Dette publique : le détournement de pouvoir des élus
22/01/2025
Patrick AULNAS
Les parlementaires ont toujours défendu avec une ténacité sans faille leur pouvoir de voter le budget de l’État et désormais celui de la Sécurité sociale. A juste titre puisqu’il s’agit d’une condition de base de toute démocratie. Mais aucune obligation d’équilibre des recettes et des dépenses ne leur est imposée. Aucune limite au recours à l’emprunt n’existe. Président, ministres et parlementaires peuvent donc endetter la population entière en se prévalant de l’intérêt général.
Il apparaît aujourd’hui qu’ils mentent effrontément. L’électoralisme joue un rôle majeur dans le dérapage des finances publiques depuis un demi-siècle. Le spectacle affligeant des débats à l’Assemblée nationale permet à chaque français de prendre conscience de l’indicible médiocrité de certains élus se chamaillant comme des enfants dans une cour de récréation et prétendant représenter la nation. Aucune hauteur de vue, aucune capacité de prendre la moindre distance par rapport aux tactiques électoralistes des partis, aucune vision historique du lent déclin du pays.
Le nœud du problème est désormais bien défini : le détournement de pouvoir des élus dans le domaine de l’endettement public. Il s’agit bien d’un détournement de pouvoir, eu égard aux principes fondamentaux du droit régissant notre démocratie.
La Constitution de 1958 et l’objectif d’équilibre
Il n’est pas possible de produire une argumentation strictement juridique dans ce domaine. Si c’était le cas, le Conseil constitutionnel aurait été saisi et une jurisprudence serait disponible. La peur panique des députés qu’un tel contrôle juridictionnel puisse advenir fut administrée à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008. Il s’agissait de compléter l’article 34 de la Constitution de 1958 par l’alinéa suivant :
« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. »
Le professeur Hervé Cabanes explique que plusieurs députés (Arnaud Montebourg, Claude Goasguen, François de Rugy) s’inquiétèrent d’un éventuel contrôle de l’équilibre du budget par le Conseil constitutionnel en application de cet article. Le ministre du Budget, Éric Woerth, les rassura en précisant que ce nouvel alinéa n’avait « aucune force contraignante ». Il résulte des travaux préparatoires à la révision que cet alinéa n’est pas un principe juridique mais un « objectif politique », selon l’expression utilisée par le ministre du Budget.
Le Conseil constitutionnel lui donna raison et ne se hasarda jamais à intervenir dans le domaine de l’équilibre budgétaire. Depuis quinze ans désormais, l’objectif constitutionnel d’équilibre des comptes publics a donc été apprécié par les politiciens (pouvoir législatif et exécutif) avec un sens de la rigueur très particulier. Le déficit du budget général de l’État a évolué depuis 2008 de 24 à 35% par rapport au total des dépenses. Cela signifie que chaque année, un quart à un tiers des dépenses n’est pas financé par des impôts et taxes et qu’il faut emprunter pour combler le déficit.
L’esprit de la Constitution est-il bien respecté par la classe politique ? De toute évidence, non. Nos élus se moquent ouvertement de l’esprit des lois mais aussi de leur lettre puisqu’ils foulent aux pieds l’objectif d’équilibre budgétaire. Il est trop tentant pour des élus voulant conserver leur siège de voter des dépenses sans augmenter les impôts. Cette démagogie constitue un détournement de leur pouvoir financier qui devient ainsi illégitime.
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et le contrôle des citoyens
Le préambule de la Constitution de 1958 renvoie à la Déclaration de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946. Ces textes font donc partie du droit positif. La Déclaration de 1789 comporte trois articles concernant les finances publiques.
« Article 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Article 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
Article 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Pour financer l’État, il n’était pas question d’endettement public en 1789. Une « contribution commune » était envisagée, c’est-à-dire un prélèvement fiscal. L’accent était mis sur le contrôle de l’emploi de cette contribution par les citoyens et leurs représentants. Les trois articles se caractérisent par la défiance à l’égard de l’utilisation de l’argent public. L’article 15 attribue même à « la société » un droit de contrôle de son utilisation.
La fuite actuelle vers l’endettement massif et constant n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de ce texte. Là encore, il est possible d’évoquer le concept de détournement de pouvoir de la part des élus du 21e siècle. Ils recourent à l’endettement pour fuir leur responsabilité politique fondamentale concernant la « contribution commune » mise à la charge des citoyens.
Abuser sans aucun scrupule de son pouvoir financier
Personne ne peut soutenir que conduire la France à une situation de surendettement puisse relever de l’exercice normal du pouvoir politique. Nos dirigeants méprisent depuis plusieurs décennies les principes constitutionnels. Ils détournent leur pouvoir financier par pure démagogie.
En déclarant ouvertement que tout contrôle serait abusif, les élus reconnaissent d’ailleurs cyniquement que ce détournement de pouvoir leur est politiquement indispensable. Il s’agit pour eux de distribuer aux électeurs des avantages non financés en transmettant à nos descendants une dette astronomique. Ce faisant, ils n’agissent plus dans l’intérêt général mais utilise l’argent emprunté dans leur lutte partisane pour la conquête du pouvoir, c’est-à-dire dans leur intérêt particulier ou dans celui de leur parti.
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