La dramaturgie politico-économique française
05/07/2022
Patrick AULNAS
Le pouvoir exécutif ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée. La belle affaire ! Les médias en ont pourtant fait un véritable drame national. Dramatiser à outrance pour attirer l’attention est devenu une simple technique des politiciens relayés par les professionnels de l’information. Un peu comme le titre accrocheur d’un article ne reflétant pas vraiment son contenu. Si on ajoute le pouvoir d’achat (grande nouveauté !) et la résurgence de l’épidémie de coronavirus, les personnes peu averties pourraient considérer que la France est au bord de gouffre. Il n’en est rien.
Les institutions françaises… et les autres
Comparativement, la France se porte plutôt bien. Une majorité relative à l’Assemblée nationale n’empêche pas l’État de fonctionner. Le gouvernement est constitué et il ne se limitera pas dans les mois à venir à expédier les affaires courantes. La fonction publique n’est pas affectée par les péripéties mineures de la superstructure politique. Nos voisins européens ont connu bien pire.
La Belgique détient sans doute le record de la durée de formation d’un gouvernement. En décembre 2018, le gouvernement de Charles Michel démissionne à la suite de la rupture de la majorité parlementaire. Il n’y a pas de dissolution car, en cas de démission, l’accord de la Chambre des représentants (équivalent de l’Assemblée Nationale française) est nécessaire pour sa propre dissolution. Les élections ont lieu le 26 mai 2019. Il faudra ensuite attendre jusqu’à début octobre 2020 pour parvenir à constituer un gouvernement ayant à sa tête Alexander de Croo. Seize mois se sont écoulés de la date des élections à la nomination du gouvernement. Ces épisodes interminables de formation du gouvernement sont de plus en plus fréquent outre-Quiévrain.
L’Allemagne et les Pays-Bas connaissent également des durées très longues de formation du gouvernement lorsque les partis ne trouvent pas d’accord de coalition. Ainsi, après les élections de septembre 2017 en Allemagne, il a fallu six mois pour parvenir à constituer le dernier gouvernement d’Angela Merkel. Le même phénomène s’est produit aux Pays-Bas où neuf mois se sont écoulés entre les élections législatives et la formation du gouvernement de Mark Rutte en janvier 2022.
Lorsque certains politiciens envisagent de revenir au régime parlementaire classique dans un pays aussi peu enclin au compromis que la France, il est permis de se demander s’ils connaissent cette réalité et même s’ils se souviennent du degré pathologique de l’instabilité gouvernementale sous les IIIe et IVe Républiques.
Pouvoir d’achat et tropisme étatiste
Qu’en est-il du pouvoir d’achat, autre psychodrame national ? La notion de pouvoir d’achat est éminemment politique. Certains politiciens particulièrement démagogues utilisent volontiers l’expression vie chère, jugée plus près du peuple. D’un point de vue macro-économique, les choses sont simples : il faut de la croissance pour que le niveau de vie augmente. Si le PIB stagne ou régresse, certains tirent leur épingle du jeu, comme toujours, mais il y a beaucoup de perdants. C’est absolument inéluctable.
Or, le taux de croissance prévisionnel français pour 2022 a été revu à la baisse. De plus de 4% espéré il y a quelques mois, les augures sont redescendus à un peu plus de 2%. Le PIB avait augmenté de 6,8% en 2021. La Banque de France table sur 2,3% pour 2022. Ce n’est qu’une prévision dont la réalisation dépendra principalement des facteurs géopolitiques (évolution de la guerre en Ukraine) et sanitaires (évolution de la pandémie de coronavirus).
Simultanément, les prévisions concernant le taux d’inflation ne cessent de s’envoler et se situent désormais entre 6,5 et 7% pour l’année 2022. Faible croissance, forte inflation, stagflation donc. Le pouvoir d’achat est évidemment impacté. Là encore, le contexte international est déterminant et le pouvoir politique ne peut que tenter de faire illusion en venant au secours des moins favorisés. L’agitation stérile des politiciens de tout acabit est donc contreproductive car elle laisse entendre que la politique peut tout, ce qui est absolument faux.
Les pays proches connaissent d’ailleurs une situation moins enviable. Les taux d’inflation estimés pour 2022 se situent à 7,9% en Allemagne, 9% au Royaume-Uni et en Belgique, 9,6% aux Pays-Bas et … 18,8 % en Estonie. En rythme annuel, la moyenne pour l’UE est de 8,8% en juin 2022.
L’énergie étant nécessaire pour toute production et toute distribution, la hausse des prix de l’énergie joue un rôle important dans la réapparition de l’inflation. Le contexte géopolitique est déterminant et nos gouvernants n’y peuvent pas grand-chose. Le prix moyen de l’électricité est très variable en Europe, de 0,30 € le kWh en Allemagne à 0,15 € ou moins dans les pays de l’Est (Roumanie, Hongrie, Bulgarie). La France se situe à un niveau assez faible avec 0,18 €. Le choix du nucléaire l’explique.
La hausse du prix de l’énergie en 2022 est considérablement plus faible en France que dans les autres pays européens. Pour ne citer qu’un exemple, le prix du gaz naturel a doublé en Belgique entre mai 2021 et mai 2022 (hausse de 98,42%) et le prix de l’électricité a augmenté de 54% sur la même période.
La France a adopté, conformément à son tropisme étatiste, une politique très interventionniste. Un « bouclier tarifaire » a été mis en place par le gouvernement pour limiter la hausse du prix de l’électricité à 4% du tarif réglementé au 1er février 2022. La hausse aurait dû être de 35%.
Ils vont beaucoup décevoir
Les français sont des enfants gâtés indisciplinés, surprotégés par leur gouvernement. Les politiciens les encouragent dans cette voie dans le but exclusif d’amasser du pouvoir. Plus les interventions étatiques sont importantes et plus les gouvernants sont puissants. Mais ils deviennent également de plus en plus fragiles en promettant l’impossible. Le risque politique est majeur lorsque les citoyens commencent à penser que tout dépend du politique : croissance, prix, emploi, santé, météorologie et désormais climat sur notre petite planète. Ils vont certainement beaucoup décevoir, nos petits politiciens. Ils l’auront bien cherché.
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