Zemmour et le nouveau paysage politique

19/10/2021

Patrick AULNAS

Le phénomène politique Zemmour monopolise les médias. A juste titre car l’évolution mesurée par les sondages est inédite. L’essayiste politique n’apparaissait même pas au second trimestre 2021, se situait à 5-7% d’intentions de votes pour le premier tour de l’élection présidentielle 2022 à la fin du mois d’août et entre 15 et 18% dans la première quinzaine d’octobre. Feu de paille, bulle médiatique, prétendent certains analystes, avec une certaine légèreté. Il est plus vraisemblable que le discours zemmourien rencontre tout simplement les aspirations d’un peuple.

 

Fin de la droite ou renaissance ?

La percée inattendue de Zemmour nous contraint à une réflexion sur son projet politique. Celui-ci consiste à faire tomber le front républicain, barrage électoral élaboré par les anciens partis de gouvernement contre le Front national (FN) puis le Rassemblement national (RN). Il était convenu que s’allier à ce parti pour gagner une élection, qu’elle soit locale ou nationale, représentait une trahison des valeurs républicaines. La conséquence pour l’allié de l’extrême-droite était simple : exclusion de son propre parti. Il devait donc abandonner sa carrière politique, adhérer au RN (le Républicain – LR – Thierry Mariani par exemple) ou créer une petite formation (Nicolas Dupont-Aignan et Debout la France).

L’ambition politique d’Éric Zemmour consiste à unir l’ensemble de la droite afin de lui permettre de conquérir le pouvoir sans difficulté. La droite étant globalement majoritaire, la disparition du front républicain contre l’extrême-droite lui permettrait de figurer au second tour de l’élection présidentielle, ce qui est très hypothétique aujourd’hui. Mais au-delà de la tactique politicienne, il faut se placer au niveau stratégique.

Une telle évolution permettrait en effet de structurer politiquement le nouveau clivage opposant souverainisme et mondialisme, somewhere et anywhere, conservatisme et progressisme. Peu importe le vocabulaire. Derrière la paille des mots se cache le grain des choses et il ne fait plus de doute que, dans les pays riches d’Occident, une partie importante de la population n’accepte pas les évolutions extrêmement rapides du demi-siècle écoulé. L’aspiration à plus de stabilité et à la protection étatique se développe. Ce néo-conservatisme n’est pas un fascisme et le stigmatiser comme le font les dirigeants des partis qui se jugent respectables ne le fera pas disparaître.

Zemmour ne cherche donc pas à tuer la droite mais à la faire renaître. Il s’agit d’un aggiornamento qui a beaucoup tardé. Ce retard mène aujourd’hui les partis de la droite traditionnelle vers un déclin qui ressemble à celui du parti socialiste à gauche. Les raisons de fond sont les mêmes : l’absence de prise en considération des réalités, le maintien d’une ligne politique et d’un discours traditionnels obsolètes.

 

Le déni de réalité des anciens

Face à cette évolution majeure, la gauche toute entière et la droite de gouvernement restent dans le déni. Elles stigmatisent Éric Zemmour en reprenant systématiquement quelques paroles malheureuses afin d’assimiler le quasi-candidat à l’élection présidentielle à un fasciste des années trente. Elles s’adressent ainsi à des militants imprégnés de la catéchèse partisane, mais ne convainquent absolument pas le peuple qui a toujours observé avec sidération le recul géopolitique et économique de l’État, cautionné tant par les gouvernements de droite que par les socialistes.

Le paysage politique nouveau qui se dessine comprend trois pôles. La gauche, influencée par la pseudo-idéologie woke ou intersectionnelle et l’écologisme radical, se coupe de plus en plus du peuple. Le centre, représenté en France par Emmanuel Macron et ses alliés correspond au progressisme et à l’ouverture sur le monde. La droite dans son ensemble représente un néo-conservatisme aspirant à un État fort et assez peu interventionniste économiquement, mais ne reculant pas devant un certain protectionnisme et un volontarisme anti-migratoire.

Cette tripartition suppose un choix pour les militants du parti LR : certains devront rejoindre le centre, d’autres la droite. Mais cela se fera sur des options politiques claires. Le flou idéologique, qui n’a rien d’artistique, caractérisant aussi bien le parti socialiste que LR, disparait. Enfin, un peu de clarté !

 

Nouveaux enjeux

Le vocabulaire traditionnel et bien commode : gauche, centre, droite. Mais ces mots recouvrent désormais d’autres concepts. Marxisme, socialisme, libéralisme, fascisme, nazisme font partie de l’histoire. Nous vivons tous en Occident dans des États très interventionnistes, prélevant des ressources colossales sur les citoyens. Nos pays sont plus proches du socialisme que du libéralisme. Le danger fasciste s’est éloigné, quoiqu’en disent les chantres de la gauche radicale. Où sont les milices armées d’extrême-droite qui sévissaient en Europe il y a un peu moins d’un siècle ?

Le bouleversement politique auquel nous assistons comporte des enjeux nouveaux qui se situent surtout dans les champs géopolitique et technologique. Faut-il brider le multilatéralisme et renforcer la souveraineté des États ? La gauche et les néo-conservateurs répondent affirmativement, les centristes plutôt négativement. Faut-il faire confiance aux capacités scientifico-techniques de l’être humain ou les régenter par une éthique s’imposant à tous ? Les néo-conservateurs et les écologistes se rattachant à la gauche en rêvent chaque jour. Les centristes restent confiants dans les capacités de la technologie. Ainsi, le débat politique actuel oppose les modérés et les radicaux, ceux qui souhaitent le changement dans la continuité et ceux qui prônent une rupture. Mais les ruptures brutales aboutissent en général à une reprise en main autoritaire…

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