La France depuis 50 ans : croissance, hausse du niveau de vie et dette abyssale

12/02/2024

Patrick AULNAS

Le pessimisme des Français correspondrait-il à une intuition sur le futur probable ? Car le passé ne le justifie pas, au vu des données de l’INSEE sur la période 1970-2018. Il ne fait aucun doute que le niveau de vie de toutes les catégories de la population a beaucoup augmenté sur cette période d’un demi-siècle. Il ne fait aucun doute non plus que les inégalités ont été réduites. Mais au prix d’une dette publique colossale à laquelle il faut ajouter une « dette écologique », c’est-à-dire des engagements d’économie d’énergie nécessitant un surcroit d’interventionnisme public.

 

Hausse du niveau de vie et réduction des inégalités

L’INSEE utilise les sources fiscales (déclaration de revenus) pour déterminer le niveau de vie en tenant compte du nombre de personnes du foyer fiscal. En euros 2018, le niveau de vie moyen d’un français est ainsi passé de 12 510 € en 1970 à 23 060 € en 2018, soit un quasi-doublement. L’évolution a été plus rapide dans la décennie 1970 mais elle est restée positive.

On ne constate pas de creusement des inégalités, thème pourtant habituel de certains courants politiques. Ainsi, pour les 10% les plus pauvres, le niveau de vie passe de 4 860 € en 1970 à 10 230 € en 2018 (hausse de 110%) alors que pour les 10% les plus riches, il passe de 22 270 € à 37 120 € (hausse de 67%). L’indice de Gini, qui mesure le degré d’inégalité le confirme : 0,329 en 1970 et 0,293 en 2018. Cet indice varie de 0 à 1, l’inégalité étant d’autant plus forte que l’indice est élevé.

 

Croissance économique constante mais moins forte

La croissance économique explique cette évolution du niveau de vie. Elle a toujours été positive à l’exception de trois années : 1975 (-1%, premier choc pétrolier, triplement du prix du brut), 1993 (-0,6%, crise du système monétaire européen) et 2009 (-2,9%, crise des subprimes). L’évolution du niveau de vie est directement fonction du taux de croissance économique. Ainsi, le niveau de vie augmente plus vite dans la décennie 1970 au cours de laquelle la croissance se situe entre 4 et 6% qu’ensuite où elle varie de 0,2% à 4,5%.

La hausse du niveau de vie moyen atteint 3,4 % par an en euros constants sur la période 1970-1979 et 0,7% sur la période 1979-2018 avec des fluctuations importantes. La tendance historique étant à une réduction du taux de croissance du PIB depuis un demi-siècle en Europe, le niveau de vie augmente aujourd’hui beaucoup moins vite que par le passé.

 

Un choix électoraliste : la dette publique

Croissance économique et hausse du niveau de vie, mais également endettement. En adoptant une approche extensive de l’endettement, il est possible de distinguer l’endettement financier et l’endettement écologique. En 1970, la dette publique de la France était de 14% du PIB. Elle a augmenté légèrement au cours de la décennie 1970-1980 pour atteindre 21% en 1980. Le premier choc pétrolier de décembre 1973 explique cette évolution : le chômage et les dépenses sociales commencent à augmenter. Par la suite, la dette publique explose pour atteindre 59% du PIB en 2000 et 115% en 2020.

L’explication globale est assez simple : la classe politique a refusé d’assumer politiquement la diminution du taux de croissance économique. Les dépenses publiques auraient dû être ajustées à des recettes en croissance beaucoup plus lente. En effet, les assiettes des prélèvements obligatoires sont les revenus, les patrimoines et les chiffres d’affaires des entreprises. Toutes ces bases de calcul augmentant beaucoup moins vite, les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) ne suffisaient plus pour financer l’État-providence, toujours très dépensier. Plutôt que de réduire les dépenses, le choix politique historique a consisté à augmenter la dette. C’est François Mitterrand qui a fait ce choix et aucun de ses successeurs n’a eu le courage de revenir à une gestion plus équilibrée.

 

Une illusion sur l’avenir : la croissance sous contrainte

La dette écologique résulte des engagements pris par l’État en vue de la transition vers une société plus économe en énergie et matières premières. Ces engagements ne seront pas tous respectés et il est donc impossible d’évaluer cette dette. Prenons seulement l’exemple de l’isolation thermique des bâtiments. Un rapport parlementaire récent indique qu’il faudra multiplier par trois en quelques années les dépenses publiques pour la rénovation des bâtiments pour atteindre les objectifs fixés, c’est-à-dire améliorer l’isolation des constructions les moins performantes (classées E, F et G par le diagnostic de performance énergétique). Les auteurs du rapport estiment à 14 milliards d’€ les dépenses publiques supplémentaires nécessaires à échéance de 2030.

On ne parviendrait à dégager de telles ressources que par un endettement financier public encore plus important. Or, l’engagement pris par les gouvernants est de le réduire. Mais il y a plus grave. Des dépenses de ce type ne sont absolument pas source de croissance. La croissance sur longue période résulte d’un processus de destruction créatrice. Le progrès technique fait émerger des technologies nouvelles, plus efficientes, qui détruisent les anciennes. Il n’y a aucun processus de destruction créatrice dans des dépenses d’économie d’énergie imposées par l’État. Il s’agit alors seulement de choix politiques de court terme.

C’est par le jeu du marché que le progrès technique agit sur la configuration de la société future. C’est le marché qui choisit ou rejette une technologie nouvelle, jamais la contrainte étatique. Le dernier exemple historique est l’informatisation générale, qui débute dans les grandes entreprises dès les années 1950, se propage au grand public à la fin du 20e siècle (micro-ordinateur) puis atteint la téléphonie (téléphone mobile et smartphone). On voit aujourd’hui apparaître l’intelligence artificielle, technologie absolument déterminante pour l’avenir de l’espèce humaine. Le marché a choisi une technologie à la base très simple : le langage binaire des machines (seulement 0 et 1). L’électronique et l’algorithmique ont ensuite permis, sur cette base technique, d’atteindre une prodigieuse efficacité. La contrainte étatique n’a joué aucun rôle.

Il faut n’avoir rien compris au concept de croissance économique sur le long terme (pas d’un point de vue conjoncturel) pour imaginer que des dépenses contraintes publiquement puissent en être la source. Il est vrai que l’objectif inavoué de certains cercles de pensée est précisément la décroissance. Mais comment une classe politique qui n’a pas été capable d’assumer une simple diminution du taux de croissance à la fin du 20e siècle pourrait-elle prendre en charge une véritable décroissance ? La démocratie n’y survivrait pas. La récession permanente n’est pas compatible avec la démocratie ; elle suppose une coercition généralisée, bref le totalitarisme.

 

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