Fin de vie : le débat sur le sexe des anges

02/06/2024

Patrick AULNAS

Le projet de loi sur la fin de vie, examiné par le Parlement, donne lieu à des interrogations diverses et à des positionnements politiciens, voire électoralistes. Rien de nouveau à cet égard. Mais les études d’opinion montrent qu’environ 90% des Français sont favorables à une évolution vers la liberté individuelle dans ce domaine. Autrement dit, les citoyens n’acceptent plus qu’une infime minorité de décideurs les prive du droit de choisir le moment de leur mort. Ces décideurs sont d’une part le corps médical qui s’octroie sans le moindre scrupule le pouvoir de prolonger la vie de quelques semaines ou de quelques mois par des artifices techniques que lui seul maîtrise, d’autre part les professionnels de la politique qui estiment avoir une hauteur morale supérieure à leurs compatriotes pour appréhender la problématique de la mort.

Les débats dans les médias évoquent irrésistiblement les édiles byzantins du 15e siècle dissertant sur le sexe des anges quand l’empire, au bord de gouffre, allait en définitive y plonger. Ce byzantinisme proviendrait de l’extrême complexité du problème. Voire.

 

Un problème simple obscurci par des moralistes à la petite semaine

Prétendre que le problème est d’une redoutable complexité permet en vérité d’opacifier une question simple. La voici. La technologie médicale permet aujourd’hui de maintenir en vie pour une courte durée des personnes qui seraient mortes il y a un siècle. Il n’est pas question ici des guérisons à proprement parler c’est-à-dire d’une survie de plusieurs années après traitement. Il s’agit de malades en fin de vie pour lesquels les traitements ont échoué, par exemple la chimiothérapie. Les progrès de la technologie médicale permettent de prolonger la vie de ces personnes de quelques semaines ou de quelques mois. En général, la qualité de vie frôle le néant, tout juste peut-on atténuer la douleur. Il s’agit donc d’un échec de la médecine.

La question est alors très simple. Est-ce à celui qui soufre et se sait en fin de vie de décider du moment de sa mort ? Ou la société peut-elle lui imposer de rester en vie par des artifices techniques et de subir une existence qui n’en est plus une ? La réponse est évidente dans une démocratie. Comment pourrait-on accorder au politique ou au corps médical le droit d’imposer coûte que coûte le maintien en vie le plus longtemps possible ?

Ceux qui prétendent que « donner la mort n’est pas soigner » utilisent un argument illusoire. Cette position moralisatrice archaïque n’a plus aucune pertinence dans le contexte actuel de prolongation purement technique de la vie. Quelle différence éthique peut-on trouver entre donner la mort lentement en assommant le malade de traitements contre la douleur et donner la mort rapidement en injectant un produit létal ? Aucune, de toute évidence. S’abriter derrière le concept de soin n’est qu’une hypocrisie pour les plus avertis, une illusion pour les autres.

 

La solution à la française, quelle mauvaise plaisanterie !

La France chercherait une solution originale dans le domaine de la fin de vie. Voilà l’autre aspect du byzantinisme des débats sur le sujet. Le refus des mots habituellement utilisés (euthanasie et suicide assisté) en dit long sur l’hypocrisie française. Certains ne veulent pas appeler un chat un chat et se réfugient dans l’euphémisme. Pure coquetterie d’une certaine intelligentsia parisienne très éprise d’un vocabulaire épousant son pharisaïsme. Les énarques, à la créativité linguistique surabondante, nous ont certes habitué à cette médiocrité. Mais nous aurions pu nous en dispenser quand il s’agit tout simplement de mourir librement.

 

La grossière propagande des mal informés

Nous ne ferons ni mieux ni plus mal que les autres. Nous accorderons à ceux qui vont mourir le droit de décider du moment. C’est tout, c’est très simple et cela existe depuis des décennies dans certains pays. Contrairement à certaines affirmations, rien de fondamental ne s’est produit dans ces pays depuis l’instauration de l’euthanasie ou du suicide assisté. Un très petit nombre de personnes est concerné. Les outrances de certains articles français concernant la Belgique relèvent d’une propagande grossière et à la limite du ridicule. Les auteurs n’ont de toute évidence aucune expérience personnelle de la situation belge.

Ayant vécu vingt ans en Belgique, je sais que l’écrasante majorité des Belges regardent l’autoritarisme français comme une aberration. J’ai connu plusieurs personnes atteintes de cancers en phase terminale qui ont recouru à l’euthanasie. Elles étaient parfaitement consentantes et l’avaient écrit. Il n’y a eu aucune pression institutionnelle, bien au contraire car les services de soins palliatifs sont plus développés en Belgique qu’en France. Une personne qui m’était chère, âgée de 96 ans, avait rédigé des directives anticipées autorisant l’euthanasie. Ayant conservé jusqu’à la fin sa lucidité, elle n’a pas recouru à l’euthanasie. Elle est morte paisiblement, sous morphine. Aucune incitation à l’euthanasie n’a jamais eu lieu. La liberté de choix a été respectée jusqu’au bout.

 

Un problème philosophique

La vérité est toute simple et relève de la philosophie. Les monothéismes, et en particulier le christianisme, ont accordé à la vie humaine une dimension sacrée. Elle appartient, selon ces croyances, à la divinité et non aux hommes. Cette position est tout à fait respectable et il n’a jamais été question de la remettre en cause. Ceux qui adhèrent à cette vision de la vie et de la mort pourront continuer sans la moindre difficulté à laisser leur dieu décider. Mais de quel droit pourraient-ils, en démocratie, imposer cette conception à l’ensemble de la société, sachant qu’ils ne représentent plus qu’une minorité ?

Pour des personnes de plus en plus nombreuses dans les pays riches d’Occident, la vie et la mort sont l’affaire des hommes et non celle des dieux. Nous décidons librement d’avoir ou non des enfants et il a été difficile d’obtenir cette liberté. Nous avons le droit de décider, si nous le souhaitons, de la date de notre mort.

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