Argent public : jusqu’où iront-ils ?

17/01/2021

Patrick AULNAS

Les dépenses publiques n’ont cessé d’augmenter depuis un siècle. Elles sont financées de deux façons : les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) et les emprunts publics. Comment ont évolué ces trois masses financières colossales depuis le début du 20e siècle ? La réponse est bien connue : ça monte, ça monte. Mais comme les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel, il faudra bien stopper un jour cette évolution suicidaire. 90% du PIB de dépenses publiques, c’est le totalitarisme. Nous étions à 62% en 2020. Jusqu’où nos politiciens iront-ils ?

 

L’explosion des dépenses publiques

Il est admis que les dépenses publiques se situaient entre 10% et 15% du PIB au début du 20e siècle dans les pays occidentaux. Elles varient aujourd’hui de 36% du PIB (États-Unis) à 56 % (France) si on élimine l’effet COVID. L’augmentation a été constante et massive jusqu’aux dernières décennies du 20e siècle.

 

Evolution des dépenses publiques en France depuis un siècle en % du PIB

Année

1912

1938

1960

1980

1995

2013

% du PIB

12%

29%

35%

46%

54%

57%

 

L’augmentation fulgurante du 20e siècle s’arrête au début du 21e. Nous restons pour la France à 55,6% du PIB en 2019, soit un chiffre inférieur à 2013. Ayant atteint un record mondial, la France ne pouvait évidemment pas poursuivre son envolée dépensière. La moyenne de l’Union européenne pour 2019 est de 45,8%.

N’entrons surtout pas dans les détails analytiques des types de dépenses. Une seule observation : c’est la mise en place de l’État-providence qui est la principale cause de cette croissance des dépenses. Les dépenses sociales (retraites, santé, maternité, famille, chômage) qui  partaient d’un niveau presque nul en 1900, augmentent rapidement pour atteindre plus de la moitié du total dans la France d’aujourd’hui.

 

Le financement par la violence légitime

L’État dispose du « monopole de la violence légitime » (Max Weber). Les démocraties peuvent donc utiliser la coercition étatique si elle est acceptée par les électeurs. Dans le domaine des finances publiques, il s’agit de déposséder légalement les citoyens d’une partie de leurs avoirs. La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, votées chaque année en France, y pourvoient.

Les prélèvements obligatoires (PO) ne concernaient au début du 20e siècle que les impôts et taxes. Ils se sont étendus à un nombre considérables de cotisations sociales. Certains prélèvements sociaux, en particulier la CSG (contribution sociale généralisée) ont un statut ambivalent. Juridiquement, il s’agit d’une cotisation sociale. Economiquement, il s’agit d’un impôt frappant presque tous les revenus. Ces PO ont évolué parallèlement aux dépenses publiques qu’ils devaient financer. En France, ils représentaient environ 30% du PIB en 1960 et sont montés à plus de 45% en 2017. Une évolution du même type, parfois moins accentuée, peut être constatée dans tous des pays occidentaux.

Une telle augmentation représente un accroissement de la coercition étatique tout à fait considérable. L’adjectif obligatoire a des conséquences précises. Il faut mettre en place une réglementation minutieuse et très technique de chaque prélèvement, privant le citoyen de base de toute capacité de compréhension. Seuls les fiscalistes connaissent les détails de l’impôt sur le revenu ou de la TVA, a fortiori de l’impôt sur les sociétés ou des droits d’enregistrement. La technicisation du droit renforce le pouvoir politique par l’intermédiaire d’une technostructure publique au service des politiciens. La démocratie, comme capacité de contrôle accordée à chaque citoyen, recule.

La dérive vers l’étatisme économico-financier s’accompagne d’un ressenti contradictoire dans la population. La protection de l’État-providence est désormais attendue, comme on le voit avec la pandémie de coranavirus. Mais le filet réglementaire se densifiant toujours plus, ses mailles enserrent si étroitement l’individu qu’un sentiment de révolte peut apparaître. Le mouvement des gilets jaunes en est un exemple. Lorsqu’il faut remplir un cerfa (formulaire réglementé et obligatoire) dès que l’on bouge le petit doigt, la question de la liberté politique et économique se pose concrètement à tous et à chacun.

 

Le financement par la dette

La prise de conscience par les citoyens de cette saturation normative a entraîné une certaine désaffection à l’égard du politique. Les gouvernants ont donc stabilisé les prélèvements obligatoires à un très haut niveau, sans pour autant renoncer au graal de la dépense publique. Elle est en effet jugée incontournable puisque les promesses électorales ne sont pas gratuites.

Il suffit d’endetter les collectivités publiques pour pouvoir continuer à dépenser. L’endettement public s’est donc lui-même envolé par accumulation d’emprunts visant à combler les déficits budgétaires. « Puisque  nous ne pouvons plus augmenter les impôts, endettons l’ensemble de la population. ». Voilà la simplissime devise des gouvernants des pays riches. Certains sont convaincus qu’ils endettent la collectivité pour le bien de tous. C’est la gauche morale, le camp du bien. D’autres, les purs cyniques, ne voient pas d’autres solutions pour se maintenir au pouvoir.

La dette publique française passe de 21% du PIB en 1980 à 115% en 2020. La plupart des pays riches connaissent une évolution comparable. La dette publique dans la zone euro est de 100,5 % du PIB en 2020 et celle des États-Unis dépasse les 104% en 2021. Il faut signaler également le concert de louanges que se sont adressés à eux-mêmes les politiciens européens lorsqu’ils sont parvenus à endetter l’Europe entière en plus de leurs pays respectifs. NextGenerationEU (oui, oui, c’est son nom ! Ils ne reculent plus devant le ridicule) est un plan de relance européen de 2 000 milliards d’€ qui « contribuera à la reconstruction de l’Europe de l’après-COVID-19 » (site internet de l’UE). Empiler une dette supplémentaire sur le monceau de dettes existantes ne peut effectivement qu’améliorer la situation.

 

Pessimistes et optimistes

La fuite en avant financière ne s’arrête pas là. Par leur politique de quantitative easing (assouplissemnt quantitatif), les banques centrales occidentales déversent d’énormes quantités de liquidités sur les marchés afin d’éviter la déflation (baisse cumulative des prix, des salaires et de la production). Il en résulte des taux d’intérêt réels pratiquement nuls, parfois même négatifs pour les États. Une telle abondance de liquidités, jamais atteinte dans l’histoire, représente un risque majeur. La dette privée ne cesse de croître. De 2006 à 2020, selon l’INSEE, la dette des ménages français passe de 44% à 68% du PIB et celle des sociétés non financières de  69% à 105%.

Les optimistes parient sur l’inflation. Si elle est élevée, elle peut effectivement faire fondre les dettes en peu de temps. La valeur de la monnaie se déprécie et ceux qui en possèdent, en particulier les prêteurs, sont ruinés. Les emprunteurs s’enrichissent en remboursant en monnaie de singe. Les collectivités publiques très endettées bénéficieraient financièrement d’un tel scénario, mais il provoquerait par ailleurs des problèmes politiques importants en atteignant de plein fouet la classe moyenne aisée occidentale, créancière et principal soutien de la démocratie libérale.

Le scénario pessimiste suppose la défaillance d’un État important, par exemple la France. A la suite d’une hausse brutale des taux d’intérêt, un État ne pourrait plus se refinancer par la dette. Aujourd’hui, il est possible d’emprunter à taux presque nul pour rembourser une dette créée à taux élevé. Les spécialistes utilisent l’expression « faire rouler la dette ». Ce mécanisme ne peut pas s’inverser : il n’est pas possible d’emprunter à un taux plus élevé pour se refinancer car le service de la dette (les intérêts à payer) devient alors prohibitif. Dans ce cas, l’État ne peut plus emprunter et ne peut plus politiquement augmenter les prélèvements obligatoires atteignant déjà la moitié du PIB. Il fait défaut, entraînant dans son sillage des banques et d’autres collectivités publiques ou privées. Une crise financière internationale majeure commence alors.

 

L’exploitation politique du ressentiment

Le principe démocratique est-il à la racine des difficultés financières actuelles ? La question mérite d’être posée. L’évolution du siècle passé a consisté à faire intervenir massivement les collectivités publiques (États, collectivités locales, établissements publics) dans l’économie. La construction du welfare state a entraîné un accroissement historique des dépenses publiques jamais observé auparavant. Il en résulte que le pouvoir financier de la classe politique devient considérable.

Mais son tropisme démagogique n’a pas disparu. La gauche sociale-démocrate ou communiste n’a cessé de proposer un alourdissement des dépenses au prétexte d’améliorer le sort des moins favorisés. La générosité apparente de cette posture politique masque l’instrumentalisation systématique du ressentiment envieux des moins favorisés. Le riche, dans le discours politique, est celui qui est au-dessus financièrement, même légèrement. Le socialisme propose toujours de le faire payer.

Cette duplicité, d’un cynisme absolu, consistant à utiliser la convoitise pour accumuler du pouvoir économique par l’intermédiaire des structures publiques atteint aujourd’hui sa limite extrême. Voilà l’une des raisons fondamentales des difficultés politiques des démocraties occidentales. Car la démocratie véritable ne peut prospérer qu’avec la rigueur financière et l’exemplarité de ses dirigeants.

Article publié sur Contrepoints le 17/01/2022

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