Poutine : la dérive d’un communiste

11/10/2022

Patrick AULNAS

Tous les observateurs le constatent : Vladimir Poutine place progressivement son pays et lui-même dans une situation sans issue. En jouant la radicalité, il se coupe de ses alliés et isole la Russie, l’affaiblit économiquement et perd le soutien d’une partie croissante de l’opinion publique russe. Les jeunes hommes cherchent à échapper à la mobilisation par tous les moyens. Pourquoi iraient-ils se faire tuer en Ukraine ? Le délire nationaliste du Président de la fédération du Russie apparaît désormais à la population elle-même. Une armée non motivée, trainant les pieds, est le gage le plus sûr de la défaite. Reste le chantage permanent et obsessionnel à l’utilisation de l’arme nucléaire. Mais il n’est pas si simple d’utiliser une arme aussi destructrice et des résistances apparaîtraient alors dans l’appareil d’État lui-même.

Le dictateur impavide de 70 ans cache une addiction à la recherche de la puissance. C’est une grave faiblesse, comme toutes les addictions. D’où vient-elle ?

 

Les traumatismes de la jeunesse

Né en 1952, Poutine est le troisième enfant d’une famille ouvrière, dont les deux premiers sont morts en bas-âge. A sa naissance, ses parents, nés en 1911, ont tous deux 41 ans. Pendant le siège de Léningrad (Saint-Pétersbourg aujourd’hui) par les allemands, de 1941 à 1944, la mère de Poutine, Maria Ivanovna, échappe de peu à la mort par manque de nourriture et épuisement. Son père, soldat dans l’armée rouge, n’est pas à Léningrad. Le siège fait près d’un million de morts et les habitants en sont réduits à manger les animaux domestiques, voire même des cadavres humains.

Cette mère, gravement traumatisée par la mort de ses enfants et la violence de la guerre, fait baptiser son fils à l’insu de son mari, homme froid et violent. Dans les années 1950, la famille vit dans une pièce de 20 m2 d’un immeuble communautaire délabré de Léningrad. Les rats pullulent. Une analyse psychanalytique n'est pas nécessaire pour comprendre que ce contexte familial a lourdement pesé sur la psychologie de Vladimir Poutine et en particulier sur son indifférence à la souffrance d’autrui. Les morts importent peu s’il s’agit de sauver sa famille ou sans doute, plus tard, la Russie elle-même.

Le jeune Vladimir, battu par son père, est lui-même bagarreur puis développe un goût pour les sports de combat : boxe, judo, sambo (lutte russe). Il devient ceinture noire de lutte russe et plusieurs fois champion de judo de la ville de Léningrad (*). Vaincre et s’élever par la violence ; le principe de base du rapport au monde de Vladimir Poutine est alors acquis.

 

La glorification de l’État

Le jeune Vladimir est un garçon intelligent qui suit un cursus d’enseignement primaire et secondaire à Léningrad. Selon ses dires, il tente d’entrer au KGB dès la fin de l’enseignement secondaire, mais on lui conseille de poursuivre ses études. A partir de 1970, il étudie de droit à l’université de Léningrad et obtient son diplôme en 1975. Il a 23 ans. On peut imaginer ce qu’étaient les études de droit dans un pays à planification rigide où presque tous les moyens de production appartenaient à l’État et dont le système politique n’admettait qu’un parti unique recueillant plus de 90% des suffrages aux élections. Il s’agissait sans aucun doute d’étudier les institutions politiques et les mécanismes économiques dirigistes dans un contexte idéologique exclusivement marxiste-léniniste. Autrement dit, l’ouverture d’esprit, la réflexion, le droit comparé n’étaient certainement pas au programme. L’endoctrinement était de rigueur.

Ce second aspect de la jeunesse de Poutine le conduit à vénérer l’URSS, qui a permis à un fils d’ouvrier de faire des études, et à considérer l’État comme le tenant et aboutissant de toute réalité sociale. Il ne faut pas oublier que l’idée forte du marxisme-léninisme est le concept de dictature du prolétariat. Le jeune communiste Vladimir Poutine voyait sans aucun doute l’URSS comme le leader de la lutte pour la libération prolétarienne face au capitalisme occidental, considéré comme le mal absolu.

Poutine n’a jamais accepté la chute de l’URSS en 1991. En 2005, il déclarait que la dislocation de l’URSS était la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle. Eu égard à sa formation, il est compréhensible qu’il puisse raisonner ainsi. Mais une telle déclaration met en évidence l’étroitesse d’esprit du personnage, qui n’a pas perçu les faiblesses gravissimes de l’URSS, puissance fragile. Poutine ne semble pas avoir compris à quel point l’évolution technologico-économique de l’après-guerre a mis en évidence l’inefficacité du régime soviétique qui n’a cessé d’être distancé par les États-Unis et tous les pays occidentaux.

 

La loi du plus fort et le mensonge

Après ses études de droit, Poutine entre au KGB (Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti : Comité de sécurité d'État), énorme organisme public ayant pour mission l'espionnage extérieur et le contre-espionnage, la liquidation des opposants politiques et des organisations « contre-révolutionnaires », la sécurité du Parti communiste et des chefs d'État, etc. Il exercera des fonctions diverses, d’abord dans la police politique puis dans l’espionnage et atteindra le grade de lieutenant-colonel. Sa carrière politique débute à la chute de l’URSS en 1991 comme conseiller aux affaires internationales de la ville de Saint-Pétersbourg.

L’orientation professionnelle de Poutine est en parfaite conformité avec son goût de la violence et sa vénération de la puissance de l’État-nation. Son activité de police politique et d’espionnage lui a permis de mettre en pratique la loi du plus fort et le mensonge, qui resteront à jamais ses principales armes. Un élément essentiel doit être mis en évidence : le concept de liberté est totalement négatif pour Poutine. La liberté est associée à la faiblesse car elle suppose concertation et compromis. Elle est l’essence de la démocratie mais préfigure la décadence aux yeux du despote russe.

 

Erreur historique majeure

La dérive actuelle de Vladimir Poutine vers le fascisme met une nouvelle fois en évidence la proximité de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite.  Les exemples historiques sont bien connus. Mussolini fut d’abord un socialiste révolutionnaire italien. En France, Jacques Doriot (1898-1945), membre du Parti communiste français jusqu’à 1936, devient collaborateur des nazis et finit la seconde guerre mondiale sous l’uniforme allemand. Marcel Déat (1894-1955), homme politique socialiste, devient national-socialiste et fonde un parti ad hoc. Plus près de nous, Roger Garaudy (1913-2012), philosophe et membre du parti communiste, s’égare complètement sur le plan intellectuel. Il est condamné pour négationnisme (négation la Shoah) et termine son parcours converti à l’islam et proche du fondamentalisme.

Poutine coche toutes les cases du communiste devenu nationaliste : la glorification outrancière de la Russie, le culte du chef et l’organisation quasi-mafieuse du pouvoir politique, la violence comme moyen d’action normal, qu’il s’agisse d’assassinats d’opposants ou de guerre extérieure. Le mépris qu’affiche Poutine pour les démocraties occidentales, jugées décadentes, se manifeste aussi cruellement dans son indifférence pour le bien-être de son peuple. La Russie, riche en matières premières, aurait pu devenir une puissance économique avec une politique adaptée. Mais une condition sine qua non existe : s’insérer dans le commerce international et accepter l’implantation d’entreprises étrangères en Russie. Avec la guerre en Ukraine, toutes les entreprises occidentales ont quitté le pays. Qu’importe pour le dirigeant russe qui voit dans le capitalisme un ennemi, selon les préceptes qui lui ont été enseignés au temps de l’URSS.

Seule la puissance compte pour Vladimir Poutine. Toute sa formation et son parcours professionnels le prouvent. Mais il s’est lourdement trompé sur le chemin qui mène un État vers la puissance. Probablement manque-t-il de hauteur de vue et de culture géopolitique. L’enseignement en URSS était destiné à former des serviteurs dociles du régime, pas du tout des esprits ouverts et libres. Il ne suffit pas de disposer d’armes atomiques en abondance pour être l’égal des États-Unis. Il faut aussi le degré de liberté qui favorise l’innovation et le dynamisme. Sans liberté, pas d’économie en croissance sur le long terme historique, pas de recherche dynamique, pas d’avantages technologiques décisifs. Poutine le comprend sans doute aujourd’hui puisque la masse des soldats russes est impuissante face à la technologie occidentale mise au service des ukrainiens. L’impasse dans laquelle il se trouve résulte de ce qu’il est. Il n’a pas compris les grands enjeux de 21e siècle et reste crispé sur le 20e et une nostalgie presque pathologique de l’URSS. Erreur historique majeure.

Espérons que l’homme du Kremlin ne s’obstinera pas inutilement. Il pourrait détruire une ville ukrainienne avec une arme nucléaire de faible puissance. Mais on voit mal dans ce cas une absence de réaction occidentale. Si l’OTAN intervient en Ukraine, elle peut annihiler rapidement toute l’armée russe. Poutine n’aurait plus alors que la solution d’un jusqu’au-boutiste forcené : l’arme nucléaire stratégique contre les pays de l’OTAN, la troisième guerre mondiale, autant dire un suicide. Ses généraux accepteraient-il de franchir ce pas ? Rien n’est moins sûr.

Publié sur Contrepoints le 11/10/2022

 

_______________________________________

(*)Véronique Chalmet, L’enfance des dictateurs, éditions Prisma, 2013

 

Ajouter un commentaire