La fracture mitterrandienne

27/08/2022

Patrick AULNAS

La vie politique française n’oppose plus la droite et la gauche. Emmanuel Macron se réclame « en même temps » de la droite et de la gauche. Il innove ainsi du point du vue du jeu politicien, mais certainement pas du point du vue de l’histoire politique. Il y aura toujours des progressistes et des conservateurs. Pourquoi alors ne sont-ils plus regroupés en deux camps se réclamant de deux visions différentes de l’avenir ? Pourquoi trois pôles, le centrisme, la droite radicale et la gauche radicale se partagent-ils désormais l’essentiel des voix des électeurs ?

 

Les réalisations de la gauche au pouvoir sont des échecs

La réponse est complexe mais réside essentiellement dans le rêve socialiste brisé par les deux présidences de François Mitterrand de 1981 à 1995. On le sait, les politiciens font rêver les électeurs pour les attirer. L’avenir proposé par les programmes politiques de gauche est donc toujours infiniment souhaitable pour ses destinataires. La déception est d’autant plus rude au moment de l’exercice du pouvoir et l’échec des principales réalisations mitterrandiennes le prouve.

·        Les nationalisations : une grande partie des secteurs industriels et bancaires est nationalisée par une loi du 11/02/1982. Tout sera à nouveau privatisé et souvent par des gouvernements de gauche.

·        La retraite à 60 ans dans le secteur privé : les lois Auroux de 1982 abaissent l’âge de départ à la retraite à 60 ans, à taux plein, dans le secteur privé. Il aurait fallu, bien au contraire, faire passer de 60 à 65 ans l’âge de départ dans le secteur public pour tenir compte de l’augmentation considérable de l’espérance de vie. Depuis cette date, les gouvernants cherchent à aller dans cette direction, mais nous en sommes encore loin quarante ans après. Les déficits s’accumulent.

·        En 1982, la durée hebdomadaire du travail est fixée à 39 heures sans perte de salaire. Le gouvernement Jospin la réduira à 35 heures à partir de 2002. Nous passions à cette époque de la domination à la compétition économique avec le reste du monde et en particulier avec les pays émergents. Aucun autre pays occidental n’a pratiqué une telle politique de réduction du temps de travail. Il s’agit depuis de finasser avec cette législation uniforme et très contraignante.

·        La politique de relance keynésienne mise en vigueur en 1981 par le gouvernement de Pierre Mauroy devra être remplacée par une politique de rigueur dès 1983 sous l’impulsion de Jacques Delors, car le franc dévissait sur le marché des changes et le risque d’intervention du FMI avait été évoqué. C’est le « tournant de la rigueur ».

 

Le rêve brisé

Le rêve socialiste s’est donc brisé très vite sur la réalité économique et démographique. Mais peu de socialistes reconnaissent les erreurs majeures de François Mitterrand. Le grand homme étant devenu une icône pour le peuple de gauche, il est encore impossible de dire la vérité dans les partis de gauche.

Peut-on « changer la vie » ou même la société par décret ? La politique a-t-elle ce pouvoir de faire des miracles ? Bien évidemment non. Les femmes et les hommes construisent leur existence dans un cadre qui ne peut pas être bouleversé en quelques années par l’adoption de quelques lois nouvelles. Le bouleversement politique véritable, c’est la révolution et elle conduit toujours à la dictature.

Le suicide de Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993 marque la fin du règne mitterrandien. Ce fils d’ouvrier, profondément honnête, qui a réussi par la politique jusqu’à devenir Premier ministre de 1992 à 1993, ne supporte pas les insinuations de certains médias portant atteinte à son honorabilité. Mais il considère aussi comme un échec l’abandon des grandes ambitions socialistes de 1981. Son suicide constitue l’acte symbolique le plus fort de la fin de la période Mitterrand.

 

Comment redonner de l’espoir ?

La suite de l’histoire fait apparaître le désamour des français pour les leaders politiques. Le socialiste Lionel Jospin, qui croyait gagner la présidentielle de 2002, est éliminé par Jean-Marie Le Pen. Pour la première fois, l’extrême-droite est au second tour de la présidentielle. Pour la seconde fois, la gauche n’y est pas (en 1969, le centriste Poher était opposé à Pompidou).

La versatilité électorale et la montée du populisme deviennent les éléments structurels de la vie politique. Le dernier président représentant l’opposition traditionnelle droite-gauche fut Jacques Chirac (1995-2007). Par la suite, les candidats ont dû tenir compte du vote populiste pour être élus. Nicolas Sarkozy l’a fait en mordant sur l’électorat du Front national, François Hollande en captant une partie de l’électorat de la gauche radicale de Mélenchon. Dans les deux cas, les mensonges de la campagne, indispensables pour élargir la base électorale, n’ont pas été oubliés par les électeurs. Les deux hommes n’ont pas été réélus.

Emmanuel Macron a choisi une autre voie lui permettant de ne pas faire les yeux doux aux populistes pendant la campagne électorale. En fédérant un centre très large, il obtient une majorité tout en laissant les populistes de gauche ou de droite dans l’opposition. Comme l’étymologie l’indique, le populisme reflète les égarements du peuple, exploités à outrance par des leaders démagogues comme Marine Le Pen, Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon dans le cas français. Tactiquement, la question de fond est la suivante : comment écarter les tribuns de la plèbe, comment gouverner une démocratie sans sombrer dans le populisme ?

En France, depuis 2017, un bloc élitaire centriste s’oppose à deux blocs populaires radicaux. La modération gouverne, l’extrémisme monopolise les oppositions. Par rapport au statu quo ante où la modération de gauche et la modération de droite s’opposaient et alternaient au pouvoir, nous avons changé d’époque. La prise du pouvoir par les radicaux, à quelque bord qu’ils appartiennent, représenterait un risque majeur car la déception populaire serait encore plus grande qu’avec le programme socialo-communiste de 1981.

Publié sur Contrepoints le 26/08/2022

 

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