Politique spectacle et discrédit des politiciens
21/07/2025
Patrick AULNAS
L’omniprésence médiatique a conduit les politiciens à nous offrir un spectacle permanent. En général ce spectacle comporte une confrontation verbale systématique avec les adversaires politiques et des déclarations enchaînant les clichés. Il ne faut certes pas mettre tous les élus dans le même sac. Mais comme les médias ont tendance à relayer l’outrance, l’impression d’ensemble est fortement défavorable. L’outrance appelant l’outrance, les politiciens recherchent le bon mot médiatique et sombrent ainsi dans une grossière caricature les réduisant au statut de pantins manipulés par les journalistes.
A posteriori, lorsque le rideau est tombé, il apparaît que tout cela vole très bas : déclarations absurdes, grossièretés censées faire « peuple » fleurissent comme les primevères au début du printemps. Trump a poussé plus loin le représentation théâtrale politicienne en dissociant totalement la fiction médiatique dont il est l’acteur et les décisions prises.
« Il faut désarmer Poutine »
Les déclarations publiques des leaders politiques révèlent une dérive de leur communication vers un narratif hors du réel. Tout se passe comme s’il s’agissait de créer une fiction à destination d’un public jugé réceptif au récit choisi. Voici deux exemples concernant l’agression russe en Ukraine.
Le 11/03/2025, Manuel Bompard, coordinateur national de La France insoumise (LFI), déclarait à la presse que les garanties de sécurité pour l’Ukraine passaient par « une politique de désarmement » des belligérants. Le jeudi 13/03/2025, Marine Le Pen déclarait à la chaîne CNews : « Donald Trump a été le seul à sembler souhaiter la paix en Ukraine […] L’Union européenne ne souhaite pas la paix mais la continuation de la guerre ».
Il est évident que Poutine n’acceptera jamais le moindre désarmement, toute sa politique extérieure consistant précisément à utiliser systématiquement la force. La paix est l’idéal de la plupart des humains. Mais dans la réalité, les dictateurs veulent la guerre car ils ont besoin d’ennemis pour se maintenir au pouvoir. Désarmer Poutine, l’UE souhaitant la guerre : quelles absurdités !
« Effacer le coût de la crise sanitaire »
La proposition la plus démagogique dans le domaine de la dette publique française a été faite par LFI en 2020. On pouvait lire sur le site internet du parti :
« Proposition de résolution déclarant la nécessité du rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne et de sa transformation en dette perpétuelle […] Cette proposition de résolution vise à transformer la dette actuelle des États en dette perpétuelle à taux nul par la banque centrale européenne (BCE), afin notamment d’effacer le coût de la crise sanitaire. »
Il n’est pas nécessaire d’être un économiste chevronné pour comprendre qu’il est impossible « d’effacer le coût de la crise sanitaire » par quelque moyen que ce soit. Cet épisode a bien eu lieu dans la réalité ; il a nécessité la mobilisation de moyens importants et il a rendu l’activité atone pendant plusieurs mois. Une manipulation financière ne pourra jamais « effacer » les conséquences de cette réalité vécue. Cette proposition appartient donc au domaine de la manipulation de l’opinion en utilisant une pseudo-technicité financière. Il est évident que s’il était possible d’annuler les dettes publiques par rachat de la Banque centrale, le procédé serait universellement utilisé. Il n’en est rien. Nous sommes dans la fiction politicienne du niveau roman de gare.
La grossièreté
La liste pourrait être longue. Petit échantillon. En 2008, au Salon de l’agriculture, Nicolas Sarkozy avait répliqué à un agriculteur : « Casse-toi pov’con ». En 2022, au cours de la pandémie de covid-19, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir « emmerder les non vaccinés… jusqu’au bout ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, au vocabulaire habituellement très châtié, avait donné un bon conseil à Jean-Luc Mélenchon le 06/12/2023 au micro de RTL : « Ferme ta gueule ». Le 30/10/2024, le député LFI Thomas Portes menace et insulte un député du Rassemblement national en séance publique : « Ferme ta gueule, toi ! On va s’occuper de toi ».
Est-ce bien nécessaire ?
Trump, le grand maître du spectacle de la démocratie déclinante
Donald Trump a porté très loin la mise en scène du spectacle politique. Il faut distinguer le Trump acteur devant les caméras et le Trump décideur que peu de personnes connaissent. Casquette MAGA vissée sur la tête, le comédien, plutôt bon en général, raconte des histoires simples à la portée d’un enfant de dix ans. Il connaît tout de la bêtise et de l’inculture de beaucoup de ses électeurs et leur parle un langage qu’ils comprennent. La vérité n’importe pas puisque nous sommes dans la fiction. Il est possible d’affirmer pendant la campagne électorale que le conflit Ukrainien sera résolu en 24 heures. Le comédien qui récite son texte sait qu’il n’en est rien. Le public cible demandant une vision optimiste de l’avenir, le spectacle politique doit lui apporter espoir et certitude. Il serait malvenu de ternir l’engouement général par des doutes et des complications inutiles. Tout doit rester simple et accessible.
Cette fiction électoraliste permet de renouer avec la grandeur américaine du 20e siècle lorsque les États-Unis construisaient la première puissance économique et militaire mondiale. Le slogan MAGA (Make America Great Again, Rendre sa grandeur à l’Amérique) est remarquablement adapté à ce qu’attendent les ouvriers, les artisans et les petits entrepreneurs qui votent pour Trump. Le président des États-Unis leur promet de revenir à l’époque mythique de la forte croissance économique et de la domination du monde, autrement dit de retourner vers le paradis perdu.
Cette époque est évidemment révolue. Pour l’avenir, la Russie compte assez peu. Elle peut seulement détruire l’humanité avec ses 6000 têtes nucléaires. Mais alors tout sera fini. Par contre, la Chine et l’Inde, avec leur 1,4 milliard d’habitants chacune, vont devenir des puissances majeures. La domination américaine s’achève, mais il s’agit pour Trump de construire une fiction à vocation électoraliste, d’offrir un spectacle réenchantant l’avenir.
Déclin de la démocratie libérale ?
Les politiciens des démocraties libérales en sont donc venus à manipuler les émotions des électeurs par des fictions à contenu politique. La raison n’a plus sa place lorsque, sur les réseaux sociaux, les invectives et les menaces dominent. L’outrance devient un moyen d’exister. L’analyse des faits ne compte plus car sa complexité éloignerait le public. Il faut créer un scénario comportant pseudo-évènements, rebondissements, répliques théâtrales. La réalité politique est alors l’apanage d’un petit nombre de personnes averties. Un gouffre s’est creusé entre l’apparence médiatique de la vie politique et les modalités de prise des décisions par les gouvernants.
La démocratie véritable suppose vérité, rigueur, capacité d’analyse, rationalité, etc. La politique spectacle, fondée sur le mensonge, l’émotion, le refus de tout raisonnement est profondément antidémocratique. Le discrédit des politiciens, devenus des harangueurs de foire, ne pourrait-il pas être concomitant du déclin de la démocratie occidentale ?
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