Nos valeurs et celles de Poutine

24/02/2024

Patrick AULNAS

La dérive du pouvoir russe ne peut être expliquée que par l’histoire et l’enfermement idéologique du 20e siècle. Sans la parenthèse communiste de 70 ans, la Russie serait très différente aujourd’hui. Il lui faudra très longtemps pour retrouver la raison. Se libérer des mafias au pouvoir n’est pas le plus difficile. Il faudra ensuite faire connaissance avec une grande inconnue : la liberté. Ce peuple magnifique par son art et sa littérature n’a en effet jamais connue que la servitude.

 

La liberté est une idée neuve

L’évolution de la pensée politique depuis le siècle des Lumières fait apparaître deux impasses idéologiques : le communisme et le fascisme ou le nazisme. Le compromis socialiste ne peut pas être considéré comme une idéologie. Il est une simple habileté politique utilisant la puissance productive du capitalisme pour redistribuer par la dépense publique une partie des fruits de la croissance économique. La social-démocratie a ses vertus lorsque la générosité désintéressée l’anime. Elle a ses faiblesses lorsque la démagogie politicienne l’égare. L’essentiel est ailleurs : seul le libéralisme apparaît comme une étape majeure de l’histoire politique de l’humanité. La liberté reste une idée neuve dans le monde.

 

Nous avons choisi la liberté, nous avons des ennemis

L’Occident est donc incontournable philosophiquement car aucun mouvement général de réflexion sur la liberté n’a émergé ailleurs. Depuis le 18e siècle, la grande question reste le choix entre la liberté et la servitude. Des autocrates continuent à accaparer le pouvoir pour dominer par les moyens les plus violents. Ils trouvent évidemment des appuis intéressés. Ils utilisent bien sûr la médiocrité et la lâcheté. Mais pour tous les hommes bonne volonté, il n’est pas possible de choisir la servitude comme projet d’avenir. L’humanisme nous oblige.

Il ne peut plus être question de transiger avec les despotes par réalisme. La realpolitik a fait son temps. Lorsque les Ukrainiens meurent pour leur liberté, lorsque Poutine assassine tous ses opposants, lorsque les Iraniennes sont tuées parce qu’elles montrent leurs cheveux, lorsqu’un fou furieux comme Kim Jong-un joue avec les armes les plus puissantes comme un enfant, aucun compromis avec ces gens-là ne peut être envisagé. Un compromis leur apparaît d’ailleurs immédiatement comme un aveu de faiblesse. Ils ne connaissent que la force.

Nous avons choisi la route de la liberté, nous avons donc des ennemis : tous les ennemis de la liberté. La Russie de Poutine est notre ennemie. Pas en tant que peuple, mais en tant qu’État-nation gouverné par une clique mafieuse. La Russie est sortie de l’ancienne gouvernance dynastique pour entrer dans la dictature communiste. Du despotisme tsariste au despotisme communiste, il n’y a rien de nouveau, sinon une idéologie. Les pays d’Europe de l’Ouest, les États-Unis, le Japon, Taiwan et beaucoup d’autres ont quitté le règne de l’ancestrale hétéronomie de l’individu pour lui accorder l’autonomie. « Tu n’es plus seulement un individu soumis à un collectif mais aussi un être libre de tes choix. Tu peux discuter, t’opposer, remettre en cause le pouvoir des dominants pour la simple raison que tu es un être humain. » Cette fierté d’être un homme libre s’apprend dès l’enfance.

 

L’univers mental figé de Poutine

Vladimir Poutine, né en 1952, a été entièrement formaté par le marxisme-léninisme. École élémentaire, enseignement secondaire, études supérieures lui ont transmis la haine de la liberté d’entreprise, de la liberté de la presse, de toute liberté de pensée. Il faut lire Lénine si l’on veut comprendre que le marxisme-léninisme est un simple compendium réducteur de la pensée de Marx, à destination des militants communistes. Abreuvé de cette pensée binaire opposant le capitaliste exploiteur au prolétaire exploité, l’élite russe née après la seconde guerre mondiale voit encore la liberté comme l’ennemie absolue. La liberté bourgeoise est au service de la domination les travailleurs. Le capitalisme américain est maléfique par nature. Toute nuance est exclue. Sortir de ce conditionnement éducatif n’est pas simple. Poutine reste figé dans cette sclérose intellectuelle. Son entrée au KGB de l’ex-URSS ne pouvait que le conforter dans les simplismes léninistes et lui permettre de justifier les crimes de Staline.

La seule évolution perceptible de l’univers intellectuel du sinistre personnage concerne la substitution de l’Occident décadent au capitalisme exploiteur. Pour les moyens à employer, aucune évolution sinon technologique : nouvelles armes, nouveaux poisons. Les méthodes de la Tcheka, créée par Lénine en 1917, subsistent : les adversaires peuvent être assassinés, les traitres doivent l’être impérativement. Alexeï Navalny est évidemment un traître méritant mille tortures et la mort, les oligarques soupçonnés de compromis avec l’Occident ne valent pas mieux.

 

Le sordide pouvoir russe

La réalité du pouvoir russe n’a rien de commun avec le discours officiel. Une véritable mafia entoure Poutine et s’est progressivement substituée au Parti communiste d’antan. Les immenses richesses du pays ne sont pas exploitées au profit de la population mais d’une petite caste de serviteurs dociles et corrompus. L’appareil d’État, autrefois au service du Parti communiste ou plus exactement de ses dirigeants, est aujourd’hui aux mains d’un ensemble complexe (administration, pseudo-justice, police, armée, FSB) obéissant à un nombre réduit de fidèles du tyran. Le sort de toutes ces personnes, leur niveau de vie, la date de leur mort dépend de leur degré de soumission. Une critique entraîne la qualification d’agent de l’étranger ou même de traître. La privation de liberté s’ensuit, l’assassinat peut advenir.

Le nationalisme, déjà présent au temps de l’URSS, n’a fait que prospérer car une dimension idéologique nouvelle doit se substituer au défunt marxisme-léninisme. La grande guerre patriotique contre le nazisme (seconde guerre mondiale) et la Russie éternelle et sans frontières, impossible à vaincre, sont les thèmes les plus ressassés. L’Ukraine est évidemment gangrénée par le nazisme puisqu’elle aspire à la haïssable liberté. Plus généralement, l’Occident moralement décadent est un repère de nazis et doit être combattu. On le voit, ce manichéisme nationaliste succède au manichéisme communiste. Même conditionnement de la population, mêmes mensonges mille fois rabâchés.

Cet univers sordide est celui de toutes les tyrannies, celui de nos ennemis.

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