Macron, un bouc émissaire bien commode

21/10/2025

Patrick AULNAS

La sphère politico-médiatique a trouvé une cible : Emmanuel Macron. Il est apparemment responsable de tous les malheurs de la France. Comme les partis politiques, les grands médias s’alignent en effet sur la majorité de la population. Il faut attirer le public et ne surtout pas lui déplaire. La popularité du chef de l’Etat, mesurée par les instituts de sondage se situant autour de 22% d’opinions favorables, il s’agit donc de circonvenir les 78% restants.

Rien de très spécifique à cet égard pour l’actuel chef de l’État. François Hollande était à peu près au même niveau en 2017 à la fin de son premier mandat. La popularité de fin de mandat des présidents de la République a baissé dans le premier quart du 21e siècle. Nicolas Sarkozy recueillait encore 36% d’opinions favorables en 2012, mais c’était moins que Jacques Chirac.

Le président étant élu avec plus de 50% des suffrages exprimés, comment expliquer cette impopularité de fin de mandat ?

 

Un recul modeste en réalité

Tout d’abord, la majorité obtenue au second tour de l’élection présidentielle ne dit rien sur l’adhésion au programme ou à la personnalité du président. Au premier tour, les électeurs choisissent, au second tour, ils éliminent. Ce sont donc les résultats du premier tour qui constituent un indicateur de la popularité du président en début de mandat. Historiquement, ces résultats sont en baisse :

 

Résultats du premier tour de l’élection présidentielle en France

Président

Résultat 1er tour présidentielle

De Gaulle 1965

44,65%

Pompidou 1969

44,47%

Giscard d’Estaing 1974

32,60%

Mitterrand 1981

25,85%

Mitterrand 1988

34,11%

Chirac 1995

20,84%

Chirac 2002

19,88%

Sarkozy 2007

31,18%

Hollande 2012

28,63%

Macron 2017

24,01%

Macron 2022

27,85%

 

L’augmentation du nombre de candidatures au premier tour (6 en 1965, 12 en 2022) entraîne une dispersion des votes qui se portent en partie sur des candidats ne représentant pas un courant politique significatif. Le fait de voter pour un candidat n’ayant aucune chance de figurer au second tour est un critère de mécontentement voire de protestation.

Pour en revenir spécifiquement à Emmanuel Macron, sa victoire de 2022 provenait du « front républicain », c’est-à-dire d’une coalition de tous les partis de droite et de gauche contre Marine Le Pen. De nombreux électeurs se sont donc opposés à Marine Le Pen sans adhérer le moins de monde à Emmanuel Macron.

Passer d’un score de 27% en 2022 à 22% en 2025 constitue un recul modeste pour un second mandat.

 

Les inéluctables décisions impopulaires

Gouverner c’est décevoir. Un président de la République, en charge de l’intérêt général du pays, doit nécessairement prendre des décisions impopulaires. Il représente ainsi le bouc émissaire parfait. L’hypermédiatisation attise ce phénomène, en particulier l’importance prise par les réseaux sociaux dans les populations les moins cultivées. Le phénomène du bouc émissaire peut aller sur ces réseaux jusqu’aux manifestations verbales les plus ordurières permettant de se libérer anonymement de sa haine.

 

Les promesses démagogiques des populistes

Le populisme de droite ou de gauche, représenté en France par le Rassemblement National et La France Insoumise, consiste pour un parti à utiliser des promesses démagogiques s’adressant à une population très mal informée des réalités. Il s’agit de promettre tout et n’importe quoi pour conquérir un électorat aussi large que possible. Le populisme peut déborder sur les partis traditionnels.

Un seul exemple sera évoqué. Le phénomène populiste massif concernant la réforme des retraites en France est très significatif depuis de nombreuses années. Les données démographiques (vieillissement de la population), économiques (faible croissance) financières (financement par endettement) et géopolitiques (tous les pays augmentent l’âge de la retraite) sont sans appel. L’âge de départ à la retraite doit être augmenté. Mais bien évidemment, les sondages indiquent que cette mesure est impopulaire. On s’en doutait vaguement…

La concurrence effrénée entre les partis pour les votes et les sièges les conduit à rejeter cette réforme. Les politiciens démontrent ainsi avec une constance admirable qu’ils sont incapables de gérer correctement un régime quasi général par répartition. Entretenir l’illusion par le mensonge, c’est remettre en cause le principe même de la démocratie, qui suppose un débat honnête débouchant sur un compromis réaliste.

 

Croissance faible et espoirs déçus

L’aspect économique joue un rôle majeur. Il est assez facile de gouverner en période de forte croissance. Les trente années d’après-guerre, avec une croissance annuelle moyenne supérieure à 5%, permettaient d’accorder de nouveaux avantages sociaux (système de santé, de retraite, de chômage, d’allocations familiales financés collectivement, congés payés, etc.). La croissance actuelle de moins de 1% par an ne permet pas d’évolution perceptible du niveau de vie de la population sur la durée d’un mandat électoral. Il faut 70 ans pour que la richesse du pays double avec une croissance annuelle de 1% contre 15 ans avec une croissance annuelle de 5%. Les illusions entretenues par les politiciens concernant le « pouvoir d’achat » sont donc encore des mensonges.

La perception de stagnation du niveau de vie suscite une déception se portant sur les gouvernants. Certains partis chercheront évidemment un bouc émissaire : les riches, les immigrés. Mais les personnes en charge des décisions ont toutes les chances de devenir impopulaires et, dans un régime présidentiel ou semi-présidentiel, le président sera inévitablement ciblé.

 

Un profil que détestent les Français

Emmanuel Macron a réussi trop jeune, il est trop brillant, trop intelligent. Le Français moyen n’apprécie pas ce profil individuel. Le même phénomène s’était produit avec Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1981. Le franchouillard, caricaturé avec béret et baguette de pain sous le bras, abhorre ce type d’individu. Comme Giscard, Macron est capable d’expliciter oralement des problématiques complexes en quelques phrases qui apparaîtront lumineuses à certains, mais provocatrices à beaucoup. L’explicitation bien maîtrisée est perçue comme « surplombante », disent les politologues. Les Français apprécient davantage les discours métaphoriques cherchant à les tromper, mais touchant leur sensibilité, que la rationalité, fût-elle pédagogiquement brillante.

Comme par ailleurs, Emmanuel Macron n’a jamais eu le goût du jeu médiatique, peu de journalistes l’apprécient. Les rapports distants de l’actuel président avec les professionnels des médias lui ont valu le qualificatif de personnage « isolé » à l’Élysée. Le nombre de conseillers d’un président et son implication internationale sont tels que ce qualificatif est évidemment absurde.

 

Manœuvres tactiques et promesses irréalisables

La dissolution de l’Assemblée nationale en 2024 est évoquée à satiété comme une « erreur » dans tous les médias. Le phénomène majeur, sans rapport avec la dissolution, est peu abordé : la majorité écrasante que détient la droite en France et le paradoxe démocratique de son éviction du pouvoir.

Un sondage IFOP de septembre 2025 permet d’apprécier les rapports de force politiques. Selon les hypothèses testées pour une éventuelle présidentielle en 2025, la gauche (Mélenchon, Roussel, Glucksmann, Faure, Arthaud) se situe entre 26 et 34%, la droite (Retailleau, Villepin, Dupont-Aignan, Le Pen, Bardella, Zemmour) entre 53 et 65%, le centre (Philippe, Attal, Darmanin, Bayrou) entre 3 et 19%.

Seule la désunion des droites permet au centre de se maintenir au pouvoir. La gauche, très faible, ne peut y prétendre. La responsabilité de cette situation incombe aux leaders des partis de droite, en particulier ceux du Rassemblement national, parti le plus puissant électoralement. Le refus de ce parti de s’autodésigner comme parti de droite par populisme empêche toute alliance. Le RN se considère comme un parti « national », adjectif vague et trompeur. La démagogie programmatique du RN lui interdit en effet de se situer à droite, en particulier ses promesses de dirigisme économique.

Les cadres des partis, avec leurs manœuvres tactiques et leurs promesses irréalisables, sont les véritables responsables de la situation délétère dans laquelle se trouve le pays. Attirer les électeurs et gagner des sièges est leur principale préoccupation. Emmanuel Macron a tenté de contourner ces leaders depuis 2017, mais la démagogie est inhérente au politique et elle revient en force aujourd’hui.

Ajouter un commentaire