Le front républicain, une médiocre tactique politicienne
05/12/2025
Patrick AULNAS
L’Assemblée nationale élue en juin 2024 résulte de la tactique des partis politiques qualifiée front républicain. Cette assemblée n’est nullement représentative du corps électoral. Les partis de gauche et du centre ont en effet réussi à réduire la représentation du Rassemblement national et ainsi à l’écarter de l’exercice du pouvoir. La tactique supplante ainsi la stratégie, ce qui est toujours incohérent.
La stratégie politique consiste en effet à prendre en considération les forces politiques réellement présentes dans la population et à composer une majorité de gouvernement capable d’agir. Aucune stratégie politique démocratique ne peut évincer une formation représentant entre 30 et 40% du corps électoral. Il s’agit de s’allier ou de s’opposer mais pas d’entraver la représentation correcte du corps électoral. Les petites habiletés tactiques relèvent de la médiocrité des états-majors des partis, soucieux de préserver leurs sièges.
L’élection des députés : le mode de scrutin
La loi électorale actuelle comporte une lacune permettant aux partis politiques de déformer la représentation. Les états-majors des partis peuvent ainsi contourner la vox populi.
Rappelons d’abord ce mode de scrutin. Il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours se déroulant dans 577 circonscriptions. Pour être élu dès le premier tour, il faut obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés et au moins 25% des électeurs inscrits. Si aucun candidat n’y parvient, un deuxième tour est organisé. Peuvent se présenter au deuxième tour tous les candidats ayant obtenu au premier tour 12,5% des inscrits. Est élu le candidat arrivant en tête (majorité relative).
Ce système est très démocratique puisqu’il permet aux candidats ayant obtenu un nombre très important de voix de se maintenir au second tour. Le calcul se faisant sur le nombre d’inscrits sur les listes électorales, il en résulte qu’il faut recueillir un nombre important de suffrages pour être présent au second tour. Les abstentions sont en effet très nombreuses. Avec une forte participation (70% des inscrits), il faut 18% des suffrages exprimés. Avec une faible participation (50%), il en faut 25%. Il n’est donc pas illégitime que ces candidats puissent se maintenir. Rappelons que depuis le début du 21e siècle l’abstention se situe au 1er tour des législatives entre 33% (2024) et 52,5% (2022).
La confiscation de la démocratie par les partis politiques : les désistements
Le jeu des désistements, organisés par les états-majors des partis, altère gravement le fonctionnement des élections législatives. Ces désistements ne sont prévus par aucun texte mais résultent de la tactique politicienne.
Qu’est-ce qu’un désistement ? Lorsque trois ou quatre candidats sont élus pour figurer au second tour, le troisième (parfois aussi le quatrième) renonce à se présenter. Seuls deux candidats restent en lice. Ce désistement n’émane pas de la volonté individuelle du candidat mais d’une tactique électorale définie par l’état-major du parti. Il s’agit en général de faire battre l’un des deux candidats arrivés en tête au premier tour par report des voix du candidat se désistant. (Voir en annexe un exemple chiffré très simple)
Une telle manœuvre peut être analysée comme un contournement tactique de la volonté du peuple par les partis. S’il fallait choisir entre deux candidats au second tour, la loi électorale devrait le prévoir, comme pour l’élection présidentielle. Mais il n’en est rien.
La loi reste muette sur les désistements mais oblige les candidats au second tour à déposer à nouveau une candidature. Cette formalité permet aux états-majors des partis d’interdire à leurs candidats de se présenter et favorise ainsi le système des désistements. Il suffirait de supprimer cette obligation de renouvellement de candidature pour rendre beaucoup plus difficile un éventuel désistement. Tous les candidats obtenant 12,5% des inscrits au premier tour seraient automatiquement candidats au second tour et la loi pourrait l’indiquer. La volonté du corps électoral ne pourrait plus être bafouée par quelques dizaines de dirigeants de partis politiques.
Le sénateur Stéphane Le Rudulier (groupe Les Républicains) a présenté une proposition de loi en ce sens.
L’Assemblée nationale élue en juin 2024 ne correspond pas à la vox populi
Le résultat des élections législatives du juin 2024 a été totalement déformé par les désistements. La pagaille qui règne actuellement à l’Assemblée nationale en est la conséquence. Il s’agissait pour les partis de gauche et du centre d’empêcher le Rassemblement National (RN) d’obtenir une majorité, même relative. 217 candidats qualifiés pour le second tour se sont désistés, dont 130 appartenant à la coalition Nouveau Front Populaire (NFP) et 81 à la coalition Ensemble, correspondant à la majorité présidentielle.
Cette tactique électorale a été baptisée front républicain par les partis, laissant ainsi entendre que le RN ne faisait pas partie de la République. Évidemment, il s’agit d’une simple manipulation du vocabulaire pour construire une fiction politicienne. Mais ce manque de respect des électeurs a abouti à une assemblée sans majorité, incapable de soutenir un gouvernement.
Le RN est quand même devenu le groupe le plus important avec 123 députés. Il en aurait eu beaucoup plus sans les désistements, mais sans atteindre la majorité absolue. Que se serait-il passé dans cette hypothèse ? Le président de la République aurait dû nommer un Premier ministre issu du RN, à charge pour ce dernier de constituer une coalition pour gouverner. Le RN aurait été contraint de renoncer à ses promesses irréalisables ou d’avouer son incapacité à trouver des alliés. Il est de beaucoup préférable de mettre un parti populiste au pied du mur en l’obligeant à composer avec le réel que de fuir tactiquement la représentation véritable du corps électoral.
Le front républicain ou le déni de réalité
La tactique partisane qualifiée front républicain constitue une erreur majeure car elle provoque une distorsion croissante entre le pays légal et le pays réel. Elle ne pourra pas se poursuivre durablement. Elle n’est qu’une petite habileté des dirigeants politiques de gauche, du centre et même de droite, craignant de perdre le contrôle de l’appareil d’État au profit d’un parti jugé hors du cadre idéologiquement acceptable. Le mot fasciste est prononcé par certains militants égarés. Voilà encore une magnifique fiction politicienne. Marine Le Pen va-t-elle se métamorphoser en Hitler en devenant Premier ministre ? Jordan Bardella a-t-il un profil mussolinien ? Personne ne peut y croire.
Avec un électorat représentant désormais plus d’un tiers des suffrages, le RN n’est plus marginalisable tactiquement. Il devra dans le futur passer de la conquête du pouvoir, avec toute la démagogie inhérente, à l’exercice du pouvoir, avec les dures réalités à affronter.
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ANNEXE
Le mécanisme des désistements
En quoi consiste les désistements ? En général, il s’agit de faire battre l’un des deux premiers candidats par abandon du troisième. Un exemple très simple permettra de comprendre. Supposons les résultats suivants au 1er tour :
Inscrits 100
Abstentions 40
Votants et exprimés 60
Résultats 1er tour :
Paul 20 (33% des suffrages exprimés)
Jeanne 19 (32% des suffrages exprimés)
Guy 14 (23% des suffrages exprimés)
Claire 7 (12% des suffrages exprimés)
TOTAL 60
(Pas de blancs et nuls pour simplifier : suffrages exprimés = nombre de votants)
Les abstentions représentent 40% des inscrits.
Guy peut-il se maintenir ? Oui, car il dépasse 12,5% des inscrits : 14/100 = 14%
Claire peut-elle se maintenir ? Non, car il n’atteint pas 12,5% des inscrits : 7/100 = 7%
Le 2e tour devrait donc mettre en présence Paul, Jeanne et Guy. Le candidat arrivé en tête au second tour serait élu.
Mais la tactique des partis vient souvent altérer cette logique simple et parfaitement démocratique. Un ou plusieurs partis veulent faire battre Paul. Il faut supposer que les électeurs de Guy ont très peu de chances de voter au second tour pour Paul. Ils préfèreront Jeanne à 95% selon les sondages. Les dirigeants du parti de Guy lui demandent alors de se désister en faveur de Jeanne. Il n’y aura que deux candidats au second tour : Paul et Jeanne. Jeanne, en récupérant une grande partie de voix de Guy, a toutes les chances de l’emporter au second tour.
Si Paul, Jeanne et Guy avaient été présents au second tour, ce qui est l’esprit de la loi, Paul conservait toutes ses chances d’être élu.
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