Approche naïve des idéaux de gauche

12/01/2024

Patrick AULNAS

L’intellectuel de gauche a connu son heure de gloire dans la seconde moitié du 20e siècle. Le nazisme et le fascisme ayant été vaincus avec l’aide de l’URSS, il était de bon ton de se présenter comme proche des communistes. Sartre était un « compagnon de route ». Le capitalisme et la pensée libérale reflétaient évidemment l’égoïsme des possédants et le matérialisme consumériste, pour tout dire la plus insupportable des médiocrités.
Aujourd’hui, la gauche a perdu de sa superbe mais continue pourtant à proférer ses leçons de morale. Le bien est toujours de gauche. La droite flirte dangereusement avec le mal et peut très facilement sombrer dans une inavouable abjection. Pourtant, la pensée de gauche n’a jamais brillé par son originalité. La puérilité de ses concepts de base peut même étonner.

 

Le wokisme : horreur ! les idéaux ne sont pas atteints

L’idéal universaliste consiste à considérer que chaque individu dispose des mêmes droits, quelle que soit sa situation réelle. Le serf n’avait pas les mêmes droits que le noble. L’ouvrier a les mêmes droits que le chef d’entreprise. L’égalité des droits se substitue à l’ancienne appartenance à un ordre ou à une caste disposant de droits spécifiques.

De brillants intellectuels français (Foucault, Deleuze, Derrida, etc.) ont eu dans la décennie 1970 une idée follement originale : dans les démocraties libérales, la réalité sociale n’est pas vraiment en adéquation avec les idéaux proclamés. Par exemple, les femmes n’ont pas les mêmes opportunités que les hommes ; les fils de bourgeois sont des héritiers de la culture dominante disposant d’un avantage sur les enfants des prolétaires. Les idéaux n’existent donc pas vraiment, mais seulement dans les esprits. Ils ne sont que le fruit d’une hypocrisie visant à pérenniser la domination de certains. Leur déconstruction est nécessaire.

Génial ! Si l’idéal proclamé par un groupe humain n’est pas devenu réalité, il faut détruire cet idéal. Le wokisme du début du 21e siècle a revisité cette french theory en la complétant par une analyse systémique. Les facteurs de domination sont interdépendants et forment un véritable système oppressif. Ainsi, aux États-Unis, une femme noire prolétaire subit des discriminations en tant que femme (domination masculine), en tant que minorité raciale et en tant qu’ouvrière (domination des capitalistes). C’est l’intersectionnalité.

Découverte majeure, dont on ne s’était jamais douté : il existe dans toute société des conditions sociales plus ou moins avantageuses liées au pouvoir, à l’argent, à la culture, à l’origine sociale ou ethnique. En cumulant les désavantages, l’individu subit de multiples handicaps. 

Le mouvement politique né de ces réflexions profondes en conclut qu’une révolution est nécessaire. Une société qui maintient une telle distance entre les idéaux proclamés et la réalité vécue doit être anéantie. Il faut tout déconstruire et tout reconstruire. Dans la société nouvelle postrévolutionnaire, idéal et réalité ne feront qu’un. Toute discrimination sera abolie. Comment ? Mais par la coercition, voyons ! Les réacs et les libéraux seront prestement rééduqués. Peut-être devront-ils même faire une autocritique publique.

 

La préférence nationale : scandale ou droit commun ?

La récente loi sur l’immigration, votée en France à une écrasante majorité, a remis au goût du jour l’idée de préférence nationale. La gauche crie au scandale et s’agite. Songez donc : les étrangers n’auront plus tout à fait les mêmes droits que les nationaux ! Cette innovation réactionnaire indigne doit impérativement être abolie.

Il se trouve cependant que notre petite planète vit aujourd’hui sous le régime de l’État-nation. Et chacune de ces petites ou grandes communautés historico-politico-géographiques accorde, par les normes juridiques qu’elle élabore, des droits spécifiques à ses ressortissants. Comment pourrait-il en être autrement ? Si l’espèce humaine s’organise en États-nation, c’est par définition pour dissocier les régimes juridiques de chacune de ces communautés. La préférence nationale est donc le régime juridique de droit commun partout dans le monde.

Ainsi, la France exige que ses fonctionnaires aient la nationalité française ou celle d’un pays de l’Union Européenne depuis la signature des traités la créant. Les étrangers n’ont pas le droit de vote aux élections nationales (présidence de la République, Assemblée nationale, référendums). Les pays riches, et seulement eux, ont plus ou moins ouverts les prestations sociales aux étrangers vivant sur leur sol, mais en assortissant leur octroi à des conditions précises et à des délais de résidence dans le pays. L’afflux migratoire augmentant considérablement le coût de ces mesures, l’absence de préférence nationale est généralement contestée par l’opinion publique majoritaire dans les pays occidentaux. Il est vraisemblable que l’avenir verra un retour partiel à la préférence nationale dans un contexte de croissance économique faible ne permettant plus les largesses d’antan.

 

La lutte des classes, simplisme marxiste

Last but not least, la lutte des classes. Pour Marx et Engels, « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l'histoire des luttes de classes. » (Le Manifeste communiste,1848). Là encore, on se doutait légèrement, et depuis bien longtemps, que les sociétés humaines comportaient des catégories d’individus aux aspirations et aux intérêts divergents. Y-a-t-il du génie à ne distinguer que deux catégories (bourgeoisie et prolétariat) et à considérer leur antagonisme comme le moteur de l’histoire ? C’est ce qu’ont prétendu les marxistes.

Mais cette approche permet surtout de simplifier à outrance une réalité sociale infiniment complexe et d’induire une action politique binaire. Il faut choisir son camp : bourgeois ou prolétaire. Tous les intellectuels de gauche se sont placés du côté des prolétaires alors qu’ils venaient pour la plupart de la bourgeoisie.

Le simplisme marxiste joue encore un rôle majeur, l’intersectionnalité assumant totalement l’opposition binaire exploiteurs-exploités ou dominants-dominés.

Ajouter un commentaire