieu confie à son fils dans monde terrestre. A droite de Jean-Baptiste, apparaît le monde d’avant le baptême avec un catéchumène qui se déshabille.

Le mathématicien Piero della Francesca a utilisé son savoir pour introduire des proportions rigoureuses dans le format et peut-être dans la composition de son tableau (voir ci-après). Mais deux éléments simples permettent d’appréhender cet aspect mathématique. Le dessin du bol en bois utilisé par Jean-Baptiste respecte rigoureusement la représentation en perspective d’un cercle légèrement incliné. La colombe, vue de face, est parfaitement symétrique et l’axe de symétrie a été placé au milieu du corps du Christ qui est aussi le milieu du tableau.

 

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Piero della Francesca. Le baptême du Christ, détail

Format et analyse géométrique

Il est très probable que le rectangle dans lequel s’inscrit le tableau respectait à l’origine les proportions du format A4 (21 × 29,7 cm). Ce format est conçu de la façon suivante : le rapport entre longueur et largeur est égal à √2 soit environ 1,41421356.

Ainsi : 29,7 / √2 = 21

Ce rapport a été qualifié au début du 20e siècle de « porte d’harmonie » par le peintre nabi Paul Sérusier. Il ne faut pas le confondre avec le nombre d’or qui correspond à un rapport entre longueur et largeur du rectangle de (1+ √5)/2 soit environ 1,618033. Ce nombre d’or a également été fréquemment utilisé en peinture et architecture.

Le baptême du Christ mesure actuellement 167 × 116 cm. Il est constitué de deux planches de peuplier au veinage vertical. Or, le bois en séchant se rétracte beaucoup dans le sens transversal du fil. Il est vraisemblable qu’au début du 15e siècle, la dimension du panneau était approximativement 167 × 118 cm soit le format de la porte d’harmonie : 167 / √2 = 118

Un tel format a de nombreuses propriétés mathématiques. Par exemple, en divisant par deux la longueur et la largeur, on obtient un nouveau rectangle du type porte d’harmonie :

167/2 = 83,5

118/2 = 59

83,5 / √2 = 59

Certains analystes ont montré que la composition du Baptême du Christ s’inscrivait dans des formes mathématiques (rectangles et cercles) utilisant systématiquement le rapport √2. Voir Piero et le Baptême du Christ

 

Autres compositions sur le même thème

Le thème du baptême du Christ apparaît dès le Moyen Âge, mais se développe au 15e siècle. Il inspirera les peintres jusqu’au 19e siècle.

Verrocchio & Vinci. Le baptême du Christ (1472-75)

Verrocchio & Vinci. Le baptême du Christ (1472-75). Huile sur bois, 177 × 151 cm, Galerie des Offices, Florence. Le tableau a été réalisé par Andrea del Verrocchio, le maître de Léonard, et ses assistants. On attribue l'ange agenouillé le plus à gauche à la main de Vinci. La légende veut que Verrocchio, se sentant surpassé par son élève, n'ait plus jamais touché un pinceau par la suite.

Image HD sur GOOGLE ARTS & CULTURE

Le Pérugin. Chapelle Sixtine. Le baptême du Christ, détail (v. 1482)

Le Pérugin. Le baptême du Christ, détail (v. 1482). Fresque de la Chapelle Sixtine. Le peintre s'est attaché à représenter fidèlement le corps humain tout en soignant l'élégance des postures et des gestes. Remarquer à l'arrière-plan un ensemble architectural totalement étranger à ce qui pouvait exister en Judée à l'époque romaine.

Bellini. Le baptême du Christ (1500-02)

Giovanni Bellini. Le baptême du Christ (1500-02). Tempera sur toile, 400 × 263 cm, Santa Corona, Vicenza. Jean-Baptiste, juché sur un rocher, verse l'eau du baptême sur la tête du Christ. A gauche, trois anges. Dans les cieux, Dieu le Père. Ce tableau est conservé dans l'église Santa Corona de Vicence, son emplacement initial.

Patinir. Le baptême du Christ (v. 1515)

Joachim Patinir. Le baptême du Christ (v. 1515). Huile sur bois, 59,5 × 77 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. Le grand paysagiste Patinir propose ici l’un de ses rares tableaux où les personnages jouent un rôle de premier plan.

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Ribera. Le Baptême du Christ (1643)

José de Ribera. Le Baptême du Christ (1643). Huile sur toile, 235 × 160 cm, Musée des Beaux-Arts, Nancy. Grand artiste du baroque espagnol, Ribera accentue l’expression des sentiments par la gestuelle et les mimiques. La neutralité expressive des siècles précédents disparaît.

Nicolas Poussin. Le baptême du Christ (v. 1657)

Nicolas Poussin. Le baptême du Christ (v. 1657). Huile sur toile, 96 × 135 cm, Philadelphia Museum of Art. Le grand maître du classicisme français choisit une scène de groupe pour traiter le sujet. Ce choix lui permet d’élargir le champ et de placer la scène dans un vaste paysage. La richesse chromatique et l’expressivité des personnages font de cette composition l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art pour cette thématique.

Jean-Jacques Lagrenée. Le baptême du Christ (1763)

Jean-Jacques Lagrenée. Le baptême du Christ (1763). Huile sur toile, 249,5 × 148 cm, musée des Beaux-arts de Tours.  Bien que daté de la fin du 18e siècle, ce tableau respecte sagement les canons du classicisme français du siècle précédent : composition pyramidale très équilibrée, chromatisme sobre, dessin apparent.

J-B. Corot. Le baptême du Christ (1847)

J-B Camille Corot. Le baptême du Christ (1847). Huile sur toile, 390 × 210 cm, église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris. La composition de Corot peut être comparée à celle de Giovanni Bellini, ci-dessus. Corot accentue le réalisme du paysage.

 

Commentaires

  • Godefroy Dang Nguyen
    • 1. Godefroy Dang Nguyen Le 09/07/2019
    Merci pour cette splendide analyse et ces rapprochements avec d'autres baptêmes!

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