Le lancinant problème des retraites en France : liberté ou égalité ?
05/11/2025
Patrick AULNAS
La France, contrairement à tous les autres pays, est empêtrée dans la problématique des retraites. Une énorme erreur historique a été commise lorsque le gouvernement socialiste a abaissé l’âge de la retraite à 60 ans en 1982. Nous ne parvenons pas à redresser la situation malgré de nombreuses tentatives partielles depuis plusieurs décennies. Les partis politiques de gauche, alliés au Rassemblement national, s’accrochent à cet archaïsme démographique et économique pour des raisons purement électorales.
Ceux qui bloquent toute évolution condamnent à terme le régime par répartition qui règne en France. Ils n’en ont cure car ce sont des politiciens qui réfléchissent… politiquement.
Tentons de dresser un panorama de la situation d’ensemble.
Le péché originel et l’incapacité des politiciens à réformer
Le péché originel remonte à 1982, lorsque François Mitterrand a abaissé l’âge de la retraite dans le secteur privé de 65 à 60 ans. Tout le monde savait, y compris Mitterrand, qu’il s’agissait d’une erreur historique puisque l’allongement de l’espérance de vie, très rapide depuis 1945, interdisait une telle mesure. Mais la démagogie politicienne l’a emporté. Le parti socialiste avait besoin de la tranche d’âge 50-65 ans pour conquérir le pouvoir. La promesse de retraite à 60 ans a joué un rôle majeur. La réforme adaptée à l’évolution démographique et économique (baisse du taux de croissance à partir de 1975) consistait à augmenter l’âge de la retraite de 60 à 65 ans dans le secteur public. Nous serions aujourd’hui en excellente posture sur la question des retraites et nous aurions évité les interminables et ridicules débats politiciens sur le sujet.
Depuis cette grave erreur historique, les gouvernements successifs ont tenté de limiter les dégâts. La gauche, restant accrochée au totem mitterrandien, s’oppose à tout réalisme. François Hollande avait pourtant tenté d’aller dans le bon sens avec la réforme dite Touraine de 2014, mais sa majorité était divisée sur ce point, la gauche du parti socialiste et l’extrême-gauche exigeant un comportement démagogique par pur calcul électoral.
Emmanuel Macron, qui a été un compagnon de route des socialistes avant d’accéder à la présidence de la République, a toujours cherché à sauver le régime de retraite par répartition qui domine en France : projet de retraite par points de 2017 à 2022 puis recul de l’âge de départ à partir de 2022. Il s’agit probablement de la dernière tentative en ce sens. Les politiciens ont brillamment démontré leur incapacité à gérer un régime par répartition.
Répartition ou capitalisation : la réalité économique ne peut jamais être éludée
Qu’il s’agisse d’un régime par répartition ou par capitalisation, l’adaptation aux réalités économiques du présent est inéluctable. Mais il est beaucoup plus difficile d’adapter un régime par répartition du fait de ses implications électorales. Pour le comprendre, il convient d’expliciter sommairement les fondements de ces deux régimes.
Ce sont les actifs qui créent les revenus transférés aux retraités dans les deux cas. C’est une évidence rarement soulignée. Qui d’autre que la population active pourrait créer de la richesse ?
Dans un régime par répartition, les pensions de retraite proviennent directement de cotisations prélevées sur les revenus des actifs. Dans un régime par capitalisation, c’est le capital accumulé pendant sa vie active par le retraité qui produit une rente (basée sur des intérêts ou des dividendes). Mais bien évidemment, le capital ne produit de revenu que s’il est investi dans l’activité économique. C’est donc bien l’activité économique du moment présent (donc la population active) qui détermine le montant de la rente versée au retraité.
Il en résulte que les pensions de retraite, quel que soit le régime choisi, sont sensibles au niveau d’activité économique. En cas de forte récession, elles ne peuvent être maintenues au même niveau, qu’il s’agisse de répartition ou de capitalisation. La rente peut même totalement disparaître en régime par capitalisation si le fonds de pension est confronté à d’insurmontables difficultés par suite d’une crise économique profonde. Les entreprises dans lesquelles le fonds a placé les capitaux peuvent en effet être conduites à la faillite et disparaître. Le capital a aussi sa fragilité.
Une différence de fondement juridique
Mais alors, d’où provient la différence entre régime par répartition et régime par capitalisation ? Tout simplement de leur base juridique. Dans un système par répartition, c’est une réglementation, étatique en général (lois et règlements), qui détermine les cotisations prélevées sur les revenus des actifs et les prestations versées aux retraités. Le régime est donc par essence très sensible politiquement. Il faudra en effet l’adapter au réel (croissance économique et évolution démographique) par des lois et règlements. Les partis politiques rechigneront à une telle adaptation en cas de faible croissance et de vieillissement de la population car il faut alors baisser globalement les dépenses de retraites, ce qui est très impopulaire et pénalisant électoralement. Remarquons ici que l’augmentation de l’âge de départ à la retraite est la solution la plus efficace pour diminuer la charge globale de retraites. Ce report de l’âge permet à la fois de réduire le nombre de retraités et d’augmenter le nombre d’actifs, donc le montant global des cotisations retraites.
Un régime par capitalisation repose sur le droit de propriété. Les actifs versent des cotisations à un fonds de pension et, lorsqu’ils arrivent à l’âge de la retraite, reçoivent une rente calculée au prorata du capital accumulé. Ce système permet donc des arbitrages individuels. En théorie, il est possible de cotiser beaucoup ou peu pendant sa vie active afin de se constituer une retraite élevée ou modeste.
Un régime par répartition est donc collectiviste. C’est la classe politique qui décide de l’évolution des paramètres. Un régime par capitalisation fait une place beaucoup plus importante à la liberté individuelle. Mais c’est l’activité du présent qui détermine le montant des retraites. En cas de forte récession économique, les revenus d’activité diminuent. Les cotisations d’un régime par répartition diminuent donc et il faut baisser les retraites versées. Mais la rente produite par un capital accumulé baisse également ou même disparaît, en cas de forte récession puisque son montant est indexé sur le niveau de l’activité économique. Retraite par répartition et par capitalisation dépendent donc du taux de croissance économique. En cas de faible croissance, il est évident que les retraités, quel que soit le régime, seront affectés.
Les socio-démocrates et la lutte pour le pouvoir
Le régime par capitalisation est sensible aux aléas des marchés financiers mais, comme on le voit aujourd’hui, le régime par répartition est sous l’emprise de la démagogie politicienne. Si de nombreux politiciens défendent bec et ongles le régime par répartition, c’est bien entendu parce qu’il leur octroie le pouvoir de gestion de fonds tout à fait considérables. En France, les dépenses annuelles de retraites dépassent les 350 milliards d’€ pour un PIB de 2900 milliards.
La bataille entre répartition et capitalisation masque donc une lutte pour le pouvoir. Qui a le pouvoir de répartir les ressources produites par l’activité économique ? La préférence marquée des socio-démocrates pour les régimes par répartition résulte de leur conception de la démocratie. Pour eux, la légitimité démocratique doit englober l’ensemble du social et de l’économique. L’élection de dirigeants politiques est la seule source de pouvoir légitime. Cette concentration du pouvoir entre les mains des dirigeants politiques posent problème aux libéraux.
Pour les libéraux, le pouvoir doit être largement réparti pour préserver la liberté. La conception socialiste conduit à une douce tyrannie basée sur l’assistanat généralisé. Un pouvoir économique indépendant du politique est nécessaire pour maintenir la liberté. La propriété privée permet de résister à la tendance irrépressible des gouvernants à monopoliser le pouvoir. Le régime de retraite par capitalisation, fondé sur le droit de propriété, a donc leur préférence car il est le garant de la liberté de choix individuels.
Que faire ?
Il serait sans doute souhaitable d’utiliser les avantages des deux régimes sans se crisper pour des raisons idéologiques sur l’un d’entre eux. Le régime par répartition est fondé sur le principe de solidarité entre actifs et retraités. Il permet de maintenir un minimum de solidarité, même en cas de profonde récession. Il est donc intéressant de disposer d’un régime général par répartition couvrant l’ensemble de la population, mais à un niveau de retraite minimum à déterminer. Cette retraite serait la même pour tous et ne dépendrait pas du niveau des revenus d’activité. Elle permettrait de vivre très modestement : logement, nourriture, soins de santé, mais pas davantage.
Pour le surplus, la liberté individuelle pourrait jouer son rôle dans le cadre de régimes par capitalisation choisis par chacun. Il ne fait aucun doute que certains cotiseront beaucoup parce qu’ils le peuvent du fait de leurs revenus et parce qu’ils sont prudents et diligents. D’autres cotiseront faiblement parce que leurs revenus ne permettent pas davantage ou qu’ils ont un profil frivole et dépensier. La rançon de la liberté est un certain degré d’inégalité. Mais un minimum serait assuré à chacun par le régime de base par répartition.
Ainsi, le choix ultime est philosophique. Faut-il défendre la liberté au risque d’une certaine inégalité économique ou faut-il réduire les inégalités économiques par la violence légitime au risque d’annihiler la liberté ?
Ajouter un commentaire
Français
English
Español
Italiano
Deutsch
Nederlands
Portuguesa