La démocratie est-elle menacée ?

03/02/2025

Patrick AULNAS

La démocratie occidentale est-elle finissante aujourd’hui, comme la République romaine à la fin du 1er siècle avant J.-C. ? Ce n’est pas certain. Mais la démocratie suppose l’adhésion de la population à des valeurs communes. Existent-elles encore ? Certains politiciens, mais pas tous, proposent tout et n’importe quoi pour exister. Entre la paille des mots et le grain des choses, la distance s’accroît. La communication politique professionnalisée conduit à l’insincérité, parfois au ridicule.

Ces indices de l’affaiblissement de l’esprit démocratique, supposant rigueur et vérité, sont corroborés par de multiples facteurs. Tentons d’en énumérer quelques-uns.

 

L’épuisement du socialisme démocratique

La social-démocratie est parvenue à s’imposer dans tous les pays démocratiques au 20e siècle. La socialisation s’est réalisée à des degrés divers dans l’éducation, la santé, les systèmes de retraite, les prestations familiales. Les dépenses publiques ont explosé pour atteindre 35 à 60% du PIB selon les États. La forte croissance économique de l’après-guerre a permis de financer les coûteuses structures collectives. La social-démocratie s’est donc imposée, contrairement au communisme totalitaire. Elle a mené à son terme son ambition historique.

Comme il ne lui reste rien d’important à réaliser, le socialisme se contente désormais de propositions accessoires fondées sur la manipulation des prélèvements et des dépenses publiques. En persistant dans des promesses redistributives marginales, il a perdu sa base sociologique traditionnelle d’ouvriers et d’employés qui se réfugient dans le populisme de droite.

L’espoir social-démocrate des classes moyennes n’existe plus et c’est un facteur essentiel de l’affaiblissement démocratique.

 

Le reflux de l’espérance idéologique : déchristianisation, chute du communisme et écologisme

Au 20e siècle, le spiritualisme chrétien s’opposait au matérialisme marxiste. Dans les deux camps l’adhésion était forte. Autour de la paroisse chrétienne ou de la cellule communiste, des structures associatives mobilisaient la population et promouvaient les idéaux respectifs. De nombreuses personnes influentes à l’échelon local consacraient leur vie au militantisme communiste ou à la défense de la foi chrétienne. La société tout entière baignait ainsi dans deux visions opposées de l’avenir. Un idéal à caractère idéologique ou religieux structurait le champ politique.

Tout cela s’est effondré. Il y avait environ 50 000 prêtres catholiques en France en 1965 et seulement 9 300 en 2022. Pour le Parti communiste français, comme pour tous les partis, les effectifs restent imprécis. Mais le nombre de cartes du parti était sans aucun doute de plusieurs centaines de milliers de 1944 à 1990. En 2023, le PCF revendiquait seulement 42 000 adhérents.

Les idéaux n’existent plus. La société sans classes des marxistes, le paradis des chrétiens ne concernent plus que de petites minorités. L’altruisme social qu’ils généraient s’est envolé.

La seule percée idéologique nouvelle du 21e siècle est l’écologisme politique. Mais prenant le contrepied de l’ancien prométhéisme idéologique, il diffuse la peur du futur et l’impératif de décroissance économique. Le paradis terrestre des marxistes, céleste des chrétiens, est ainsi remplacé par l’enfer climatique. L’avenir n’existera que par la minutieuse réglementation étatique de toute action humaine, c’est-à-dire le totalitarisme. Quand le futur possible suppose l’annihilation de la liberté individuelle, la démocratie est condamnée.

 

L’identité malheureuse

Il est évident que chaque groupe humain possède, lato sensu, une identité culturelle spécifique. Les États-nations ne font pas exception. Il existe une identité française, allemande, américaine faite d’évènements historiques, de patrimoine culturel, de traditions et coutumes, etc. Autrement dit, pour être français, allemand, américain, il ne suffit pas d’avoir la nationalité. Encore faut-il se sentir appartenir à la nation.

Ce concept d’identité nationale, voire civilisationnelle, totalement admis auparavant, a été rejeté à la suite de l’immigration massive du dernier demi-siècle. Avec l’immigration de masse vers les pays occidentaux, de nombreuses personnes ont obtenu la nationalité du pays d’accueil sans pour autant partager ses valeurs de liberté ou ses fondamentaux culturels. Les islamistes radicaux représentent à cet égard le point culminant de la rupture avec l’identité occidentale.

L’injonction morale d’acceptation de la « diversité », promue par l’intelligentsia occidentale, conduit à un doute sur l’identité nationale dans l’ensemble de la population. L’appartenance culturelle traditionnelle de l’écrasante majorité de la population est jugée dépassée par une partie importante des dirigeants. Nous appartiendrions à des communautés culturelles, voire ethnoculturelles, ne correspondant pas à l’identité nationale ancienne. Cette identité malheureuse, vue comme archaïsante, constitue une rupture majeure et profonde du sentiment d’appartenance des citoyens des démocraties.

Des partis politiques se sont d’ailleurs orientés électoralement vers les minorités culturelles ne partageant pas l’identité nationale. Ils reflètent la disparition du consensus identitaire traditionnel. Cet opportunisme électoraliste affaiblit considérablement la démocratie, qui repose sur des valeurs acceptées par tous pour établir un modus vivendi.

 

La dérive sociétale

Des sociologues universitaires sont parvenus à vendre à une partie de l’élite occidentale le concept de genre, déjà présent en grammaire. Cette théorie place, dans ses interprétations les plus extrêmes, le genre choisi librement au-dessus du sexe déterminé biologiquement. Autrement dit, tout individu serait libre de déterminer son genre, quel que soit son sexe biologique. Il serait possible de choisir d’être homme, femme ou sans genre, avec les conséquences juridiques inhérentes.
Les législations occidentales ont plus ou moins évolué vers l’acceptation de la liberté du genre. La conséquence la plus dramatique se situe dans les transitions de genre sous contrôle médical d’individus très jeunes. Aux États-Unis, il ne fait aucun doute que l’aspect financier du processus médical long et très coûteux d’une transition de genre a joué un rôle important dans les abus constatés. Un chiffre d’affaires important est en jeu pour le médecin spécialisé.
Cette grave dérive sociétale conduit à une rupture d’une partie de la jeunesse occidentale avec les fondamentaux scientifiques. La propagande pro-genre a été relayée dans les établissements scolaires, affaiblissant le consensus sur les données les plus basiques de la science. L’être humain, mammifère sexué, ne peut évidemment pas échapper à la biologie par des artifices psycho-sociologiques s’appuyant sur une médecine mercantile.
La propagande pro-genre produit une sécession d’une partie de la jeunesse occidentale et affaiblit le consensus démocratique.

L’internationalisme de la gauche radicale

L’internationalisme prolétarien des marxistes n’a pas disparu. Dans les mouvements radicaux de gauche, il prend aujourd’hui la forme d’une alliance affichée avec le Sud global, c’est-à-dire un ensemble de pays pauvres et autocratiques. La doxa n’a pas vraiment évolué : la lutte pour la justice suppose une mobilisation des damnés de la terre contre le capitalisme et le colonialisme. L’exemple le plus significatif concerne le conflit israélo-palestinien. La gauche radicale se place toujours du côté du Hamas ou du Hezbollah, quelles que soient les exactions commises par ces organisations.

Israël, État démocratique, est considéré comme un colonisateur. Ceux qui l’entourent, c’est-à-dire des autocraties religieuses, défendent la justice. Là encore, le consensus démocratique est affaibli. 

 

L’avenir est plus que jamais incertain

L’énumération précédente n’est pas exhaustive, mais elle permet d’appréhender les principales failles du consensus démocratique. Globalement, dans l’ensemble du monde occidental, celui-ci existait dans la seconde moitié du 20e siècle. Le fascisme et le nazisme avaient été vaincus et le communisme n’était que faiblement représenté dans la plupart des pays, la France et l’Italie faisant exception.

Les fractures actuelles n’ont pas encore significativement affaibli le leadership technologique et économique occidental. Mais un appauvrissement de la population et un recul de la domination scientifico-technique, tout à fait possibles, condamneraient sans aucun doute la démocratie elle-même.

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